"LA PRISON NE M'A PAS CHANGÉ": Aguibou Touré, imam de la mosquée Al-houda Wa Salam d’Adjamé-Payet extension HMA
Arrêté
début juillet après la diffusion d’une vidéo fustigeant la hausse du prix du
Hadj en Côte d’Ivoire et appelant les musulmans à ne pas inscrire leurs enfants
dans les écoles chrétiennes, l’imam #Aguibou# Touré a été libéré en août dernier.
Dans cette interview, le guide religieux
revient sur cet épisode tumultueux.
Cela
fait environ deux mois que vous avez été libéré, après 42 jours passés à la
Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), pour terrorisme et incitation
à la haine.
Quel est votre statut aujourd’hui ?
Je suis en liberté provisoire. Du jour
au lendemain, je peux être interpellé à nouveau.
Cela
ne vous dérange pas?
Non. C’est la justice.
En
réalité, vous vous attendiez à être jugé après votre arrestation.
Oui, c’est vrai. Mais en même temps, il
avait une enquête en cours à mon sujet.
On
vous a accusé d’incitation à la haine, de terrorisme. Ces accusations vous
ont-elles choquées ?
Je dis que chacun est libre de faire son
interprétation, par rapport à ce que j’ai dit. Maintenant, où est-ce qu’il a
été vu que j’ai incité à la haine au terrorisme? Je suis libre de dire à
mes enfants de ne pas aller dans une école chrétienne. Et le chrétien est libre
de dire à son enfant de ne pas aller dans une école coranique. Cela n’a rien de
haineux et ne peut être et vu comme du terrorisme.
Avez-vous
changé ou est-ce le même homme que celui qui a publié la vidéo ayant conduit à
votre arrestation ?
Je demeure le même Aguib Touré, avec mes
convictions, mes croyances, ma lutte et mes espoirs pour mon pays. Je reste toujours
la même personne.
Selon
certaines sources, il y aurait eu des interventions, notamment au sein du Cosim pour votre
libération. Le confirmez-vous?
Je n’ai pas eu de preuves sur une
quelconque intervention pour ma libération. Cependant, je ne crois pas que le
Cosim soit resté là sans agir, après mon arrestation. Mais, je le dis encore,
je n’ai pas de preuves.
Avez-vous
eu des contacts physiques avec des membres du Cosim pendant votre incarcération à la Maca?
Ce sont mes pairs surtout qui sont venus
me rendre visite. L’imam Bakayoko, par exemple, de la mosquée Bayo de Koumassi ;
l’imam Ousmane Kéita. Ils sont venus en tant que représentants du Cosim.
La
communauté chrétienne a-t-elle compati à votre peine malgré la vidéo que vous
avez publiée ?
Oui. Et j’en profite pour saluer cette communauté
qui m’a fortement soutenu. Certains que
je ne connaissais pas avant sont venus me voir à la Maca. Des imams, jeunes
comme moi, m’ont aussi rendu visite, individuellement, avec des larmes aux
yeux. Certaines ONG de défense des droits de l’homme également m’ont soutenu
moralement pendant mon séjour à la Maca.
Vous
avez passé 42 jours à la Maca. Comment s’est passé votre séjour ?
J’ai déjà été arrêté et détenu à l’école
de police pendant une semaine. C’était plus pénible que les 42 que j’ai fait à
la Maca. Mon séjour en prison m’a permis de connaître les réalités de la Maca.
Il y a des gens en prison qui ont besoin qu’on les écoute. J’espère que ce que
je vais dire ne va pas être interprété à tort. Beaucoup sont oubliés en prison.
Notre chance vient du fait que notre cas a fait beaucoup de bruit. Nous
interpellons donc nos autorités sur ce sujet. Il y a beaucoup de prisonniers
oubliés à la Maca qui ont besoin d’être écoutés.
Le
chef de l’Etat a accordé la grâce présidentielle, puis l’amnistie. Les autorités font déjà des efforts dans ce
sens.
Oui, je le reconnais. Le jour où
l’amnistie a été annoncée, j’étais encore à la Maca. Et je peux vous dire que tout
le monde était très heureux dans la prison. Malheureusement, c’était seulement
pour une catégorie de personnes et cela a découragé beaucoup de prisonniers. Je
crois qu’il y a beaucoup de innocents parmi eux. Encore une fois, il faut les
écouter.
Vous
ne pouvez pas déterminer de leur innocence d’un simple coup d’œil…
Exact. C’est pour cela que je ne veux
pas que mes propos soient interprétés à tort. Nous demandons seulement que nos
autorités jettent un coup d’œil à ces personnes-là.
Avez-vous
souffert pendant votre détention à la Maca, ou vous a-t-on accordé une faveur,
vu votre statut ?
Nous remercions Dieu, la prison
ivoirienne n’est pas un lieu de torture. Je ne veux pas le cacher. Et je salue
les prisonniers, car, malgré leur situation, ils étaient encore peinés de me
voir parmi eux. Ils ont tout mis en place pour que je sois dans le confort.
L’administration, surtout est à féliciter. Je crois qu’il y a bien longtemps
que la Maca n’a pas eu de régisseur aussi apprécié des prisonniers et du
personnel que celui qui est là en ce moment.
Cette
affaire vous a fait connaître aux yeux des Ivoiriens, comment vivez-vous
cela ?
Je pense que cette affaire m’a fait
comprendre au contraire la portée du thème, du sujet que je tenais (Ndlr, le
pèlerinage à la Mecque). Ce n’était pas en réalité ma personne qui posait problème,
mais le thème que je tenais. J’ai vu à quel point le sujet préoccupait.
Certains
ont qualifié votre arrestation d’injustice. C’était votre avis ?
Ce n’est pas maintenant que j’ai
commencé à tenir ce genre de propos. C’est Dieu qui a voulu que cette fois-ci
je sois arrêté. Si vous regardez la plupart de mes vidéos que j’ai faites
précédemment, c’est à peu près les mêmes propos que je tiens. Je pense aussi que nous sommes tellement en
bas, au sein de la société, que nous avons besoins de crier pour que les
autorités nous entendent. Est-ce qu’il y a eu de l’injustice ? Je crois
que la justice fait toujours son travail. Comme je l’ai dit, je suis encore en
liberté provisoire. Donc j’attends toujours.
Le
jour où vous faisiez la vidéo qui vous a conduit en prison, vous attendiez-vous
à un tel retour ?
Le jour où je faisais ce sermon, je n’ai
jamais pensé une seule seconde à cette situation. Mais j’assumais mes propos,
et j’étais également prêt à m’expliquer au cas où je serais appelé. Seulement, je
ne m’attendais pas à ce que cela prenne cette ampleur.
Votre
sermon dans la vidéo ne visait personne ?
Non, pas du tout. Je m’adressais à mon
président de la République, qui est votre président à vous et celui de tout le
monde. Et, en tant que citoyen de ce pays, j’estime avoir le plein droit de
m’adresser au chef de l’Etat pour qu’il
vienne en aide à la communauté qui, quelque part, a fait son effort pour qu’il
vienne au pouvoir. Je n’ai rien contre le président de la République, bien au
contraire, j’ai fait une semaine de prison pour lui.
Expliquez-vous…
Quand je dis une semaine de prison pour
lui, je veux dire que j’ai été arrêté dans le cadre de ma lutte contre
l’injustice qui était faite contre lui à une certaine époque. La personne n’est
pas très importante pour moi, mais le droit, la justice. Quand une personne ou
une communauté est traitée injustement,
cela me peine et me pousse à agir.
Les
gens ont prétendu un moment que vous étiez manipulé dans le but d’inciter une
partie de la communauté musulmane à la révolte. Ets-ce vrai ?
Effectivement, au début, on a essayé de politiser l’affaire. On a
prétendu que j’étais un pion de tel ou tel parti politique. Ce qui n’est
absolument pas le cas. En clair, on peut dire ce qu’on voudra, mais la vérité
se saura toujours.
Cela
veut-il dire que vous ne ferez plus de vidéo?
Mes vidéos sortent toujours et elles sont toujours en ligne, sur
Internet. Quant aux thématiques abordées, je n’ai pas changé, non plus. Les
thèmes que je traite resterons les mêmes. Seulement, dans leur traitement, je
pourrais me servir de l’expérience de mes aînés afin de ne choquer personne.
Alors,
en clair, cette situation ne vous a pas servi de leçon ?
Si on me prouve que j’ai mal agi, alors
et seulement alors, je vais changer.
Aujourd’hui,
pensez-vous qu’au sein de la communauté musulmane, les guides religieux soient
parfois les victimes de certaines manipulations politiques ?
Chaque musulman est libre de faire la
politique. Aucun musulman ne doit se laisser manipuler par les politiques. Surtout,
les dignitaires religieux. Mais, encore une fois, le musulman est libre de
faire la politique, parce qu’il doit souvent conseiller et guider nos hommes
politiques.
Le
discours politique et le discours religieux doivent être dissociés, à vous
entendre. Mais est-ce toujours le cas en Côte d’Ivoire?
Même un simple citoyen ne doit pas
donner des consignes de vote, à fortiori un dignitaire politique.
Aujourd’hui,
vous conseillez l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication
(TIC), dans la diffusion des messages religieux. Pourquoi?
Si c’est sur les réseaux sociaux que nos enfants passent la journée, alors
servons-nous des réseaux sociaux pour les atteindre avec nos messages.
L’usage
justement des réseaux sociaux dans la diffusion du message religieux ne
pose-t-il pas problème ?
La question qu’il faut se poser, c’est
est-ce que les réseaux sociaux sont interdits en islam ? Non. C’est juste
l’usage qu’on en fait qui peut poser problème. Certains y font des choses
négatives, nous en convenons tous, mais ce n’est pas pourtant autant que les
réseaux sociaux sont nocifs.
Après
vous, il y a eu un pseudo-pasteur qui a été arrêté après avoir publié une vidéo
sur Internet incitant à la haine. Croyez-vous que les religieux aient été à un
moment donné une cible?
D’abord, il faut savoir que le religieux
est un citoyen comme tout le monde. Si un religieux sort du cadre de ses
fonctions et pose des actions qui ne
sont pas compatibles avec la loi, on doit l’interpeller. Maintenant, lorsque
cela est avéré que ses propos n’ont rien de haineux ou de révoltant ; que
cela n’a rien à voir avec le terrorisme, alors, il doit être libéré aussitôt.
A
votre avis, c’est plus le fait d’avoir diffusé les vidéos sur Internet, pour un
religieux, qui a contribué à votre arrestation, puisque selon vos dires vous
tenez déjà ce type de sermon dans votre mosquée?
Plus cela fait du tapage, plus cela
interpelle les autorités. C’est mon point de vue. Donc, la diffusion sur les réseaux
sociaux a été forcement pour quelque chose dans mon arrestation. Mais notre objectif
c’est de se faire entendre.
Certains
affirment que vous n’avez pas la carte d’adhésion au Cosim et que vous n’êtes
pas considéré comme un imam de la corporation….
Je préfère ne pas répondre à cette
question.
Vous
êtes un peu comme une célébrité aujourd’hui. Avez-vous d’autres projets en vue ?
C’est normal. C’est même bon pour moi,
cela me permettra d’être plus écouté. Mais, je ne veux pas me servir de cette
situation. Je veux continuer à faire ce que je faisais.
Un
message à lancer aux Ivoiriens ?
D’abord, j’aimerais dire à la communauté
chrétienne que nous ne sommes pas leurs ennemis. Lorsque j’ai demandé dans la
vidéo que les gens n’inscrivent pas leurs enfants dans les écoles catholiques, cela
a été interprété comme si je voulais diviser la communauté. Nous sommes des
amis, des frères et des biens aimés. Je dis souvent à mes amis pasteurs que je
prie pour qu’ils deviennent musulmans, et que c’est pour cela que je ne veux
pas que mon enfant aille dans une école chrétienne. Et c’est réciproque. Mais
je le dis dans un ton amical, sans méchanceté ni haine. Sauf que cela a été mal
interprété. Nous aimons les chrétiens. La Côte d’Ivoire a besoin de l’amour de
ses enfants.
Ensuite, nous demandons aux politiciens
de ne pas diviser la communauté musulmane, le peuple du nord et du sud ;
de ne pas se servir du peuple comme un bétail électoral. Puis, aux jeunes je leur
demande de voter pour qui ils veulent. Mais
ne luttez pour personne. Donnez votre voix et laissez la Commission électorale
indépendante (CEI) faire le reste. Que tu gagnes ou que tu perdes, laisse Dieu faire
le reste. Enfin, aux guides religieux : guidez, orientez vos brebis vers
Dieu. Et soyez neutres. Dans ma mosquée, il y a des fidèles du RDR, du FPI, du PDCI.
Si je penche vers un parti, je suis en train d’exclure les autres ; je
suis en train de les chasser. Je ne dois pas être le guide vers la politique
mais le guide vers Dieu.
Interview réalisée par Raphaël Tanoh
Leg : Aguib Touré : je demeure
le même homme.
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Leg 2 : L’imam de la mosquée Al-houda Wa Salam nous a reçus dans sa
demeure d’Adjamé-Payet extension HMA.
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