DANS LA MISÈRE DES PENSIONNAIRES DU PREMIER CENTRE DE RETRAITE

Œuvrer pour le bien-être des retraités en situation difficile, est la mission que s’est assignée ce qui reste peut-être le seul centre de retraite du pays : Save the Olders. Mais l’univers de ces personnes est pénible. Et il est difficile d’y faire face.     

L’arrière plan est dégradant, si avilissant qu’on peut presque détourner le regard. En effet, derrière le centre de retraités Save the Olders qui subsiste dans ce panache de villas cossues et de modeste bâtisses d’Abobo-Sogéfiha, la condition humaine peut pousser à la révolte. Ne vous fiez pas à l’allure de tous ces pensionnaires qui viennent là pour manger, lire, jouer à l’awalé, faire des parties de dame. Ne faites pas attention à leurs vêtements qu’ils ont pris le soin de choisir avant de quitter le domicile ; détachez-vous de ces sourires arborés simplement pour donner bonne impression, du calme olympien dont la plupart font preuve derrière un bouquin ouvert. C’est une façade. Parce qu’ils sont tous malades. Ils ont tous besoin d’aide. Et ceux qui ne sont pas là, sont encore plus en détresse. Il y a quelques mois, Maman a été obligée de rendre visite à l’un de ses pensionnaires. Une dame qui vivait seule dans une espèce de masure à Abobo, à peine plus grande qu’une cage d’ascenseur. Une pièce sans fenêtre. La pauvre souffrait d’une terrible migraine chronique. Il a fallu créer une seconde embrasure sur le mur pour permettre l’entrée d’air et soulager de cette façon les souffrances de cette retraitée. Hélas ! Cela n’a pas suffi. La sexagénaire s’est éteinte peu de temps après. Il fallait pour Maman sécher ses larmes. Parce qu’un autre membre de son centre de retraités était en train de mourir de leucémie. Même si les demandes d’aide qu’elle dépose auprès de structure ne trouvent pas un écho favorable, elle devait l’aider moralement à tenir. Mais un jour, le malade se résigne. « Il m’a dit : je sais que malgré tes efforts, tu ne parviendras pas à m’aider. Je vais retourner au village, pour attendre paisiblement mon heure », explique ce matin, la présidente de Save the Olders dans son bureau. « Ils sont tous malade », soupire Suzanne Mentenon, que ses pensionnaires aiment bien appeler, Maman. Vous le serriez vous aussi si vous étiez à la retraite, comme tous ces « gros bébés ». Si vous aviez comme pension 28.000 FCfa et si tout le monde vous tournait le dos.

Des pensionnaires venus des quatre coins du pays

Créé en 2014 pour venir en aide aux personnes âgées, le centre de retraite, Save the Olders, n’a jamais été autant éprouvé. Plus de 200 pensionnaires figurent déjà dans sa base de données. Et les adhésions se font tous les jours. Des retraités venant des quatre coins du pays. Située non loin de la pharmacie Sogéfiha, le siège (un domicile familial) est mêlé aux nombreuses villas transformées soit en église soit en structure de vente de service. Il n’y a pas longtemps, véhicule de transport en commun, communément appelé un gbakas est entrée de plein fouet dans la pancarte qui servait d’indication, au niveau du carrefour situé après une agence de banque. Malgré tout, les nouveaux pensionnaires parviennent à retrouver le lieu. Avec le bouche à oreille, ce sont très souvent d’anciens membres de la maison qui y conduisent des amis qui cherchent de l’aide. Comme Traoré Seydou. Cet ex-travailleur du Syndicat des entrepreneurs de manutention du port d’Abidjan (Sempa), âgé de 67 ans, est venu avec son vieux pote, celui-là même qui a été son employé pendant des années au port. Ce dernier se nomme, Coulibaly Ardjouman. Venu de Korhogo pour soigner ses yeux, Ardjouman vient de quitter l’hôpital la mort dans l’âme, muni d’une ordonnance qui lui fait froid dans le dos. C’est tout désespéré qu’il allait regagner ses pénates lorsque son ancien patron, Traoré Seydou, membre de Save the Olders, lui a suggéré de venir voir Maman. « Je vois flou. Ça s’aggrave. On ne peut pas me prescrire des lunettes. Je viens ici pour la première fois. J’espère que le centre pourra m’aider à faire face aux frais », prie Ardjouman. Maman et lui n’ont pas encore fait connaissance. Tandis que celle-ci accueille le vieux svelte à la moustache grise et au visage fatigué, une dame qui tient à peine débout fait son entrée dans le vestibule transformé en accueil avec une jeune assistante assise derrière un ordinateur de bureau. La nouvelle arrivante s’empresse d’étreindre la responsable de Save the Olders dans les bras. Et puis, on n’entend plus que des ‘‘yako’’. La septuagénaire qui répond du nom de GL Jacqueline, retraitée de la Poste, souffre d’une hernie discale depuis des années. Chaque jour, le mal prend des proportions. Aujourd’hui, il lui faut une béquille pour se déplacer. Pendant que Maman la console, et lui dit que « ça va aller », Jacqueline lui présente à son tour ses condoléances. Après le décès de son père, Maman vient de perdre son époux.

Une opération qui nécessite 4 millions
Les funérailles se sont achevées il y a deux semaines. Malgré la peine, la responsable du centre doit se montrer forte, et être là pour ses pensionnaires. Maman qui pourrait être la fille de Jacqueline dans une autre vie, est surtout préoccupée par l’état de santé de la vieille dame. Il faut 4 603 500 FCfa pour l’opération de la hernie discale. Les nombreuses demandes d’aides n’ont pas eu d’échos favorables. Et tout semble indiquer qu’elle est condamnée. « J’ai été un travailleur modèle. Ma pension n’atteint même pas 100.000 FCfa. Où voulez-vous que je trouve ces 4 millions ? Le centre ne les a pas»,  lâche la bonne femme, une fois les retrouvailles passées. Alors qu’elle prend difficilement place sur l’un des sièges disposés dans le vestibule meublé avec les photos sur le mur, un des pensionnaires interpelle la patronne de Save the Olders. G. Blé est à la retraite depuis 2007. Ancien employé dans une grande entreprise, il cherche par l’entremise du centre, une aide pour opérer son œil gauche atteint de la cataracte. L’œil droit a, lui, déjà subi une opération, lorsque Blé était encore en fonction. « Quand on travaille, on a beaucoup de privilèges. Mais aujourd’hui, si vous avez une pension de 28.000 FCfa, que pouvez vous faire ? Lorsque j’ai trouvé Maman, je n’ai pas hésité », souffle-t-il. Cependant, la visite du jour n’a rien à voir avec lui. L’épouse de G. Blé a eu un Accident vasculaire cérébrale (AVC) il y a peu. Il est là parce que le centre lui avait promis des béquilles. « Elle ne peut plus marcher, sinon elle serait venue les chercher », ajoute ce membre de Save the Olders avec une larme au coin de l’œil. La présidente du lieu qui n’a pas oublié sa promesse, amène G. Blé et les autres à la terrasse de cette grosse villa qui ouvre sur un petit jardin. C’est ici qu’on organise les festins collectifs, les grandes rencontres. Munie d’une longue table avec des chaises disposées autour, la terrasse ne permet toutefois pas de réunir tous les pensionnaires. C’est ici que Maman remet finalement à Blé ses béquilles, sous les applaudissements des autres membres. « C’est une femme qu’on ne pourra pas remercier assez pour ce qu’elle fait pour nous, ajoute le bénéficiaire, après la remise. Nous savons que si elle avait plus de moyen, Maman ferrait beaucoup plus ». Pour tous ces retraités, le centre c’est l’espoir. « Ce qu’elle fait pour nous est inestimable. C’est l’année dernière qu’un ami est venu m’apprendre qu’une dame a ouvert une maison de retraite. Je suis venu parce que j’avais des problèmes. Je me suis inscrit. La présidente a surtout été rassurante. Elle m’a donné mon badge », se souvient Traoré Moussa. Electricien  auparavant, il dit avoir travaillé dans le barrage de Kossou et les lignes de haute tension de Vridi. Mais Traoré souffre d’un problème de nerf. « Quand je marche, j’ai des crampes. Je peux tomber à tout moment. Or, je n’ai pas de couverture maladie », ajoute le vieil homme. Agé de 63 ans, il passe son temps au centre de retraite à lire. En attendant que Maman parviennent à trouver une aide pour la plupart de ces pensionnaires, elle s’est fixée pour mission de les occuper sainement. Ils jouent au damier, à l’awalé, aux cartes, etc.

Il écrase une cigarette sur le cou de son père
« Nous ne sommes pas des mendiants. Mais nous avons besoin de ce cadre. Ici on mange, on échange. Elle nous met dans une ambiance familiale. Elle s’occupe bien de nous, quelle que soit votre condition sociale. Nous nous retrouvons dans ce centre chaque fois que cela est possible. Le faite de se voir, guérit déjà », indique Traoré Seydou qui espère que bientôt, les jeux de pétanque arriveront dans le centre. Maman lui a fait cette promesse. « Ce sont des personnes âgées. Quand je passe dans le quartier et que je vois ces vieilles personnes assises au bord de la route en train de jouer au damier, cela me chagrine. C’est une image dégradante. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé ce centre », précise-t-elle. Si la plupart des retraités de Save the Olders l’appellent Maman, pour elle, ce sont tous des pères, des mères, des encyclopédies pour le pays ; des personnes qui ont encore leur mot à dire dans le développement de la nation. En réalité, Suzanne Mentenon n’a eu toute sa vie que des personnes âgées comme amis. Elle a appris à écouter ces « gros bébés », très souvent incompris, quelquefois enclins aux caprices. Il y a quelques semaines, l’un des pensionnaires est venu la voir en pleur. Son fils avait écrasé sur son cou le bout de sa cigarette allumée, simplement parce que le vieux refusait de lui donner de l’argent. Lorsque la scène a été racontée au centre, Suzanne Mentenon a aussitôt organisé une rencontre avec les autres pensionnaires, pour consoler ce pauvre père martyrisé. Ensuite, ils ont appelé l’enfant pour lui parler. Peu de temps après, père et fils se sont réconciliés. « Le centre n’a pas assez de moyens. Mais nous essayons de leur redonner le sourire autant que nous le pouvons », souligne la présidente de Save the Olders. Parfois, c’est un pensionnaire qui vient la voir parce qu’il n’a rien à manger à la maison. L’une des raisons pour laquelle Mme Mentenon compte restaurer l’une de leurs vieilles traditions, les déjeuners journaliers, comme cela se faisait avant le décès de sa mère. « Certains viennent ici pour jouer, sans avoir rien mangé de toute la journée. Si nous réussissons à réinstaurer ces déjeuners, cela aiderait beaucoup », espère-t-elle. Il y a moins d’un mois, le centre a organisé un festin collectif. Presque tous les pensionnaires du centre se sont retrouvés autour d’un repas. « Cela met du baume au cœur. On oublie la maladie, les souffrances, souvent causes de stress et d’AVC», explique la dame. Avec ce qu’elle a vu sur le terrain, Suzanne Mentenon sait qu’une frange de ces personnes du troisième âge ne peut même pas sortir de chez elle. La misère que certains vivent est si choquante qu’elle doit leur rendre visite quand elle le peut pour leur apporter du soutien. Sans véhicule, le centre doit toutefois limiter ces sorties. Pour Suzanne, même s’il lui arrive parfois de faire des cauchemars dans lequel ces pères et ces mères lui demandent une aide qu’elle ne parvient pas à leur fournir, l’espoir existe. « Parfois, je me demande encore comment on fait pour tenir. Mais Dieu est là…il est présent à nos côtés».


Raphaël Tanoh  

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