Ousmane Diakité, "COMMENT BIEN PREPARER LE RAMADAN"
À
quelques jours du ramadan, le secrétaire exécutif du #Cosim#, également
imam de la mosquée du
Mont Arafat de la Riviera Bonoumin (Cocody), revient sur l’actualité en Côte
d’Ivoire et lance un appel à la communauté musulmane.
Les musulmans attendent avec beaucoup
d’intérêt le ramadan. Que représente ce mois dans l’Islam ?
Le
Saint Coran parle du mois de ramadan dans plusieurs chapitres. Notamment, la
sourate 2, « La vache », du verset 183 à 187. Le ramadan est une
période très importante pour le musulman. C’est le mois du Saint Coran. C’est
dans ce mois que la résurrection du Saint Coran a commencé. C’est le mois qui
réapprend au musulman, la patience, les valeurs cardinales de la
religion ; la patience, la générosité, le partage, la vérité…Il faut
souligner que c’est dans ce même mois que se trouve cette nuit qui vaut plus mille
mois d’adoration. Une nuit que j’appelle souvent, la nuit de la longévité
spirituelle. Dans cette nuit-là, quand Dieu exhausse vos prières, vous avez 83
années de bénéfices. Imaginez donc celui qui a eu quarante ramadans dans sa vie…
Ce qui nous permet d’aborder les mérites
de ce mois…
Les
mérites du ramadan sont importants. Pour bien comprendre, le Prophète (sws) nous dit que tous les autres actes
d’adoration que le musulman fait sont pour lui, sauf le jeûne. Dieu dit :
le jeûne c’est pour moi, parce que le musulman a laissé tout ce qu’il aime, tous
ses désires pour se consacrer à moi. Donc moi, Dieu, je lui donne la récompense
qu’il mérite. Alors, quand le maître de l’univers dit ça, cela signifie que
c’est un acte d’adoration qui a beaucoup de mérite. Le musulman doit tout faire
pour que le jeûne se passe dans les meilleures conditions d’acceptation par
Dieu. S’agissant maintenant des objectifs, il faut dire que chaque acte
d’adoration dans l’islam, a un objectif spécifique. C’est en mettant ensemble
tous les objectifs spécifiques, qu’on aboutit à la piété, à l’amour de Dieu.
Mais dans la sourate 2, verset 183, Dieu dit : je vous ai prescris le
jeûne pour que vous puissiez atteindre la piété. Le jeûne nous aide donc à
atteindre la piété, en nous réapprenant à pratiquer de manière plus approfondie,
la sincérité. Imaginez un musulman qui jeûne et qui est seul dans sa maison. Il
n’y a pas de témoin humain autour de lui, mais il a à sa disposition, toutes
les nourritures. Il dispose de tout, mais décide de se priver. Cet acte-là veut
dire que le musulman réapprend la présence divine permanente dans sa vie. Il
pouvait bien manger sans aucun témoin, et faire croire qu’il a véritablement jeûné.
Mais le fait de se dire que Dieu est là, le rapproche davantage de notre
créateur, renforce sa volonté sur le plan psychologique. Parce que vous avez
des gens dans la vie qui n’ont pas une volonté solide. Le matin, ils promettent
de ne jamais faire une chose, mais font cette chose, le soir. Le ramadan
apprend au musulman à avoir un caractère solide, à réapprendre à renouveler sa
foi, par la sincérité. Le jeûne lui permet aussi de vivre l’égalité devant
Dieu. Vous êtes milliardaire, roi, président, pauvre, mais quand vient le
ramadan, il s’opère un nivellement en haut. Pas en bas, mais en haut. Vous êtes
tous égaux devant Dieu. Le riche comme le pauvre, vont se priver de leurs
plaisirs. Le ramadan ramène l’homme à sa juste dimension humaine. Il permet
aussi au musulman de vivre la solidarité universelle de l’islam. On le voit
quand des musulmans se retrouvent, par exemple, pour aller faire la Oumra à La
Mecque.
Peut-on avoir une idée de la date du
début du jeûne cette année ?
Nous
pensons que cela aura lieu au début du mois de juin. Il faut éviter de fixer
des dates, parce que le Cosim a des principes de travail. Et le principe que
nous adoptons ici, c’est la vision de la lune. Pas le calendrier. Donc, le
début du jeûne aura lieu autour du 5 juin. C’est l’occasion d’inviter les
musulmans et non musulmans à rester à l’écoute de la déclaration du Cosim pour
annoncer le début du ramadan. Mais déjà, il faut être prêt, en comprenant les
enjeux de ce mois. Il faut préparer le ramadan comme si vous alliez recevoir un
invité de marque à la maison. Vous vous préparez sur tous les plans pour
l’attendre, afin qu’il soit satisfait et que vous le soyez également. Surtout,
il faut payer les dettes avant le début du ramadan. Je veux parler des crédits de
jeûne. Je surprends certains musulmans qui se plaignent qu’ils ont deux ou trois
ans de crédits et ne savent pas que faire. C’est le moment de les payer.
Mais tous les musulmans n’ont pas les
mêmes moyens face aux coûts élevés des denrées alimentaires sur le marché…
Le
mois de ramadan devrait être le mois dans lequel chaque foyer musulman fait des
économies. Certes, il génère beaucoup de générosité, parce qu’on achète pour la
famille, pour les pauvres, pour les amis, etc. Mais chaque foyer devrait
pouvoir faire des économies.
Le constat, malheureusement, c’est que
c’est en général le mois dans lequel on dépense plus.
C’est
justement ce que je déplore. Le prophète a dit : jeûnez, vous aurez la
santé. Le musulman, en jeûnant, devrait diminuer la quantité de nourriture afin
que le corps puisse expulser le superflu. Mais le rattrapage dans ce mois, est
un dérapage par rapport aux enseignements du Coran. Certains mangent mal, se
réveillent mal, sont de mauvaise humeur, quand d’autres mangent trop. Il faut plutôt
manger peu dans ce mois, pour que le corps puisse se reposer, se régénérer.
Mais le constat, c’est qu’il y a des dépenses supplémentaires dans le ramadan,
à cause de la solidarité qu’il engendre entre musulmans. Mais à côté de tout
cela, nous assistons hélas à une flambée des prix des denrées alimentaires
pendant cette période. Cela nous préoccupe. La surenchère, la spéculation...
Retenir les denrées dont les gens ont besoin afin de renchérir les prix est
formellement interdit par l’Islam. Des hadiths du prophète indiquent même que ce
celui qui s’adonne à cette pratique est un homme maudit. D’autres hadiths le
qualifient de transgresseur. Dans le temps, les autorités musulmanes obligeaient
les coupables à vendre au prix normal, les marchandises retenues. Et quand un
musulman commet cela dans le ramadan, il aura désobéi à Dieu deux fois. Pourquoi ?
Parce que le prophète a dit de ne pas le faire, mais il l’a fait. Ensuite, le ramadan est une
période fertile pour nous, pour se
rapprocher de Dieu. Lorsque vous désobéissez à Dieu dans ce mois, les sanctions
sont multipliées. C’est donc une période fertile à double tranchant. Quand vous
faites le bien, Dieu vous récompense beaucoup plus. Mais désobéissez et votre
sanction sera plus sévère. Tous les
musulmans devraient s’éloigner de cette pratique honteuse. Toutefois, je dis
qu’il appartient à l’Etat de prendre les mesures nécessaires afin de protéger
les droits des consommateurs. Nous l’encourageons donc dans cette période où nous
avons besoin d’aider les plus pauvres, à agir.
Les imams prêchent beaucoup sur ces
questions, mais le message ne passe pas. Pourquoi ?
La
passion de l’homme pour les biens de ce bas monde est un ennemi, d’abord pour
soi, ensuite pour ses semblables. Nous prêchons, mais nous ne désespérons pas.
Certains écoutent de mieux en mieux nos prêches. On peut régler avec l’autorité
de l’Etat des choses beaucoup plus facilement que les prêches. Que des mesures
vigoureuses soient prises contre ce phénomène, mais aussi contre la cherté de
la vie. Parce que c’est cela, le vrai problème : la cherté de la vie.
Le 13
mars dernier, la Côte d’Ivoire a subi une attaque djihadiste. Comment les imams
ont-ils vécu cela ?
D’abord,
je conteste vigoureusement l’appellation de djihadiste qu’on donne aux terroristes.
Parce que leurs pratiques macabres sont des pratiques terroristes, qui ne
peuvent pas avoir de rapport avec le djihad enseigné par le Prophète (sws). Et
qui signifie d’abord et avant tout, faire des efforts sur soi, sur ses
passions, ses tentations, pour être un bon voisin, un bon citoyen, un bon père
de famille, une bonne mère de famille ; faire des efforts sur soi pour
éviter la corruption. C’est cela, le djihad. Cela dit, les imams ont vécu mal
cette situation, comme tous les citoyens de la Côte d’Ivoire. Le terrorisme est
un phénomène mondial. Il n’est lié ni à une religion, ni à une culture, ni à
une race.
L’islam pratiqué en Côte d’Ivoire est
tolérant. Grâce à cela, les Ivoiriens ont toujours pensé qu’ils seraient
épargnés.
Nous
vivons dans un village planétaire, aujourd’hui. La Côte d’Ivoire étant un pays
important dans l’Afrique de l’Ouest, elle est exposée comme tous les pays du
monde. Nous devons éviter que l’acte posé par un passant impacte notre vision,
notre voisinage, notre façon de vivre. Ceux qui l’ont fait ne sont pas d’ici,
mais d’ailleurs. Cela ne doit pas impacter ce que nous vivons depuis des
siècles en Côte d’Ivoire. Il faut donc éviter des amalgames, des accusations
gratuites. Les musulmans sont la seule communauté qui cohabite partout avec
toutes les ethnies et religion de la Côte d’Ivoire. C’est notre religion qui
nous enseigne à vivre dans l’acceptation de l’autre. Le Coran va jusqu’à
interdire au musulman d’insulter les fétiches des autres. Parce que si vous le
faites, il va à son tour injurier Dieu, et c’est vous qui aurez provoqué cela.
Le terrorisme a fini par arriver ici. Et
nous sommes encore dans une appréhension.
Que fait de son côté le Cosim pour
éviter que ce genre d’acte ne se reproduise ?
C’est
vrai, c’est une préoccupation pour nous. Pas seulement le terrorisme, mais tout
ce qui est menace à la paix. Je veux parler, des « enfants
microbes », des braquages, des coupeurs de routes, des conflits
communautaires qui commencent à prendre une proportion très inquiétante en Côte
d’Ivoire. L’ensemble de ces menaces à la paix, sont des préoccupations majeures
pour les guides religieux. Que pouvons-nous faire ? C’est un projet qui se
trouve au centre des activités du Cosim, c’est-à-dire, la formation des guides
religieux. L’imam a du monde derrière lui. Les gens lui font confiance, suivent
ses conseils, se confient à lui. La formation des imams est donc une réponse
importante, non seulement au terrorisme, mais à l’ensemble des menaces de la
Côte d’Ivoire. Rien que pour cette année, nous avons une quinzaine d’ateliers
et de séminaires dans toutes les régions du pays, pour renforcer les capacités
de nos imams. A côté de cela, il y a l’éducation qui concerne l’ensemble de la
population. Les prêches que les imams font au quotidien, l’acceptation de
l’autre, sont inscrits dans ce cadre-là. C’est de là que partent en général les
conflits. Quand vous n’acceptez pas l’autre tel qu’il est et que vous voulez
l’obliger à être comme vous, à penser comme vous, évidemment le conflit n’est
jamais loin. Mais si vous savez accepter l’autre comme il est avec ses défauts,
tout comme le Coran l’enseigne, c’est déjà un bon départ pour cohabiter dans la
paix. Donc l’éducation des masses par les prêches, par les conseils, par les
sermons, par les conseils et tous ce que les imams font comme activités vont
dans le sens d’une éducation citoyenne, spirituelle, sociale, culturelle et économique
(cherté de la vie). Ces actions
d’éducation des imams, du Cosim, constituent une réponse au terrorisme et à
l’ensemble des menaces.
Ce travail d’éducation n’est pas nouveau. Dans le
passé, il n’a pas tellement porté…
Quand
on fait un travail, on cherche à l’améliorer. Mais nulle part dans le monde, le
risque zéro n’existe.
On a entendu aussi parler de réseaux
dormants dans les mosquées, concernant le terrorisme. Cela ne peut pas vous
échapper, normalement…
Les
imams ne sont pas outillés pour détecter les cellules dormantes dans les
mosquées. Il faut avoir des formations spécifiques pour cela ainsi que des
moyens d’observation. Parler de réseaux dormants en Côte d’Ivoire, dans les
mosquées que le Cosim gère, à notre connaissance, nous ne l’avons ni observé ni
soupçonné jusqu’à maintenant. Mais si nous étions avertis de cela, informés,
nous jouerions notre partition à fond. J’en profite pour dire que malgré les
prédications des imams et d’autres coreligionnaires, il y a toujours des brebis
galeuses. Le risque zéro n’existe pas, comme je l’ai indiqué tantôt. Les hommes
sont les hommes. Ils vivent des périodes de force et de faiblesse. Notre vision
sur ceux qui commettent ce genre de crime, c’est que nous devons les aider à
sortir de l’erreur, du crime, de la transgression, de la rébellion. C’est le
rôle du guide. Il faut leur montrer le droit chemin. L’autre rôle majeur que
nous jouons, ce sont les douahs (bénédictions) ; ce sont les supplications
que nous adressons à Dieu. Ces prières constituent l’arme du croyant pour se
protéger et aider la société à aller de l’avant.
Peut-on dire que vous exprimez le besoin
d’être outillés afin de détecter d’éventuelles cellules dormantes?
La
responsabilité de la sûreté des biens et des personnes relève du rôle régalien
de l’Etat. Nous n’avons pas la prétention de jouer ce rôle de sécurisation à sa
place. Ce n’est pas notre mission. Ce que nous observons, par contre, c’est le
comportement de nos fidèles. Lorsque nous voyons qu’un musulman dérape, ou qu’il
y a des exagérations dans les actes, les paroles de certains, nous essayons de
les ramener sur le droit chemin. Mais nous ne considérons pas cela comme des
cellules dormantes. Chacun doit jouer son rôle. Et le Cosim soutient
entièrement les mesures que l’Etat prend pour assurer la sécurité des biens et
des personnes en Côte d’Ivoire.
Concernant les « enfants microbes »,
vous aviez entamé, il y a trois ans au côté du ministère de l’Intérieur, une
campagne contre le phénomène. Cela n’a pas porté ses fruits, visiblement.
Dans
d’autres pays, on a connu des situations similaires. Lorsque ce genre de
problème se pose, il n’y a pas que les mesures sécuritaires qu’il faut prendre.
Voilà des jeunes gens, pendant huit à neuf ans, qui sont armés en bandes et
attaquent à tout va. Il faut se poser des questions. Dans quelle familles
sont-ils nés, dans quelles conditions sociales vivent-ils, qui sont leurs
parents ..? A partir de ces analyses, on peut prendre des mesures de
resocialisation, de rééducation. C’est ce que nous conseillons aux uns et aux
autres. Si vous regardez l’ensemble des discours du Cheick Boikary Fofana,
président du Cosim, la trame de son message porte essentiellement là-dessus. Il
faut surtout éviter de prendre ces jeunes pour aller les mettre en prison. Parce
que, quelquefois, ces lieux de détention vont leur permettre de mûrir et de
sortir encore plus violents. Il faut faire un traitement spécifique que nous
n’avons pas encore fait en Côte d’Ivoire jusqu’à maintenant. On n’a pas encore
créé des centres de rééducation et de resocialisation de ces enfants. Le Cosim
travaille avec certaines structures de l’Etat dans ce projet. Ce sont nos
enfants et nous devons nous en occuper. Si on ajoute ces mesures aux mesures
sécuritaires, nous pensons que le phénomène des « enfants microbes »
va diminuer, sinon disparaître, comme cela a été le cas ailleurs. Pour terminer,
j’aimerai ajouter qu’en Côte d’Ivoire nous avons la chance d’avoir des guides
qui sont guidés par la sagesse, qui ont toujours pratiqué l’Islam dans l’acceptation
des autres. Nous avons également la chance d’avoir toute une équipe de jeunes
imams qui sont capables de comprendre le fonctionnement de la société, d’autres
cultures. Le message que le Cosim aimerait lancer, est un message de paix. Le Cosim va mettre l’accent dans ce mois de
ramadan sur certains thèmes, notamment le renforcement du rôle de la famille.
Quand ce rôle est renforcé, cela permet de régler beaucoup de problèmes dans la
société. Le Cosim mettra aussi l’accent sur la solidarité. Nous avons connu une
grande crise en Côte d’Ivoire. Dieu merci, depuis quelques années, le pays sort
la tête de l’eau. Alors, ce n’est pas le moment de revenir aux vieux démons. Je
le dis, par rapport aux conflits communautaires, qui nous inquiètent au plus
haut degré. Pendant que le pays sort sa tête de l’eau, si nous retombons dans les
conflits communautaires, nous allons gâcher les années d’efforts qui ont été
faits pour que les Ivoiriens vivent mieux. C’est donc, un message de solidarité
et de paix, pour que le ramadan qui arrive, puisse bénéficier aux musulmans,
mais à la nation. Nous allons faire des prières, nous demanderons à Dieu de les
accepter afin que cela rejaillisse sur toute la Côte d’Ivoire, sur tous ses
habitants et sur tous ses dirigeants. Mais aussi sur toutes l’Afrique et sur
tout le monde entier.
Interview
réalisée par Cissé Sindou et Raphaël Tanoh
Leg :
Ousmane Diakité se dit inquiet de la proportion que prennent les conflits
communautaires en Côte d’Ivoire.
Légende :
L’imam met en garde sévèrement contre la flambée des prix pendant le ramadan.
Intertitre
1 : « Il faut payer ses dettes »
Intertitre
2 : « Nous ne sommes pas outillés »
#Tags: #PRISON#, #mosquée#, #imam#, #religion#, #SEXUALITÉ#, #PRÊCHES#, #Ousmane Diakité#
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