Universités privés, grandes écoles: QUE VALENT LES DIPLOMES
Après
avoir longtemps combattu le phénomène des écoles boutiques, c’est à un autre
problème plus crucial que le ministère de l’Enseignement supérieur doit faire
face : les diplômes non-reconnus.
Méité Youssouf a décroché avec succès son
baccalauréat en 2009. Grâce à une prise en charge délivrée par le ministère de
l’Enseignement supérieur, il s’inscrit en licence dans une grande école qui
vient d’ouvrir son université privée, à Marcory-résidentiel. L’établissement dit
avoir épousé le système licence master doctorat (Lmd). Youssouf fait donc la
licence 1, 2 et 3. Ensuite, il décide de quitter l’école en 2011 pour une
équivalence à l’université Nangui-Abrogoa. « Lorsque j’ai présenté mon
diplôme, la commission de l’université m’a indiqué que ce diplôme n’était pas
reconnu par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur
(Cames) ». Estomaqué, le jeune se rend à la Tour A, 9ème étage pour voir
des responsables de la direction de l’enseignement supérieur qui gèrent ce
volet. « Là, on m’a dit carrément que mon diplôme n’était pas reconnu sur
le territoire ivoirien. J’avais donc fait trois ans de formation pour rien»,
regrette Youssouf. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. Des dizaines
d’étudiants qui se sont inscrits avec lui dans la même école s’en mordent les
doigts. Lui, réussira grâce à ses relations à s’inscrire en 3ème année de
licence à l’université Nangui-Abrogoa. « N’ayant pas d’autres solutions,
les autres ont été obligés de s’inscrire en master dans la même école. Car seul
cet établissement reconnaissait ses propres diplômes. Mais quand ils finiront,
ils seront encore confrontés au même problème de reconnaissance de
diplôme », ajoute-t-il avec amertume. Dans la même année, Diakité Bazouma
est séduit par les programmes d’un établissement spécialisé dans la formation
en management et technologie, sis à Aghien, aux Deux-Plateaux.
« L’établissement nous a dit qu’il était en partenariat avec l’université
de Cocody, et que grâce à ce partenariat, nos diplômes seraient considérés
comme des diplômes universitaires. Ils seraient reconnus par le Cames »,
raconte-t-il. Mais au terme de la dernière année de formation d’ingénieur en
logiciel, il découvre le pot aux roses comme ses camarades : les diplômes
ne sont pas reconnus par le ministère de l’Enseignement supérieur. Les
étudiants sont dans tous leurs états, comme l’indique Diakité : « Nous
avons fait des protestations, mais les responsables de l’école nous
ont dit qu’ils allaient arranger ça». Rien n’a été fait. Aujourd’hui, l’étudiant
n’a qu’une possibilité : s’inscrire dans une école où ses diplômes sont
reconnus pour valider son cycle ingénieur. Mais que de gâchis ! Tout comme
eux, des dizaines d’étudiants sont, chaque année, confrontés à ce phénomène de
diplômes non-reconnus. Les secteurs
concernés sont les formations post-bst. Des diplômes d’ingénierie aux semblants
de système Lmd, en passant par des acronymes tels que dts, la pratique résiste,
persiste. Même la grande purge lancée au
sein des établissements privés par Cissé Bacongo, le ministre de l’Enseignement
supérieur, n’y a rien changé. Pourquoi et comment cette pratique honteuse s’incruste-t-elle?
« C’est simple. Certains établissements sont de mauvaise fois. Ils font croire
à leurs étudiants qu’ils sont reconnus alors que ce n’est pas le cas »,
tente d’expliquer Yao Koffi Judicaël, secrétaire général de la Fédération des
élèves et étudiants de l’enseignement technique et professionnel de Côte
d’Ivoire (Fetpci). « Aujourd’hui
avec la rigueur, le ministère de l’Enseignement supérieur a fait fermer les
écoles boutiques. Mais la question de la reconnaissance de diplômes est une
réalité », ajoute-t-il. Pour Jean Yve Abonga, sg du
Syndicat national des formateurs de l'enseignement technique et de la formation
professionnelle de Côte d'Ivoire (Synafetp-CI), c’est uniquement la facilité qui favorise
cette pratique. « Les parents eux-mêmes aiment les établissements qui sont
moins chers. Alors que c’est dans ces établissements que ces choses-là sont
courantes », note-t-il. La Fédération
nationale des établissements privés laïcs de Côte d'Ivoire (Feneplaci) est
plutôt crue sur la question : « Si l‘école arrive à gruger le
parent d’élève, c’est qu’il est naïf. Le ministère publie chaque année la liste
des établissements autorisés. Mais les parents d’élèves préfèrent se
débarrasser de leurs enfants en payant moins cher », indique le secrétaire
général de la fédération. Les parents d’élèves, eux, jettent la pierre sur les
fondateurs. « C’est un scandale. On ne peut pas admettre qu’après avoir
payé des millions dans un établissement, on nous délivre des diplômes non
reconnus », vocifère Edouard Aka, membre de l’Union
nationale des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d'Ivoire (Unappeci). Son
président, Jean Boto va dans le même sens : « Ces choses que nous
connaissons n’honorent pas la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, que ce soit au niveau
de la direction des examens et concours ou au niveau de la direction de l’enseignement
supérieur, il faut des enquêtes. Car le mutisme les rend complices ». Accusés,
les fondateurs préfèrent la prudence. Joint, Dr Elete Aka, président de l’Union
patronale de l’enseignement supérieur privé de Côte d‘Ivoire (Upesup-Ci), a
souhaité rester discret sur la question. Pareil pour la direction de
l’enseignement supérieur, située à la Tour A, 9ème étage. Le secrétariat qui
nous a reçus, a promis un retour. Mais rien n’y fit. En attendant de se pencher
véritablement sur la question, les ingénieurs flanqués de diplômes fantômes parviennent
à se glisser dans le circuit de l’emploi. Les entreprises étant moins
regardantes sur ce problème. Ce qui amène Edouard Aka à dire qu’il
« y a trop d’ingénieurs. N’importe qui suit une formation n’ importe où et
se dit ingénieur ». C’est à
méditer.
Raphael Tanoh
Leg : Entre écoles boutiques et diplômes
non-reconnus, les étudiants ne savent plus quel établissement choisir.
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