ABIDJAN: DANS L'UNIVERS DE LA FRAUDE FISCALE



Le juge du tribunal des flagrants délits vient de condamner 5 vendeurs ambulants pour fraude fiscale et résistance à l’impôt. Les 5 commerçants ont écopé d’une lourde peine : 5 ans fermes. Ce sont A. Oumarou, 41 ans, vendeur ambulant à Treichville, A. Aboubacar, 34 ans, vendeur de pièces de voiture à Marcory, Guilly D., 33ans, vendeur ambulant de sacs à main au Plateau, L. A.Fabrice, 20 ans, vendeur d'éponges au marché de Belleville (Treichville) et Abdoulaye A., 27 ans, vendeur ambulant d'assiettes. Arrêtés le 5 juin par la police du District, ils ont été conduits au tribunal du Plateau ce 26 juin. Lors du procès, le procureur a rappelé que cette activité frauduleuse tue à dessein l’économie. Avant de requérir une peine exemplaire. « C’est un message fort que nous devons lancer », s’était-il exclamé. Malgré ces efforts, le « message » est resté entre les murs des flagrants délits. Dehors, dans les rues bouillonnantes d’Abidjan, la résistance aux impôts continue son petit bonhomme de chemin…Et le tribunal du Plateau continue de distribuer aux petits vendeurs ambulants des peines et des amendes. On le voit, le 20 juillet. 3 vendeurs ambulants accusés de résistance à l’impôt sont condamnés à payer au Trésor 100.000 Fcfa chacun. Ouédraogo Boukary, Traoré Daouda et Sacko Bandia, âgés entre 19 et 45 ans, se sont exprimés en ces termes au juge : « M. le juge, on n’a pas d’autre boulot. » Qui sont-ils ? Pourquoi continuer d’exercer un métier « interdit » pour lequel on risque la prison, comme un criminel ? Pour percer le mystère de ces vendeurs ambulants, nous en avons approchés. L’approche est d’autant plus facile qu’ils n’attendent que ça. « Hep ! C’est combien les chaussures ? » Nous avons en face de nous trois jeunes qui parcourent les rues des II Plateaux 7ème tranche, à pied. Ils ont la tête et le dos chargés de marchandises divers, le regard baladeur à la recherche d’un potentiel client. Ils s’arrêtent à notre appel. Le premier, qui porte un sac en bandoulière et des spécimens de chaussures en main, est le concerné. Les deux autres vendeurs ambulants qui se présentent comme Abdoulaye et Oumar, l’attendent. Ils portent des cartons de parfums exotiques et des télécommandes de différentes marques. Ils proposent tout de même: « Les parfums, ce n’est pas chers : 1000 Fcfa à débattre. Les télécommandes aussi, il y a tous les prix.» Les parfums tout comme les télécommandes sont alléchants vu leurs diversité et leurs prix abordables. On se demande même si ce sont des produits authentiques. Abdoul Aziz, le vendeur de chaussure exhibe sa marchandise. « Les mocassins ? Un peu féminin. Les baskets, ça ne fait pas sérieux ». Loin de se décourager, Abdoul Aziz rassure plutôt avec un sourire qui décrispe sa face noire, émaciée. Le garçon arbore la vingtaine. Il porte un vieux tee-shirt bleu troué sur l’épaule et un pantalon-jean un peu court qui lui découpe la taille au niveau des tibias. Des « lèkès » (sandale pratique pour le sport) qu’ils portent lui permettent de semer police du District, selon lui.

De vrais magasins ambulants !

Il ouvre son sacoche en bandoulière posé sous ses pieds endurcis par la marche. Il sort des sandales pour homme. « ça, tu peux l’avoir à 2.000 Fcfa », propose-t-il. Trop cher. Il retire du sac des souliers, puis des espadrilles de différentes couleurs. La sacoche renflée contient d’autres chaussures. Par curiosité, nous lui demandons de déballer tous. Il sort d’autres souliers et des sandales. Un vrai magasin ambulant, son sacoche! « Je prend les souliers». Le vendeur crie 7.000 Fcfa. Puis, devant l’opiniâtreté de son client il propose: « 4.500 Fcfa, dernier prix. Ces chaussures, je les prends à 4.000 Fcfa.» En réalité, les chaussures sont moins chères. Les parfums et aussi les télécommandes sont vendus à des vils prix. Ils vous vendent le flacon de parfum à 900 Fcfa. Les mêmes parfums vendus dans les boutiques de Cocody à 2000 Fcfa. Les télécommandes se dilapident entre 1.000 et 2.000 Fcfa. Si bien que nous nous demandons où ces gens s’approvisionnent. Pour le savoir, inutile de leur faire une opération de filature. Vous risquerez de vous retrouver les pieds enflés. Ces jeunes quittent Abobo Banco à pied pour Adjamé, la Riviera, les II Plateaux puis Abobo Banco. Un vrai record de marche! Ceux qui connaissent Abidjan peuvent estimer la distance. Il suffit d’achetez une marchandise, ensuite faites semblant de vous intéresser à leur activité : « Tiens, ça doit marcher votre truc. J’ai un frère qui vient d’arriver, il n’a rien comme boulot, ça me plairait bien de le mettre dans ce job. Ce qui m’embête c’est comment lui trouver des marchandises. » Les commerçants sont taciturnes, un peu réservés. Mais lorsque nous achetons une paire de soulier avec Abdoul Aziz, il sort quelques mots : « Ce sont nos frères qui nous ont mis dans le circuit.» Oumar qui continue de proposer ses télécommandes intervient de temps en temps, mais reste méfiant. Abdoulaye, à qui ont peut donner 18 ans, bavarde sans gêne. Il est en Côte d’Ivoire depuis 4 ans. Avant de quitter son pays, il savait ce qu’il viendrait faire en terre d’Eburnie. Il vit chez son frère ainé à Abobo Banco dans un studio de 10.000 Fcfa, le loyer. Ce dernier était vendeur ambulant, comme lui, il y a presque réussi. Aujourd’hui, le frère d’Abdoulaye va chercher ses marchandises à Lomé (Togo). Le rêve d’Abdoul Aziz et d’Abdoulaye. La plupart de ces jeunes qui sont à Abobo Banco survivent grâce à la solidarité et l’ambition. Ils n’ont pas de copine, pour éviter de dépenser leurs petites économies. Ils gagnent à peine 25.000 Fcfa le mois. Ces jeunes ne fréquentent ni maquis ni boite de nuit. Le soir, c’est du thé qu’ils boivent autour d’un fourneau de feu. Aujourd’hui, Aziz et ces potes ne pourront pas nous conduire à Adjamé où ils s’approvisionnent. Le rendez-vous est pris pour le lendemain.


Le nid de la fraude

Ce mardi, le bouillonnement du Forum d’Adjamé nous happe. Nous longeons tant bien que mal la boulevard Nangui Abrogoa jusqu’au niveau de la mairie. A droite, un petit marché appelé « Délégation ». De face, c’est un pullulement de petits magasins. Ces boutiques longent une ruelle sur laquelle piétons et véhicules luttent le passage. Camions, taxis, pousse-pousse, vendeurs ambulants, ménages, etc. Les jeunes que nous suivons saluent des commerçants installés sous leurs petits boxes remplis à craquer de brosse à dents, sachets plastiques, thés, cirages, éponges, chaussures, parfums, etc. Mais, le meilleur est derrière cette façade. En empruntant des couloirs restreints occupés par des commerçants, on pénètre en plein cœur de « Délégation ». C’est un labyrinthe sombre de boxes de marchandises, où la lumière filtre difficilement. Il y a ici tout ce que vous cherchez. De l’électronique au vestimentaire en passant par l’alimentaire. Les vendeurs ambulants que nous accompagnons s’arrêtent devant un vendeur de télécommande. Le garçon à peine 17 ans, bricole une télécommande sur le comptoir. Presque toutes les marques de télécommandes se retrouvent dans le magasin. Certains, faussement emballés, d’autres de seconde main, entassés dans des caisses. « Ce sont des authentiques », rassure le vendeur qui ne parle pas beaucoup. Les jeunes que nous suivons viennent prendre des commandes, pour 25.000 Fcfa. L’unité leur est vendue entre 7.00 Fcfa et 1.000 Fcfa. Vous trouverez difficilement un coin aussi moins cher que « Délégation » ! Il est difficile de bénéficier de ces prix si vous n’êtes pas dans le « réseau ». On tentera par exemple de vous vendre les mêmes télécommandes de 7.00 et 1.000 Fcfa à 1.200 Fcfa l’unité, voire 1.400 Fcfa. Aziz et Abdoulaye ont intégré ce monde grâce à leurs proches. C’est une famille de vendeurs ambulants connus ici. Et tout comme eux, c’est là que la plupart des jeunes viennent s’approvisionner. Vous devez sûrement vous demander pourquoi ces magasins vendent aussi moins cher ? Eh bien, nous-nous posons la même question, figurez-vous. Ce qui intrigue, c’est qu’on n’a délivré aucun reçu aux vendeurs ambulants venus s’approvisionner. Chut ! On ne parle surtout pas de taxes Tva ni de facture proformat. Et, évitez de poser trop de questions.

On laisse les grosses têtes en liberté

Les marchandises viennent en grande partie des pays de l’Asie du Sud-Est, du Togo etc. Vous pouvez vendre ici sans avoir de magasin. « Mon frère n’a pas de magasin, il laisse ses marchandises dans un magasin ici quand-il vient de Lomé », explique l’un des jeunes que nous avons suivi. Adjamé « Délégation » n’est pas le seul réseau qu’utilisent ces vendeurs qui résistent aux impôts. « Je suis à Avocatier. Je vends pour mon patron à Agbekoi. Quand il arrive avec ses marchandises de Chine, il nous appelle et nous les écoulons sur le marché. Chacun à 20% sur chaque marchandise vendue», explique Olivier, un jeune de 25 ans. Il vend des marqueurs à 700 Fcfa, des boites de CD, à 600Fcfa, des paniers à 1200 Fcfa. Il dit avoir frappé partout sans avoir du boulot. Voici donc son gagne pain : trimballer ce stock dans les rues d’Abidjan, sous le soleil. Tout comme Aziz et Abdoulaye, sa plus grande recette n’excède pas 25.000 Fcfa dans le mois. Nous avons cherché à rencontrer le patron d’Olivier à Abobo Agbekoi. Ce dernier, comme l’a signifié le vendeur ambulant, n’a pas de magasin. Le rendez est pris pour ce mardi soir à la gare d’Abobo. Olivier ne se pointe pas, son numéro ne passe pas non plus. Une chose est sûre, son patron n’a pas de magasin, il n’est pas déclaré au registre de commerce et il délivre encore moins des reçus à ses clients. Tout comme la police peut s’en douter, ces petits vendeurs ambulants ne sont que la face émergeante de l’Iceberg. Les gros loups sont tapis dans l’ombre et manipulent aisément tout ce système de fraude qui étend ses tentacules dans la rue. La municipalité reste passive. « On ignorait que ce type de pratiques se faisait près de la mairie, à Délégation. Nous allons prendre des dispositions », s’étonne Youssouf Sylla, le maire d’Adjamé. Seule la fraude explique les prix bas que ces grossistes affichent. Le maire s’est dit surpris qu’un vendeur livre des marchandises en gros sans Tva, ni reçu. Quand à la loi, elle attend des noms, des preuves. « Lors de leurs procès, les vendeurs ambulants refusent en général de livrer leurs patron où leur fournisseurs », explique Me Traoré Drissa.

Une enquête de Raphaël Tanoh
Leg : Délégation, près de la mairie d’Adjamé.

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