Aka Marcel Kouassi (Expert): "IL FAUT SAUVER LES POISSONS DE LA LAGUNE"
Impliqué
dans plusieurs recherches océanologiques et auteur de multiples ouvrages, Dr
Aka Marcel Kouassi explique dans cette interview, les causes de la mort subite
des poissons dans la lagune.
Un
phénomène étrange s’est produit, il y a moins d’une semaine, dans la lagune qui
longe Marcoy-résidentiel. Des poissons morts sont remontés à la surface de
l’eau. Qu’est-ce qui est, selon-vous, à l’origine de ce phénomène ?
Depuis une vingtaine d’années, le Centre de
recherches océanologiques (CRO) effectue des recherches en vue de comprendre le
fonctionnement écologique des lagunes de Côte d’Ivoire et d’étudier l’impact
des activités humaines sur ces milieux. Pour répondre à votre question relative
à la mortalité des poissons observée sur les différentes baies de la lagune
Ebrié, il faut comprendre le fonctionnement de ces milieux. En effet, la lagune
est une zone tampon entre les fleuves et la mer. Elle est sous l’influence des
eaux marines et des eaux continentales (fleuves et précipitations).Pendant les
périodes de crue, le volume d’eau douce est plus important en surface et se
superpose à l’eau marine en dessous. Ces deux couches ont deux sens opposés :
les eaux de surface vont vers la mer ; tandis que les eaux sous-jacentes
se dirigent vers le continent. Entre ces deux couches, il existe une barrière,
appelée halocline, liée à une variation brusque de la salinité. Cette barrière
est plus importante dans les zones de profondeur supérieure à 3 – 4 mètres. Les
eaux au-dessus de cette barrière sont oxygénées tandis que celles qui sont en
dessous, sont pauvres en oxygène (ou anoxique).
Qu’est-ce
qui explique cette pauvreté en oxygène ?
Cette pauvreté en oxygène est due au fait que
les matières organiques (rejetées par les populations riveraines) se déposent
dans les eaux du fond et leur dégradation nécessite l’utilisation de l’oxygène.
Quand les débits des fleuves deviennent plus faibles (période d’étiage), les
eaux lagunaires sont dominées uniquement par les eaux marines (période
d’influence marine). Pendant cette période, la barrière est détruite,
favorisant un mélange des deux couches. Ce qui entraîne un appauvrissement
généralisé en oxygène de la colonne d’eau.
C’est
donc la barrière qui empêche la zone polluée en dessous de contaminer la zone
oxygénée à la surface ?
Oui. L’halocline constitue une barrière
temporaire qui assure la survie des organismes aquatiques (planctons,
poissons…) en surface.
Tous
les poissons meurent-ils lorsque ce
phénomène survient?
De façon générale, les mortalités concernent
les petits poissons plats (Ethmaloses), communément appelés
« ahoubé ». Ce phénomène s’observe chaque année dans la baie de
Biétry qui est très polluée.
Ce
n’est donc pas seulement Marcory-résidentiel qui est concerné ?
Il faut signaler que les autres baies de la
lagune ne sont pas épargnées par ce phénomène. Toutes les baies présentant par
endroits des profondeurs supérieures à 3 – 4 mètres présentent les mêmes dysfonctionnements
si elles reçoivent un apport important de matières organiques issues des rejets
domestiques. Il faut comprendre que ce n’est pas une pollution accidentelle, ni
un empoissonnement ; et ce n’est pas le fait de plantes aquatiques comme
l’affirment certains. D’ailleurs, la plupart de ces plantes flottantes sont
charriées vers la mer pendant la période de crue par les courants superficiels.
Pourquoi
ce phénomène se situe-t-il en janvier ?
La période de crue se termine entre la fin du
mois d’octobre et le début du mois de novembre. De décembre à mars, les eaux
lagunaires sont dominées par les eaux marines dont le maxima se situe en
janvier-février. Cet apport d’eau marine dans les baies détruit la barbière
(c’est-à-dire l’halocline) et entraîne le mélange des couches de surface
oxygénées et du fond anoxique (pollué).
Cette
mortalité de poissons va-t-elle cesser pour un temps ?
Le phénomène de destruction de la barrière
dure dix à douze semaines et s’arrête dès les premières pluies. Ces apports
d’eaux pluviales vont favoriser la réinstallation de la barrière qui va
s’accentuer avec les apports des fleuves (période de crue).
C’est
donc un cycle ?
Oui. Nous avons affaire à un processus
cyclique. Et cela va continuer chaque année.
Les
poissons morts sont-ils comestibles ?
Normalement un poisson qui s’asphyxie se
mange sans problème. Néanmoins, il faut aussi craindre la contamination de ces
poissons par d’autres polluants tels que les métaux lourds qui sont
susceptibles de contaminer la colonne d’eau lors des mélanges des deux couches.
Que
faut-il faire pour arrêter le phénomène ?
Le phénomène cyclique que je viens de
décrire, est un phénomène naturel. Ce que nous pouvons faire, c’est de réduire
les apports de rejets domestiques et industriels de sorte que lors de ces
mélanges, la couche profonde ne soit pas anoxique pour contaminer la couche de
surface. De plus, pour tout aménagement sur la lagune, il faut prendre en
compte ce phénomène et favoriser la libre circulation des masses d’eau pour
permettre aux eaux de se renouveler (oxygénation).
C’est
dire que vous êtes les spécialistes du milieu marin ?
Nous sommes disponibles pour répondre aux
préoccupations qui touchent les écosystèmes lagunaires et marins de la Côte d’Ivoire.
D’ailleurs, nos travaux de recherches servent de bases scientifiques pour la
plupart des travaux d’aménagement sur nos eaux (pont de Jacqueville, 3ème
pont, digue de koumassi, érosion côtière…)
Interview réalisée par Raphaël Tanoh
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