Djiby-village UNE JOURNEE AVEC LES MEDECINS DES PAUVRES
Djiby-village,
agglomération de trois mille âmes située près d’Abobo-Belleville attend que le
gouvernement vienne le libérer des effets pervers des déchets toxiques. Dans l’expectative,
les malades livrés à eux-mêmes se contentent de l’action sociale de quelques bonnes
volontés.
Construit sur une colline abrupte de terre
rouge, Djiby-village a toujours vécu dans l’insouciance. Jusqu’à cette soirée
noire d’avril 2006 où le Probo-Koala, ce « bateau de la mort », est
arrivé aux larges des côtes abidjanaises. Depuis lors, Moto Yao Essaï, chef de
ce bled de 3.000 âmes, est confronté aux odeurs nauséabondes des déchets
déversés derrière leurs murs. Ne disposant pas de centre de santé et livrés à
eux-mêmes, les villageois ont subi en
silence les séquelles de ces produits toxiques depuis sept ans. Combien en sont
décédés ? On ne le saura sans doute jamais. Des malades ? Il en
existe certainement encore. Et pour déterminer leur nombre, Moto Yao Essaï a
invité des spécialistes de l’Ong « Joyeux lundi pour Odi », dirigée
par le vétéran professeur Odi Assamoi Marc, premier cardiologue ivoirien. L’octogénaire
s’est fait accompagner d’une demi-douzaine de spécialistes en ophtalmologie,
urologie, pulmonologie…En débarquant ce lundi dans ce modeste village, Pr Odi et son équipe de médecins sont
accueillis comme des « vagabonds de la charité » par des villageois
pour qui l’accès aux soins est aussi rare qu’une mouche blanche.
Un
hôpital sans médecin
Leur
hôpital construit depuis des années, n’a jamais reçu de personnel. Comme
l’indique Moto Yao, « pour se soigner, nous sommes obligés d’aller à
Abobo ». Cela, à condition que le malade ait de l’argent pour emprunter un wôrô-wôrô ou un
gbaka (véhicules de transport en commun) pour ensuite faire face aux
ordonnances. C’est sans doute pour cela que beaucoup d’habitants de
Diby-village, comme Ernest Kouablé,
préfèrent « gérer » leur mal par automédication. Ce paysan
souffre de ce qu’il appelle des « démangeaisons». Quelquefois, ce sont des
boutons qui poussent sur sa peau. Mais tant que cela ne l’empêche pas de
travailler dans son champ, il se considère comme sain et refuse de dépenser le
moindre sous pour se faire examiner. A cause des personnes comme lui, Pr Odi qui
fait du social a accepté l’invitation du chef de village sans hésiter. Une
sollicitation qui vient après celle de l’Union totale des intelligences pour
l’environnement (Utile) qui s’est spécialisée dans les sites de déversement des
déchets toxiques. Le plan est simple : faire payer la modique somme de
2.000 FCFA à chaque villageois qui désire se faire consulter. Ainsi pourra-t-il
bénéficier de traitement gratuit. L’hôpital du village toujours inoccupé est le
site choisi pour l’opération. « Il y a eu la pollution de l’air et de
l’eau par les déchets déversés à proximité », explique le responsable d’Utile,
qui a accompagné le Pr Odi. Selon lui, chaque personne intéressée par la
consultation doit s’inscrire d’abord sur une liste. Après s’être acquitté des 2.000
F, il a accès aux consultations. Plusieurs pièces de l’hôpital ont ainsi été
mises à la disposition des différents spécialistes invités. Et chacun prend le
soin d’afficher sa spécialité sur la porte. « Les villageois les consultent,
s’il y a un traitement, le professeur Odi leur donne des médicaments. Dans le cas échant, il leur donne une ordonne
médicale pour qu’ils aillent se procurer des médicaments. Si leur cas nécessite
une chirurgie, le spécialiste est là. Il leur donnera rendez-vous dans un lieu
plus approprié, pour une intervention. Ils auront un peu plus d’avantage,
puisqu’ils seront considérés comme des cas sociaux », ajoute-t-il. Lorsque
la consultation débute, l’engouement n’est pas papable. Explication de Roger
Kouassi, un des villageois : « ça va vous surprendre, mais les gens
n’ont même pas 2.000 F pour venir se faire consulter ». Pendant que
l’équipe du Pr Odi accueille les quelques dizaines d’intéressés, le chef de
village, lui, exulte. « C’est un bon début, note-t-il.
Population
décimée par les déchets toxiques
Il
y a eu des décès dus aux déchets toxiques. Mais comme nous n’avons pas fait
d’autopsie, l’affaire est restée sans suite ». Ces gens, ajoute le
sexagénaire, sont morts de diarrhée terribles. Certains, dit-il, se sont vidés de
leurs tripes. «Les déchets sont encore là. De temps en temps, les gens
continuent de souffrir de maux de tête, de diarrhée. Ma sœur, par exemple, à
des brûlures au cou à chaque fois que l’odeur se dégage. Nous avons fait
venir l’Ong ici pour que les différents cas de maladie signalés puissent être
pris en compte ». Mais avec la faible affluence, il ne peut que
relativiser. Toutefois, l’arrivée de l’équipe du Pr Odi a été suivie de celle de
quelques sages-femmes et d’assistants administratifs venus déjà pour occuper
l’hôpital. Des médecins suivront. Peut-être, espère Moto, l’ouverture totale de
l’hôpital allègera leur souffrance. Et il regarde du côté des autorités qui ont
longtemps surfé sur la vague de la gratuité des soins, et déclaré 2013 comme
année de la santé. Pour lui, le gouvernement devra jeter un regard pressant sur
ces populations démunies de Diby-village. Elles qui attendent impatiemment d’être
débarrassées du spectre du Probo Koala, mais aussi de bénéficier de soins
gratuits.
Raphaël
Tanoh
Leg : Certains villageois sont
sortis nombreux.
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