Brejnev: Un non-voyant chez les Dj




Courageux, talentueux, ouvert, mais…non-voyant. Aujourd’hui, après près de 20 ans passés à lutter pour réussir, comme une personne normale, l’handicape de Zaté Brèjnev continue d’être un obstacle à tous ses projets. Portrait d’un révolté.

Assis dans l’une des deux rangées de sièges rembourés du Douhohou-Bar, nous avons de la peine à avaler une sucrérie trop chère payée à 700 Fcfa. Du coup, ce bar de Yopougon Groupement-foncier, flamboyant de ses jeux de lumière à l’entrée, nous fait méditer sur la surenchère des boissons dans ces lieux chics. Quand, soudain, une voix suave et pénétrante de DJ (Disco Jocker) sortie on ne sait d’où embaume le bar. Les trois boomers installés dans chaque angle de la maison répercutent agréablement la voix qui cotoie la musique, l’alterne bien, avant de la laisser jouer, puis, reprend, comme un parfait dragueur. Entre la lueur chatoyante des jeux de lumière de la salle et la climatisation qui cogne, l’ambiance commence à plaire. Mais, ce qui plait le plus c’est cette voix, dont nous venons de le remarquer, provient d’une petite cabine vitrée à l’entrée de la salle. A l’intérieur, le Dj, muni d’un casque est ployé sur sa platine. Derrière lui, une petite étagère un peu mal éclairée où sont rangés des Cd (compact disc). Nous prenons plaisir à le regarder faire ses atalakus, des samples, des mixages millimétrés, à manier la platine en vrai pro. Ce n’est pas nouveau certes, seulement, ce Dj-là est aveugle…et génial.
Zaté Brèjnev, himself, est concentré. De ses 1,70 mètres et ses 62 kg, l’enfant térrible de la platine nous régale. Sa face énigmatique avec une fine moustache et une barbichette menue montre déjà une certaine minutie. Comment fait-il, lui qui ne voit rien? Son habitude devant les appareils de sons lui a permis de déviner l’emplacement des touches. Mais, pour ce qui est des Cd qu’il faut jouer, c’est un travail collosal. En effet, n’étant pas en mesure de déviner que tel ou tel est un Cd de R&B ou de Zouglou, il doit faire un travail préalable : marquer chaque pochette d’un signe : un triangle, un rond, une croix, dont il est le seul à déviner par le toucher à quel genre musical appartient chaque signe. Un boulot pas toujours aisé, car il arrive que certains de ses collègues Dj déplacent sort un Cd de sa pochette sans le prevenir. Heureusement qu’il se sert toujours de son casque pour écouter avant de distiller le son. Ce qui explique que le Dj doit rester concentré jusqu’à la fin. Pour l’anedocte, un jour qu’il était en train de faire ses atalakus, un client qui ne savait pas qu’il est aveugle est venu lui demander de changer de musique, puis, ayant remarqué son handicape il lui a lancé : « Oh, laisse tomber, je ne savais pas que tu es aveulgle ».
Le Dj sort de la cabine pour prendre de l’air dehors. Il paye une cigarette dans un kiosque l’allume, tire des bouffées, sa canne blanche en main. Son visage est lointain. Et on peut y lire un air de revolte mal voilé, comme s’il n’avait pas assez de champ pour se libérer, se déchainer. Comme le dit la chanson des subdigitals : « qu’est-ce que je peux faire, coincé sur ma chaise…déchainez-moi ». Malgré le contrat qu’il a signé avec le Douhahou-Bar de Yopougon et un autre avec le bar, La 5ème dimession à Koumassi 05, le Dj ne parvient pas véritablement à « s’envoler ». Au Douhahou-Bar, il partage la platine avec deux Dj, à la 5ème dimension, c’est une démi-dizaine de Dj. Son talent n’est plus à démontrer. « C’est un bon Dj, ce qui m’a séduit en lui, c’est la voix, son parler sans grossiérté, ses mixages», peut confirmer un client du bar. Que lui faut-il encore ? Pour Brejnèv, déjà 30 ans, il mérite plus que « ça ». Il est en train de préparer discrètement son album qui reste pour lui l’unique porte de sortie. Si le couple aveulge, Amadou et Mariam a réussit, pourquoi pas lui. Il espère seulement qu’au dernier moment on ne viendrait pas lui servir le même refrain : « Un chanteur non-voyant, pas question ! »
Comment ne pas être inquiet quand on a cotoyé Marie Cathérine Kouassi, Dj Jacob, Dj Luciano et des grands du monde du Showbiz ; quand on a soi-même a formé de brillant Dj et que malgré tout on reste sur la touche à cause de son handicape…

Marie Cathérine Kouassi, le souffle de vie.

Jusqu’en classe de troisième, ses parents planteurs n’ont plus d’argent pour payer ses études. Etant au lycée moderne de Yopougon, le « petit » Brejnev non-voyant de naissance, fait la rencontre de Marie Cathérine Kouassi alors son professeur de français et animatrice à Fréquence 2. Elle est attirée par sa voix et son éloquence et lui propose de participer à l’une de ses émissions « les amis de la vie », dans laquelle des artistes connus sont conviés. Brèjnev a l’occasion de toucher le monde musical. Plus tard, Marie Cathérine Kouassi décide de lui accorder plus d’importance dans ses émissions et Brèjnev peut même à certaines émissions, poser des questions aux invités. En somme, cette femme lui insuffle l’envie, la confiance en soi-même. Et il peut souvent se rappeler: « Elle m’a appris à me battre, moi, le non-voyant qui n’était pas le premier. Elle m’a donné une âme de battant, elle m’a appris à ne pas faire les choses à moitié. » Et, Aujourd’hui quand il veut se lancer dans une aventure à risque et qu’il songe à sa condition, pour se rémonter, il se dit : « moi qui étais avec Marie Cathérine Kouassi…pourquoi ne pas faire ça…» Mais, la flamme ambitieuse qu’elle lui a communiquée va vasciller, manquer de s’éteindre : Marie Cathérine Kouassi se retire de l’animation en 1994 ; Brèjnev est sur le carreau.
Gràce à elle il a pu atteindre la classe de terminale mais, que va-t-il devenir ? Brèjnev ne peut voir, il ne peut qu’entendre et il décide de suivre le son de la musique. En 1994, le rap cartonne. Son talent ajouté à son handicape font de lui un mythe. Le « seigneur du hardcore » (rap violent par les paroles). Il lui a fallu se battre comme il sait le faire. « C’est un battant, très ouvert », peut affirmer l’un des amis, Lucien Bahi Fallé avec qui Brèjnèv fait l’institut des aveugles. Il intégre le groupe « Zone rap » avec MC Claver.

Dj Jacob, les léçons d’une carrière de Dj

Mais, comme une ombre, la déception le suit. À un concert pour handicapé organisé par l’Ong Servir, Brèjnev s’apprête à monter sur le podium. Un animateur, aujourd’hui autorité de ce pays, qui peut sans doute se reconaître dans ces propos, lui dit : « Les personnes normales qui viennent dans la musique, ne réussissent pas, ce n’est pas un aveugle qui y arrivera… » Et comme aime le dire le directeur de la promotion des handicapé, Koné Victorien : « il n’y a rien de pire pour un handicapé que de lui montrer qu’il n’est rien, vous le tuer d’un coup de fusil». Mais, pour ce garçon, ces moquéries ont l’effet contraire : « A chaque fois que quelqu’un me dit cela, je veux lui montrer qu’il a tort ».
Pendant ses concerts, il fait une autre rencontre déterminante, celle de Dj Jacob. Quand il finissait de raper sur scène, Brèjnev venait s’assoir à la partie technique, près de Dj Jacob pour souffler. Curieux, il laissait sa main aller sur la platine du Dj pour toucher les touches, ce dernier lui criaient presque : « pas touche ! ». Têtue comme une mule, il continuait, posait des questions. « Qu’est-ce que je viens de toucher-là, à quoi sert-il ? ». Et Dj Jacob lui repondait d’un ton amusé. A plusieurs de ses concerts rap, lorsque Dj Jacob est là, c’est toujours ainsi. Hélà ! le rap qui était à ses yeux, le milieu où il le non-voyant pouvait s’exprimer librement, se revêtit d’un menteau sombre et dégoûtant : c’est la guerre des clans avec le feuilleton Almighty, Stezo. Il faut chosir son camp où être broyé. Il craque et jette l’éponge en 1995. Man cambelle qui avait des projets pour lui, préfère alors produire les SBJ (sages black du ghetto). En quittant le rap, Brèjnev met ainsi fin à ses sources de revenu. Il essaye d’approcher les radios de proximité pour se lancer dans l’animation. Notamment, Radio-Yopougon. Il est rejetté comme un malpropre : « non mais, un animateur non-voyant, et puis quoi encore ! ». S’il avait été choisi à cet instant, l’handicapé aurait pu avoir l’exprérience, le talent des grandes animatrices telles que Mariam Coulibaly : il l’a rencontré à Radio Yopougon. Elle a été choisie pendant qu’on lui disait qu’il n’était même pas fichu de voir le matiériel de travail.

Refoulé parce qu’il voulait être animateur

Il est au bord de la crise de nerf, plus d’issue. Bréjnev prend du récul, en 1998, peut-être pour mieux sauter. Pendant cette traversée du désert, le Dj se reveille peu à peu en lui. L’atalaku vient d’arriver en Côte d’Ivoire. Mais, après ses revers, il hésite à aller dans un maquis qu’il ne connaît pas. L’un de ses oncles qui tient alors un maquis sur la route de Dabou accepte de le prendre comme Dj. Il s’essaye dans plusieurs maquis sans jamais avoir le moindre salaire, bien qu’on le trouve bon : il sait manier les appareils, contrairement à beaucoup, il a la voix, les doigtés de Dj Jacob, le courage de Marie cathérine Kouassi. Et il tient surtout un langage respectueux avec un français limpide. Ce qui rend ses atalakus capativant et ses samples allèchants. Mais, l’homme a l’impression d’être abusé à chaque fois. On profite de sa situation de non-voyant pour le garder en éssaie. Il fait les célèbres bars tels que le Stade de France (Yopougon) qu’Erickson le Zulu vient de quitter. Pour la petite histoire, à son premier atalaku dans ce bar, croyant qu’Erickson le Zulu est de retour, les rivérains sont venus écouter. Mais, ce n’est que Brèjnev. Il ira ensuite au Nectar, puis, San Siro (Koumassi) Paterno (Marcory), la cour des grands où il reste au stade d’essaye. Puis, en 2008, le bonheur : Dj Luciano, le président des Dj de Côte d’Ivoire le prend dans son staff. Brèjnev le suit partout dans ses tournées et le fait participer aux spectacles. Et, puis, au Vandrôme, la célèbre boîte de nuit d’innocent Boro sangui, au Plateau. À un spectacle, tous les Dj chantent, à son tour, les clients se lévent pour l’arroser de billets de banque. Brèjnev ramasse en une seule soirée la coquette somme de 450.000 Fcfa. Une soirée, au cours de laquelle il y avait une sorte de duel entre Alex Funk, le président des Dj de Yopougon qui avait Dj Rodrigue, Serpent noir, Kila Bongo, alors que Luciano n’avait que lui, Niki Dollars et Dj Rome. Il leur a damné le pion. Comment ne pas rêver ! Mais, le rêve qui se brise si tôt : Dj Luciano ferme son bar, le Boulevard des stars à Biétry et arrête ses activités avec lui. Brèjnev revient à Yopougon. Il est à nouveau laissé sur la touche. A 30 ans, le voilà au point de départ.
Grâce à ses connaissances qui n’ignorent pas ses talents, il signe un contrat avec la 5ème dimension à Koumassi 05 et le Douhahou-bar à Yopougon Groupement foncier. Il est au Douhahou-bar le vendredi, puis, la 5ème dimension le samedi. Deux salaires qui lui permettent juste de joindre les deux bouts, car, il habite toujours chez son grand frère au Plateau Dokui, encore célibataire.
Il finit sa cigarette, souffle la dernière bouffée de fumée. Une jeune fille sort du bar, prend sa main et entre avec lui.

Raphaël Tanoh

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