Transport urbain :
Chêrêmêrê: « Je suis la première fille apprentie-gbaka »
Rendue singulière et presque populaire par son métier d’apprentie-gbaka, Chêrêmêrê a accpeté d’ouvrir son cœur à votre quotidien préféré. Diabaté Awa, son vrai nom, a sa façon à elle de ‘‘sciencer’’ la vie…
Difficile de passer inaperçue malgré l’ambiance tonitruante qui règne à Abobo-gare entre passants, commerçants et les files interminables de gbaka (véhicules de transport commun) qui arrivent d’Anyama ou Pk18. Accrochée à la portière d’un gbaka, une fille qui a tout d’un garçon, vient de serrer sur l’un des trottoirs de l’autoroute pour prendre des clients. « Ça gbra (ça descend)!», lance-t-elle au chauffeur. C’est l’etonnement et tout le monde la regarde. Une apprentie-gbaka ? Le fait est rare, voire rarissime à Abidjan. Ce métier pénible et mal vue étant réservé aux garçons. Et encore, faut-il être un dur pour ces derniers, un infatigable. À première vue, on pourrait se meprendre et la confondre à un garçon en voyant sa silhouette mince coiffée d’une casquette blanche, son pantalon noir déchiré tendantieusement au niveau des cuisses et des pieds et sa chemise bleue qui couvre un tee-shirt. Ce n’est qu’en faisant attention à sa poitrine saillie par deux petits seins fermes et à ses sandales de femme que l’on se rend compte que c’est bien une fille. Elle a un visage émacié, très noir, avec de petites pommettes dures et un regard vif et défiant de vieux routier. Ses grosses lèvres de garçon ruminent un chewing-gum. Et sur cette face rigide, il n’y a que ses oreilles perforées chacune de plusieurs trous et le mascara sous les yeux qui laissent un leger charme de fille. « Chêrêmêrê ! La go dure ! » : Les apprentis-gbaka la saluent avec un respect digne d’un caïd de quartier. Des passagers déjà montés dans d’autres gbaka stationnés au trottoir, lèvent la main vers elle. Chêrêmêrê, munie d’une clope (cigarette), répond presqu’indifféremment aux salutations. Elle tire habilement deux bouffées de fumée, les fait ressortir comme un vrai mec, frappe la portière de son véhicule pour presser les clients de monter. Ensuite, d’un geste leste, elle s’agrippe à la portière du véhicule, soulève ses jambes minces un moment, et fait des accrobaties spectaculaires. Le chauffeur reprend la chaussée, le gbaka file en trombe vers Adjamé…
Cette image frappe, éblouit, et, en même temps, sucite des interrogations...
Nous attendons Chêrêmêrê sur le trottoir. Une heure après son véhicule réapparaît, revenant d’Adjamé. Curieux comme une belette, nous grimpons dans le gbaka. Destination Anyama. Pendant le trajet, elle reste accrochée à la porte, demande de temps en temps les arrêts : « marché de nuit !...dépot 9 !... » Et, quand un client descend, elle lance au chauffeur d’une voix porteuse : « ça gbra !» ou « serrer ! ». Elle saute au sol avant l’arrêt du véhicule, presse les clients de payer et remonte. Les passagers plaisantent beaucoup avec elle et l’inondent de questions. Nous tentons en vain d’en savoir sur elle. Elle n’a pas le temps.
Ayant reçu son programme de travaille, nous débarquons ce vendredi, chez elle à Abobo-pompe, derrière Abobo-Avocatier. C’est l’un de ces petits quartiers où l’on s’engouffre entre les pâtés de maisons précaires et les ruelles pleines de flaques d’eau, sans aucun repère. Ici, notre seule répère est le nom Chêrêmêrê. La connaissez-vous ? Evidemment, elle est bien connue dans son bled. Blanchisseurs, tailleurs, gérants de cabine, chacun nous indique où trouver le domicile de l’apprentie-gbaka.
Depuis 14 ans, je suis apprentie-gbaka
Elle habite dans une cour de deux bâtiments. L’une des entrées avec un rideau violet est celle de Chêrêmêrê. Il est 9h, elle s’y trouve encore, selon une fille qui fait la vaisselle. C’est sa cousine, elle va l’appeler. Chêrêmêrê sort torse nue, puis, surprise de nous voir, elle disparait vite dans la maison. Elle y reste cachée pendant une dizaine de minutes. Puis, elle ressort, vêtue d’un tee-shirt et un pantalon court de couleur marron, toujours coiffée de sa casquette. C’est son jour de repos, dit-elle. Les jours comme-ça, elle n’en a que deux dans la semaine : le vendredi et le mardi. « Vous avez de la veine, je sortais à l’instant même», fait-elle remarquer de sa voix qui porte comme un mégaphone. Elle ne s’assoit jamais à la maison, ajoute sa cousine et son frère, chez qui Chêrêmêrê habite, quand elle n’est pas chez sa tante à Treichville, avenue 16, rue 25. Cette dernière est presqu’une mère pour elle, ses parents biologique n’étant plus depuis 1998. Trois ans plus tôt, en 1995, Chêrêmêrê faisait son premier voyage dans un gbaka en temps qu’apprentie. « Mes parents, jusqu’à leur mort, n’ont jamais su que j’étais apprentie-gbaka. Mais, ils ne seraient pas d’accord que j’exerce ce métier », explique-t-elle assise sur un tabouret, la face perlante de sueur comme si elle venait de faire un marathon. Elle démeure, selon elle, la première fille apprentie-gbaka en Côte d’Ivoire. Et tout a commencé quand elle cherchait sa pitance quotidienne en tant que strip-teaseuse de bar en bar à Koumassi.
Je veux être chauffeur de gbaka.
Elle ne s’appelait qu’Awa Diabaté, son nom à l’Etat civile. « À cause de mes amis qui étaient tous des apprentis-gbakas, j’ai quitté les bars pour m’aventurer dans le transport », raconte-t-elle en essuyant la sueur sur son visage avec une pochette. Son premier voyage, accrochée à la portière d’un gbaka, c’est sur la ligne Abobo - Adjamé Zoo qu’elle le fait. Ça n’a pas été facile. « J’ai pris un long palu avant de m’adapter, parce que j’ai eu ensuite mal au corps. Je ne prennais pas le métier au sérieux », explique-t-elle. C’est en ce moment que ses amis apprentis lui trouvent ce nom connu de Chêrêmêrê. « Je ne sais même pas d’où est-ce qu’il sort, ni ce que cela signifie », confesse-t-elle. Apès tant d’années passées à faire le métier en dilettante, c’est finalement en 2007 qu’elle décide de faire de l’apprentie-gbaka son unique travaille de rente. Elle va tenter par la suite d’initier plusieurs filles à ce métier sans y parvenir. Ces dernières trouvent cela insupportable. Mais, n’est-ce pas en réalité le cas pour une fille?
J’aurai du être un mec
Chêrêmêrê sort un paquet de cigarette de la poche de son pantalon et allume une clope, elle tire quelques bouffées et répond avec conviction: « Je crois que j’aurais du venir garçon ». Sa face maigre et ténébreuse, à moitié couvert par sa casquette reste songeuse. Elle ajoute : « j’aime ce métier. Je cours, je saute sur les gbakas mieux que les garçons, et puis, je fais de meilleures recettes». Pour les risques, elle n’en voit pas du tout. Nous rappelons que Moïse, l’un de ses patrons, qui fait la ligne Abobo-Adjamé pense qu’elle est plutôt fragile: « Elle se blesse trop ». Elle semble contrariée par cette remarque, comme un dur-à-cuir qui refuse qu’on parle de ses faiblesses. Entre deux bouffées de fumée, elle explique que depuis près de 14 ans qu’elle exerce ce métier, c’est seulement il y a un mois qu’elle est tombée du gbaka. « C’était la première fois que je tombe d’un gbaka. Et c’était la faute d’une cliente. J’avais depassé son arrêt, elle m’a interpellée vivement, j’ai signalé le chauffeur et j’ai voulu sauter au sol. Mais, ma main est restée coincée à la portière et je suis tombée », raconte-t-elle en nous montrant des blessures cicatrisée à la main et au génou. Qu’elle avenir il y a-t-il pour une femme d’exercer ce métier? Chêrêmêrê gagne entre 7.000 et 8.000 Fcfa par jour lorsqu’elle travaille et elle économise pour devenir chauffeur de gbaka. C’est un avenir, ça, dit-elle. Sa cousine, assise sur une dalle de la cour n’est pas de cet avis. Et elle intervint énergiquement : si ça ne tenait qu’à elle, Awa Diabaté ne serait jamais devenue Chêrêmêrê, elle serait commerçante. « C’est vrai qu’elle est respectueuse. Mais, elle a commencé ce métier depuis 1995 et n’a encore rien réalisé », se plaint-elle. Lorsque Chêrêmêrê parvient à mettre quelques sous de côté, elle préfère encore aller boire de la bierre avec ses petits copains. Ah oui, l’alcool, elle l’adore bien ! Et, l’apprentie-gbaka, âgée de 24 ans, n’a pas froid aux yeux en le disant : « J’aime la bierre et quand je n’en gagne pas, je prends du café noir. » D’ailleurs, elle en a envie et elle ne peut plus se retenir. Elle propose que nous allions au bord de l’autoroute au « Dépôt 9 » où se trouve un kiosque de café noir. Sur le chemin, comme une star qui sort faire les cent pas, on l’appelle de partout pour la saluer. « Alors, mon fils, ça va! Ma vieille mère choco ! Vieux môgô, ce n’est pas comme-ça, hein ! Tu ne ‘‘science’’ même pas», repond-elle. Elle est, dit-elle, sans façon, jamais rancunière. C’est pour ça qu’on l’aime.
Les policiers ne me rackettent pas!
Sur ce point, ses patrons la trouvent…profitable. Que ce soit Moïse où Diakité avec qui elle travaille en ce moment. Chêrêmêrê est pleine de qualité que rechercherait n’importe qu’elle chauffeur pour son apprenti. Lorsqu’elle est à la porte d’un gbaka, les clients, toujours surpris de voir une fille exercer ce métier, veulent monter dans son véhicule. Mais, il n’y a pas que ça. « Les policiers ne me sifflent pas. Le Cecos (Centre de commandement des opérations de sécurité), ne rackette pas le gbaka quand je suis là. Surtout, le Cecos 23, 22 et 21. Ce sont mes vieux pères (grands frères), ils me respectent pas», affirme-t-elle avec fierté. Elle est aussi connue des syndicats qui évitent de trop emmerder le chauffeur quand ils la voient. Mais, surtout, elle ne gbêrê pas (cacher une partie de la recette), selon ses propres termes. « Les chaufeurs aiment ça. Quand je veux gbêrê, c’est pour payer mon paquet de cigarette, ma pochette ou mon café noir », ajoute-elle. « En plus, je suis sentimentale dans mon travaille. Quand le client n’a rien pour payer le trajet, je le transporte gratuitement.»
De sa démarche de fille coriace, elle arrive à un kiosque de café noir, au « Dépôt 9 ». Elle empoigne sur le champ le gérant par les cols, le brutalise. Ils plaisantent en riant. Les clients, des habitués du coin, la saluent avec respect : « La vieille mère Chêrêmêrê! » Elle prend son « expresso bien sérré », le troisième de la journée, dit-elle. « Hier, j’ai travaillé de 4 h à 22h ». Elle a donc bésoin de se remettre à bloc. Elle avale son café noir, d’un trait. Elle se gave toujours de stimulants. « La seule chose que je ne fais pas, c’est consommer la drogue ». Elle va acheter trois cigarettes dans un tablier à côté, les met dans le paquet qu’elle a en poche et allume une.
Les autres apprentis me respectent
Des gbakas venant d’Anyama stationnent devant elle sur le trottoir. Les apprentis la saluent avec respect. S’ils la respectent, dit-elle, c’est parce qu’elle travaille bien. Tout ceci est bien beau, mais, a-t-elle quelqu’un dans sa vie ? Bien entendue ! « Il habite Treichville. C’est un démarcheur qui aide les personnes à échanger les vieux billets de banque ». Avec lui, elle a une fille de 8 ans : Kadi. Cette dernière habite chez sa tante à Treichville. Son prince charmant, selon elle, n’est pas dérangé par ce qu’elle fait. Au contraire, il est jaloux et a peur qu’elle le trompe. « C’est parce que nous nous voyons rarement, deux fois par mois au plus». Mais, alors, comment gèrent-ils leur sexualité ? Chêrêmêrê n’aime pas ce terme, parce qu’elle n’a pas très souvent envie de faire l’amour. «La plus part de mes amis sont des agrçons. En plus, le métier est tellement risquant qu’il faut éviter de faire l’amour avant d’aller travailler. C’est pour ça que nous faisons au plus l’amour deux fois dans le mois », explique-t-elle. Drôle de couple, drôle de fille et drôle de vie, c’est ce que l’on peut retenir de ce nom : Chêrêmêrê.
Raphaël Tanoh
Leg : Chêrêmêrê a tenté d’initier plusieurs filles à ce métier sans y parvenir.
Chêrêmêrê: « Je suis la première fille apprentie-gbaka »
Rendue singulière et presque populaire par son métier d’apprentie-gbaka, Chêrêmêrê a accpeté d’ouvrir son cœur à votre quotidien préféré. Diabaté Awa, son vrai nom, a sa façon à elle de ‘‘sciencer’’ la vie…
Difficile de passer inaperçue malgré l’ambiance tonitruante qui règne à Abobo-gare entre passants, commerçants et les files interminables de gbaka (véhicules de transport commun) qui arrivent d’Anyama ou Pk18. Accrochée à la portière d’un gbaka, une fille qui a tout d’un garçon, vient de serrer sur l’un des trottoirs de l’autoroute pour prendre des clients. « Ça gbra (ça descend)!», lance-t-elle au chauffeur. C’est l’etonnement et tout le monde la regarde. Une apprentie-gbaka ? Le fait est rare, voire rarissime à Abidjan. Ce métier pénible et mal vue étant réservé aux garçons. Et encore, faut-il être un dur pour ces derniers, un infatigable. À première vue, on pourrait se meprendre et la confondre à un garçon en voyant sa silhouette mince coiffée d’une casquette blanche, son pantalon noir déchiré tendantieusement au niveau des cuisses et des pieds et sa chemise bleue qui couvre un tee-shirt. Ce n’est qu’en faisant attention à sa poitrine saillie par deux petits seins fermes et à ses sandales de femme que l’on se rend compte que c’est bien une fille. Elle a un visage émacié, très noir, avec de petites pommettes dures et un regard vif et défiant de vieux routier. Ses grosses lèvres de garçon ruminent un chewing-gum. Et sur cette face rigide, il n’y a que ses oreilles perforées chacune de plusieurs trous et le mascara sous les yeux qui laissent un leger charme de fille. « Chêrêmêrê ! La go dure ! » : Les apprentis-gbaka la saluent avec un respect digne d’un caïd de quartier. Des passagers déjà montés dans d’autres gbaka stationnés au trottoir, lèvent la main vers elle. Chêrêmêrê, munie d’une clope (cigarette), répond presqu’indifféremment aux salutations. Elle tire habilement deux bouffées de fumée, les fait ressortir comme un vrai mec, frappe la portière de son véhicule pour presser les clients de monter. Ensuite, d’un geste leste, elle s’agrippe à la portière du véhicule, soulève ses jambes minces un moment, et fait des accrobaties spectaculaires. Le chauffeur reprend la chaussée, le gbaka file en trombe vers Adjamé…
Cette image frappe, éblouit, et, en même temps, sucite des interrogations...
Nous attendons Chêrêmêrê sur le trottoir. Une heure après son véhicule réapparaît, revenant d’Adjamé. Curieux comme une belette, nous grimpons dans le gbaka. Destination Anyama. Pendant le trajet, elle reste accrochée à la porte, demande de temps en temps les arrêts : « marché de nuit !...dépot 9 !... » Et, quand un client descend, elle lance au chauffeur d’une voix porteuse : « ça gbra !» ou « serrer ! ». Elle saute au sol avant l’arrêt du véhicule, presse les clients de payer et remonte. Les passagers plaisantent beaucoup avec elle et l’inondent de questions. Nous tentons en vain d’en savoir sur elle. Elle n’a pas le temps.
Ayant reçu son programme de travaille, nous débarquons ce vendredi, chez elle à Abobo-pompe, derrière Abobo-Avocatier. C’est l’un de ces petits quartiers où l’on s’engouffre entre les pâtés de maisons précaires et les ruelles pleines de flaques d’eau, sans aucun repère. Ici, notre seule répère est le nom Chêrêmêrê. La connaissez-vous ? Evidemment, elle est bien connue dans son bled. Blanchisseurs, tailleurs, gérants de cabine, chacun nous indique où trouver le domicile de l’apprentie-gbaka.
Depuis 14 ans, je suis apprentie-gbaka
Elle habite dans une cour de deux bâtiments. L’une des entrées avec un rideau violet est celle de Chêrêmêrê. Il est 9h, elle s’y trouve encore, selon une fille qui fait la vaisselle. C’est sa cousine, elle va l’appeler. Chêrêmêrê sort torse nue, puis, surprise de nous voir, elle disparait vite dans la maison. Elle y reste cachée pendant une dizaine de minutes. Puis, elle ressort, vêtue d’un tee-shirt et un pantalon court de couleur marron, toujours coiffée de sa casquette. C’est son jour de repos, dit-elle. Les jours comme-ça, elle n’en a que deux dans la semaine : le vendredi et le mardi. « Vous avez de la veine, je sortais à l’instant même», fait-elle remarquer de sa voix qui porte comme un mégaphone. Elle ne s’assoit jamais à la maison, ajoute sa cousine et son frère, chez qui Chêrêmêrê habite, quand elle n’est pas chez sa tante à Treichville, avenue 16, rue 25. Cette dernière est presqu’une mère pour elle, ses parents biologique n’étant plus depuis 1998. Trois ans plus tôt, en 1995, Chêrêmêrê faisait son premier voyage dans un gbaka en temps qu’apprentie. « Mes parents, jusqu’à leur mort, n’ont jamais su que j’étais apprentie-gbaka. Mais, ils ne seraient pas d’accord que j’exerce ce métier », explique-t-elle assise sur un tabouret, la face perlante de sueur comme si elle venait de faire un marathon. Elle démeure, selon elle, la première fille apprentie-gbaka en Côte d’Ivoire. Et tout a commencé quand elle cherchait sa pitance quotidienne en tant que strip-teaseuse de bar en bar à Koumassi.
Je veux être chauffeur de gbaka.
Elle ne s’appelait qu’Awa Diabaté, son nom à l’Etat civile. « À cause de mes amis qui étaient tous des apprentis-gbakas, j’ai quitté les bars pour m’aventurer dans le transport », raconte-t-elle en essuyant la sueur sur son visage avec une pochette. Son premier voyage, accrochée à la portière d’un gbaka, c’est sur la ligne Abobo - Adjamé Zoo qu’elle le fait. Ça n’a pas été facile. « J’ai pris un long palu avant de m’adapter, parce que j’ai eu ensuite mal au corps. Je ne prennais pas le métier au sérieux », explique-t-elle. C’est en ce moment que ses amis apprentis lui trouvent ce nom connu de Chêrêmêrê. « Je ne sais même pas d’où est-ce qu’il sort, ni ce que cela signifie », confesse-t-elle. Apès tant d’années passées à faire le métier en dilettante, c’est finalement en 2007 qu’elle décide de faire de l’apprentie-gbaka son unique travaille de rente. Elle va tenter par la suite d’initier plusieurs filles à ce métier sans y parvenir. Ces dernières trouvent cela insupportable. Mais, n’est-ce pas en réalité le cas pour une fille?
J’aurai du être un mec
Chêrêmêrê sort un paquet de cigarette de la poche de son pantalon et allume une clope, elle tire quelques bouffées et répond avec conviction: « Je crois que j’aurais du venir garçon ». Sa face maigre et ténébreuse, à moitié couvert par sa casquette reste songeuse. Elle ajoute : « j’aime ce métier. Je cours, je saute sur les gbakas mieux que les garçons, et puis, je fais de meilleures recettes». Pour les risques, elle n’en voit pas du tout. Nous rappelons que Moïse, l’un de ses patrons, qui fait la ligne Abobo-Adjamé pense qu’elle est plutôt fragile: « Elle se blesse trop ». Elle semble contrariée par cette remarque, comme un dur-à-cuir qui refuse qu’on parle de ses faiblesses. Entre deux bouffées de fumée, elle explique que depuis près de 14 ans qu’elle exerce ce métier, c’est seulement il y a un mois qu’elle est tombée du gbaka. « C’était la première fois que je tombe d’un gbaka. Et c’était la faute d’une cliente. J’avais depassé son arrêt, elle m’a interpellée vivement, j’ai signalé le chauffeur et j’ai voulu sauter au sol. Mais, ma main est restée coincée à la portière et je suis tombée », raconte-t-elle en nous montrant des blessures cicatrisée à la main et au génou. Qu’elle avenir il y a-t-il pour une femme d’exercer ce métier? Chêrêmêrê gagne entre 7.000 et 8.000 Fcfa par jour lorsqu’elle travaille et elle économise pour devenir chauffeur de gbaka. C’est un avenir, ça, dit-elle. Sa cousine, assise sur une dalle de la cour n’est pas de cet avis. Et elle intervint énergiquement : si ça ne tenait qu’à elle, Awa Diabaté ne serait jamais devenue Chêrêmêrê, elle serait commerçante. « C’est vrai qu’elle est respectueuse. Mais, elle a commencé ce métier depuis 1995 et n’a encore rien réalisé », se plaint-elle. Lorsque Chêrêmêrê parvient à mettre quelques sous de côté, elle préfère encore aller boire de la bierre avec ses petits copains. Ah oui, l’alcool, elle l’adore bien ! Et, l’apprentie-gbaka, âgée de 24 ans, n’a pas froid aux yeux en le disant : « J’aime la bierre et quand je n’en gagne pas, je prends du café noir. » D’ailleurs, elle en a envie et elle ne peut plus se retenir. Elle propose que nous allions au bord de l’autoroute au « Dépôt 9 » où se trouve un kiosque de café noir. Sur le chemin, comme une star qui sort faire les cent pas, on l’appelle de partout pour la saluer. « Alors, mon fils, ça va! Ma vieille mère choco ! Vieux môgô, ce n’est pas comme-ça, hein ! Tu ne ‘‘science’’ même pas», repond-elle. Elle est, dit-elle, sans façon, jamais rancunière. C’est pour ça qu’on l’aime.
Les policiers ne me rackettent pas!
Sur ce point, ses patrons la trouvent…profitable. Que ce soit Moïse où Diakité avec qui elle travaille en ce moment. Chêrêmêrê est pleine de qualité que rechercherait n’importe qu’elle chauffeur pour son apprenti. Lorsqu’elle est à la porte d’un gbaka, les clients, toujours surpris de voir une fille exercer ce métier, veulent monter dans son véhicule. Mais, il n’y a pas que ça. « Les policiers ne me sifflent pas. Le Cecos (Centre de commandement des opérations de sécurité), ne rackette pas le gbaka quand je suis là. Surtout, le Cecos 23, 22 et 21. Ce sont mes vieux pères (grands frères), ils me respectent pas», affirme-t-elle avec fierté. Elle est aussi connue des syndicats qui évitent de trop emmerder le chauffeur quand ils la voient. Mais, surtout, elle ne gbêrê pas (cacher une partie de la recette), selon ses propres termes. « Les chaufeurs aiment ça. Quand je veux gbêrê, c’est pour payer mon paquet de cigarette, ma pochette ou mon café noir », ajoute-elle. « En plus, je suis sentimentale dans mon travaille. Quand le client n’a rien pour payer le trajet, je le transporte gratuitement.»
De sa démarche de fille coriace, elle arrive à un kiosque de café noir, au « Dépôt 9 ». Elle empoigne sur le champ le gérant par les cols, le brutalise. Ils plaisantent en riant. Les clients, des habitués du coin, la saluent avec respect : « La vieille mère Chêrêmêrê! » Elle prend son « expresso bien sérré », le troisième de la journée, dit-elle. « Hier, j’ai travaillé de 4 h à 22h ». Elle a donc bésoin de se remettre à bloc. Elle avale son café noir, d’un trait. Elle se gave toujours de stimulants. « La seule chose que je ne fais pas, c’est consommer la drogue ». Elle va acheter trois cigarettes dans un tablier à côté, les met dans le paquet qu’elle a en poche et allume une.
Les autres apprentis me respectent
Des gbakas venant d’Anyama stationnent devant elle sur le trottoir. Les apprentis la saluent avec respect. S’ils la respectent, dit-elle, c’est parce qu’elle travaille bien. Tout ceci est bien beau, mais, a-t-elle quelqu’un dans sa vie ? Bien entendue ! « Il habite Treichville. C’est un démarcheur qui aide les personnes à échanger les vieux billets de banque ». Avec lui, elle a une fille de 8 ans : Kadi. Cette dernière habite chez sa tante à Treichville. Son prince charmant, selon elle, n’est pas dérangé par ce qu’elle fait. Au contraire, il est jaloux et a peur qu’elle le trompe. « C’est parce que nous nous voyons rarement, deux fois par mois au plus». Mais, alors, comment gèrent-ils leur sexualité ? Chêrêmêrê n’aime pas ce terme, parce qu’elle n’a pas très souvent envie de faire l’amour. «La plus part de mes amis sont des agrçons. En plus, le métier est tellement risquant qu’il faut éviter de faire l’amour avant d’aller travailler. C’est pour ça que nous faisons au plus l’amour deux fois dans le mois », explique-t-elle. Drôle de couple, drôle de fille et drôle de vie, c’est ce que l’on peut retenir de ce nom : Chêrêmêrê.
Raphaël Tanoh
Leg : Chêrêmêrê a tenté d’initier plusieurs filles à ce métier sans y parvenir.
Commentaires
Enregistrer un commentaire