Reportage/Accidentés, blessés par balles… LES POLICIERS HANDICAPES RACONTENT








Cette facette sombre de la vie des policiers reste entièrement méconnue  du large public. Pourtant, ils sont légion, ces flics qui voient leur vie basculer du jour au lendemain, suite à un accident de travail.


C’est un jour ordinaire de l’année 1993. L’adjudant Kouakou Jean-Baptiste est en mission commandée hors d’Abidjan. Il tient un barrage de contrôle en compagnie de quelques douaniers quand, soudain, un véhicule suspect surgit au bout de la chaussée. « Nous l’avons sommé de s’arrêter ; c’est alors que l’un des passagers a sorti sa main par-dessus la fenêtre et a tiré », se souvient-il. Le jeune et ambitieux adjudant est le seul à recevoir une balle qui se logera dans sa colonne vertébrale. Alors qu’on le transporte à l’hôpital, il sait qu’il ne pourra plus danser le zouglou, cette danse en vogue dans les années 1993.  Depuis lors, le jeune policier désillusionné se déplace en fauteuil roulant. Aujourd’hui encore, il a du mal à s’expliquer pourquoi il a été visé par cette main inconnue. Cette scène tragique ne cesse de défiler dans son esprit comme une casette rembobinée. Neuf ans Plus tard, un autre policier connaît la même tragédie à ceci près qu’il se trouvait, lui, dans les ruelles d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. En 2002, le sergent Fouah Bi Joel Francis, comme la plupart des policiers de son âge, est soucieux de se bâtir une carrière exemplaire. Mais cette année-là, le ciel s’assombrit brusquement pour le sous-officier.

Blessés ou tués en plein exercice
 Au cours d’un échange de tirs avec des bandits, il prend une balle de neuf millimètres en pleines jambes et perd l’usage de ses deux membres. Les choses se sont passées si vite que quelquefois, il n’en revient pas. Contraint de circuler en fauteuil roulant depuis onze ans, le sergent a fini par accepter son sort: c’était la volonté du bon Dieu, se console-t-il. Quand ces flics blessés pensent à ceux d’entre eux qui perdent la vie chaque année, lors d’échanges de tirs, ils finissent par relativiser le poids du sort sur leur vie. L’adage ne dit-t-il pas qu’un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort ? Le sergent-chef Koffi Williams est aujourd’hui un homme diminué. Tout est parti un jour lorsque le sous-officier zélé est envoyé en intervention à Adjamé avec ses collègues. Des bandits qu’ils pistent depuis un bon moment sont sur le point d’être appréhendés. Le jeune policier se dit qu’il a peut-être là l’occasion de montrer sa bravoure. Mais la traque lui laissera un souvenir amer pour toujours. Lors de l’assaut, le gang de bandits démontre une puissance de feu à laquelle l’équipe d’intervention ne s’attendait pas. Koffi Williams prend une balle dans le ventre. « Elle m’est ressortie par le cou », relate-t-il. Les spécialistes en balistique diront sûrement que le coup est parti du haut en bas et que, par conséquent, le tireur se trouvait en dessous du policier. Mais le sergent-chef n’en a cure. « On avait des gilets pare-balle, on ne pouvait pas les porter parce que les bandits qu’on filait en douce auraient su que nous étions des policiers », regrette-t-il. Pourquoi ne l’avoir pas mis sous les vêtements ? « C’était de grands gilets, alors nous les avons laissés dans la voiture », répond-il. Le soir au journal télévisé, les téléspectateurs verront les corps des malfrats abattus. Mais ils ne sauront rien de la souffrance du flic qui a failli y laisser sa peau. Car, Koffi Williams perd l’usage de sa jambe droite. « Ma femme Dorothée m’a beaucoup soutenu », explique-t-il, hier mercredi lors de nos échanges. Père d’un magnifique garçon, le policier pense pouvoir retrouver l’usage de sa jambe après une bonne cure de rééducation. Pour les familles de ces policiers, chaque jour est une occasion de prière. 

Triste fin de carrière
C’est le cœur serré, par exemple, que Mme Assalé-Assalé, regardait son mari sortir de la maison chaque matin, flanqué de sa tenue d’adjudant-chef.  Le  12 janvier 2004, elle apprendra qu’il a été renversé par un automobiliste fou, alors qu’il était en service commandé derrière l’aéroport Félix Houphouet-Boigny. Le concerné se souvient des détails: « Il y a un véhicule que j’ai arrêté. Au moment où je contrôlais les pièces, un chauffard qui venait par derrière a percuté d’abord la voiture avant de me prendre sur le flanc pour me culbuté de l’autre côté de la voie. Aujourd’hui, j’ai le pied gauche et l’épaule droite plâtrés ». En 2005, il a entamé sa rééducation qui commence à porter ses fruits. En somme, qu’ils soient blessés par balles, percutés par une voiture, ou atteints d’un accident vasculaire cérébral (avc), comme ce fut notamment le cas de l’adjudant Dogbo Éloi qui a perdu l’usage de ses jambes, ces policiers ont le sentiment d’avoir tout perdu. Plus de boulot, vie privée morose, projets évanouis... A Abidjan, seuls cinq parmi eux ont été officiellement identifiés, selon Yao Boatenin Eugène, sous-directeur de l’assistance sociale à la direction de la police nationale. Il reconnaît toutefois qu’ils sont nombreux les policiers qui se blessent dans l’exercice de leur fonction, hors d’Abidjan. Ce mercredi, il leur a adressé un message fort, lors d’une cérémonie de remise de don à la direction générale de la police nationale, au Plateau. « Pour certains, votre handicap est survenu au moment où vous étiez en service commandé, au moment ou vous ne fassiez qu’exercer vos missions régaliennes de sécurisation des personnes et des biens », s’est-il ému. Avant de dépeindre leur triste réalité avec une note de tristesse: « Tous, aujourd’hui, vous êtes retirés, parfois loin de vos services, d’autres fois, loin de la société. Et ce, malgré vous. Quelquefois dans l’indifférence de vos biens aimés et dans un manque de solidarité quasi généralisée ».  C’est pourquoi il a tenu à rappeler à ces collègues blessés dans l’exercice du métier que jamais la police ne les oubliera. Pour preuve, des visites ont été instituées  à leur domicile et à l’hôpital pour les soutenir. Visiblement, l’autorité policière devra aller plus loin en apportant une assistance psychologique, matérielle et financières voire une décoration  à ces agents qui ne sont ni plus ni moins que des héros oubliés de la nation.
Raphaël Tanoh
Leg : Les policiers handicapés ont reçu, mercredi, le soutient de la direction.


Encadré 1

Des fauteuils roulant aux handicapés

Cinq fauteuils roulants. C’est le don que le directeur général de la police, Brindou M’Bia, a offert à ces policiers « souffrants », ce mercredi dans les locaux de la direction générale de la police, au Plateau. Selon lui, les sièges sont l’œuvre de généreuses personnes dont il a préféré taire le nom. Le Dg a voulu rendre hommage à ces policiers handicapés. « Vous vouliez faire votre métier, vous avez été victimes d’accidents. Cela peut arriver à chacun de nous », leur a-t-il dit. Il sollicite d’autres bonnes volontés pour continuer de leur venir en aide.
RT

Encadré 2

Il faut un centre de prise en charge

Tout en louant les visites de compassion effectuées aux domiciles des malades, Brindou M’Bia pense que l’Etat devrait faire plus. Par exemple, mettre en place une structure de prise en charge pour ces policiers. « C’est une préoccupation pour la police ». Bien que handicapés, ces flics devraient pouvoir servir encore leur pays, selon lui. Et Brindou M’Bia pense que cela doit passer par des réformes au sein de son département. En attendant de se pencher véritablement sur le problème, la meilleure consigne pour un flic, c’est de couvrir ses arrières une fois sur le terrain.
RT

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