Portrait Bonéo Jonas LE SOURD-MUET PARLE!







On n’a jamais entendu le son de sa voix. Au quartier, les voisins le traitent de « bobo » (sourd-muet).  Qui est-il, d’où vient-il et que fait-il en médaillon, sur les écrans de la télévision nationale ivoirienne (Rti1), lors du journal de 13h? Portrait d’un #interprète#  hors du commun.  


Faites un « C » avec les doigts légèrement refermés sur la paume. Maintenant, décrivez un « I » en levant seulement l’auriculaire. Ensuite, finissez le  tout avec la main sur le cœur pour dire, « Côte d’Ivoire, je t’aime ». Bienvenue dans l’univers de #Boneo Jonas#. Normal de se demander d’emblée, qui c’est. Puisque son nom n’apparaît nulle part au générique du 13h de la Radio télévision ivoirienne (Rti1). Et ce n’est pas vraiment le visage qu’on voit le mieux à l’écran. Son image étant en médaillon. Pourtant, ce fils de Facobly qui a soufflé sa 59ème bougie il y a quelques jours, est parvenu à créer un mythe autour de lui, depuis qu’il interprète le journal pour les malentendants. Chez lui à Yopougon, on l’appelle le « bobo » (celui qui ne parle pas). Néanmoins, ses proches le traitent de génie. A juste titre, car les téléspectateurs se demandent comment on peut parvenir à traduire un reportage télévisé avec des gestes. Eh bien, Boneo Jonas n’a rien d’un sourd-muet, même si son frère souffrait de ce handicap. « Dans la famille, on communiquait avec lui par des gestes jusqu’à ce qu’il ne soit plus », se rappelle-t-il. Puis, les circonstances l’on conduit aux cours protestants de Dabou dans les années 1960 chez un tuteur qui enseignait dans une école de sourds. C’est là qu’il commence à s’intéresser à ces handicapés. Le jeune Boneo connaît alors l’alphabet en langage gestuel sans jamais avoir eu à mettre les pieds dans une école spécialisée. Après son entrée au Centre d'animation et de formation pédagogique (Cafop), il commence à enseigner le 9 sept 1977, à Guiglo. Les circonstances l’éloignent de ce qu’on pourrait qualifier comme sa véritable vocation. Mais pas pour longtemps. Parce qu’en  1980, Boneo Jonas est  appelé à l’école chrétienne pour les sourds, qui deviendra plus tard l’école ivoirienne pour les sourds. Il suit d’abord un stage de formation d’un an. Et le voilà en train de rouler sa bosse un peu partout pour affiner ses connaissances d’interprète et d’enseignant. Le Nigéria en 1982.  Le Benin en 1993. Puis, la Suède, la Hollande, la France, l’Espagne, le Danemark...sont les pays où il séjourne à cet effet. Ils sont trois Ivoiriens à tenter l’aventure. Lui-même, Achi Marc, son collègue interprète à la télé et Tan Yaya Hubert qui dirige présentement une Ong à Danané. Personne d’autre n’a reçu de tels rudiments jusqu’à ce jour. Ainsi, cet amoureux de chorale qui raffole du riz à la sauce feuille peut se permettre ces mots : « Un enseignant peut interpréter ; les sourds ont des proches qui peuvent le faire. Mais pour ce qui est de la formation d’interprète proprement dite, c’est nous trois qui l’avons reçue en Côte d’Ivoire.» Traduire en langage gestuel n’a rien d’aisé. Bien sûr, si vous voulez inviter quelqu’un à manger, il suffit de faire un geste de la main vers la bouche. Et quand vous voudriez aller vous coucher, il n’y aura qu’à poser la tempe sur la paume et le tour est joué. Mais vous êtes vous demandez comment désignerez-vous le président de la République à un sourd-muet ? « C’est tout une histoire, note le pédagogue aujourd’hui à la retraite. Aux Etats-Unis, par exemple, le président Georges Washington était venu une fois rencontrer les sourds avec un chapeau sur la tête. Depuis ce moment, pour le désigner aux sourds-muets, les interprètes imitaient le chapeau». En Côte d’Ivoire, ce sont à peu près les mêmes imageries. Prenons le cas de l’ex-président de la République, Laurent Gbagbo. « On avait l’habitude de le désigner par sa serviette au cou. Et comme il transpire souvent, on pouvait faire le geste de quelqu’un qui s’éponge le front ». Maintenant, l’actuel chef de l’Etat, Alassane Ouattara. « Vous savez, lorsqu’il était encore Premier ministre, il a rencontré les sourds-muets une fois lors d’une cérémonie à l’Hôtel Ivoire. Et après avoir fini de parler, je lui ai dit, monsieur le Premier ministre, ce sont des sourds-muets, ils n’entendent pas. Alors, il a répondu qu’ils pouvaient bien lire sur les lèvres. Après son départ, les sourds-muets m’ont demandé ce qu’il avait dit. Lorsque j’ai répété les mots du Premier ministre, ils ont dit, alors, c’est un homme à la main large. C'est-à-dire, quelqu’un qui s’intéresse aux détails, qui connaît beaucoup de choses. Pour le désigner, on faisait donc un rond avec les doigts (qui signifie chef), ensuite on le plaquait sur la paume ». Mais les choses se compliquent lorsqu’Alassane Ouattara prend les rênes du pays. Les sourds sont confrontés à un sacré dilemme. Ils auraient bien voulu faire les initiales de Ouattara, pour le désigner mais il se trouve qu’il y un autre Ouattara à l’école des sourds. Que faire ? « Comme le chef de l’Etat a des favoris, on fait toujours un O avec les doigts qu’on met sur la tempe, pour désigner ses favoris ». Concernant Henri Konan Bédié, le président du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), pas besoin d’autant de gymnastiques. « Les sourds l’ont remarqué par sa moustache. Alors on met les deux doigts sous le nez », explique M. Boneo. Quand il s’est agi du président de l’Assemblée nationale, il fallait encore se creuser les méninges. Soro Kigbakori Guillaume est vu comme un battant au sein des sourds-muets, un homme dynamique. « Alors pour le désigner, on prend l’initiale de son nom, en faisant un S de la main (Le poing formé). Puis on le met sur la tête pour montrer quelqu’un d’intelligent ». Bref, c’est une panoplie de codes que Boneo et Achi Marc ont établi pour représenter les différentes personnalités du pays. Et la liste est longue. Tout cela ajouté à la gestuelle simplifiée des messages,  complique extrêmement leur tâche. « Les gens pensent que nous faisons un gombo (business). Mais cela n’a rien de tel. C’est un travail difficile », précise l’interprète. C’est pour cela qu’à la Rti1, avant chaque journal, il faut visionner les films, se préparer à traduire l’information de la manière la plus simple possible.  Certes, il existe un langage gestuel universel, mais beaucoup de sourds-muets n’ont jamais mis les pieds dans une salle de classe. Il faut donc accompagner la traduction de signes naturels. « Personne ne peut faire cela sans amour », reconnaît le fils de l’Ouest. Aujourd’hui, bien qu’il soit à la retraite,  l’amour de Boneo Jonas pour les sourds-muets n’a jamais faibli. C’est cet amour qui leur a permis d’endurer la souffrance des six premiers mois à la Rti1. Le ministère des Affaires sociales les ayant abandonnés. La Rti s’est penché sur leurs cas en leur octroyant des primes. Pour des dinosaures de la profession, le traitement est un tantinet décent. « Notre souhait, c’est qu’on nous accorde plus de valeur ». Après tout, la Côte d’Ivoire accorde une frange importante de sourds-muets. Pourquoi ne pas les associer aux grands évènements de communication, lorsque le chef de l’Etat s’adresse, par exemple, à la Nation, suggère l’enseignant à la retraite. Où lors des débats à l’assemblée nationale ? Surtout qu’ailleurs, cela se fait, croit-il savoir. Mais en attendant qu’une oreille attentive daigne leur donner satisfaction, Boneo passe ses heures libres près de sa charmante épouse et leurs deux enfants. Pour lui souhaiter donc bonne chance, c’est simple. Pliez les doigts devant les lèvres et faites des crochez avec chacun de vos indexes.

Raphaël Tanoh
Leg : Boneo Jonas est également conseiller pédagogique. 


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