MAN: DANS LA GALÈRE DES ENFANTS "BELARDS"
Dans la capitale des 18 montagnes, un #phénomène# touchant
particulièrement les enfants est en train de prendre l’ampleur. Encouragé par
les parents eux-mêmes, l’activité d’ ‘‘enfant #pousseurs de brouettes#’’, classée
parmi les pires formes de travail des enfants, est hélas devenue une pratique presque
normale à Man.
En 2009, pendant la
démolition du site qui allait servir plus tard à la construction de l’actuelle
agence de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao), des ‘‘enfants
pousseurs de brouettes’’, en provenance du quartier Dioulabougou sont victimes
d’un terrible accident. Venus ramasser des
gravas sur le site pour aller les vendre, ils assistent impuissants à un
malheur auquel aucun enfant de leur âge ne doit assister. Un mur à moitié
démoli par les bulldozers s’écroule et ensevelit l’un de gosses sous les
décombres. Les autres courent chercher de l’aide. Quand la police arrive sur
les lieux, il est déjà trop tard. Ce jour-là, la ville toute entière est
endeuillée. Mais près de 10 après ce drame, on continue de voir dans les rues
de Man, ces ‘‘enfants pousseurs de brouettes’’, dont l’âge varie entre 8 et 17
ans, transportant des charges qui dépassent souvent leurs propres poids. Ce vendredi,
par exemple, devant le marché principal de la ville, personne n’a l’air choqué de
voir des gamins à peine entrés dans l’adolescence, pousser des brouettes
chargées de sac de riz de 50 kilogrammes. Personne ne bronche quand ils
soulèvent, la langue presque pendante, ces charges pour traverser la ville, d’un quartier à un
autre. Sous la poussière flottante et ce
vent sec-humide charrié par
l’harmattan, Gogbeu Achile,
14 ans, n’a qu’une chose en tête : satisfaire
ses parents. Ce gosse de pauvre, le visage innocent, est pousseur de brouette,
avec la bénédiction de sa mère. Depuis 5h du matin, Achille est débout. Il doit
braver le froid matinal de ce mois de janvier, oublier la fatigue de la veille
pour se mettre à la tâche. Dans sa brouette, ce matin, un sac de riz. Le bagage
appartient une dame qui vient de louer les services de l’enfant. La mission de
d’Achille, c’est de transporter le sac de riz chez sa cliente, au ‘‘quartier
13’’. Une distance de deux kilomètres. La cliente le suit, comme dans chaque
cas. Elle n’a pas confiance. En route, le
petit Achille doit observer un moment d’arrêt pour reprendre son souffle. Ses
petits biceps semblent éprouvés.
Des charges nuisibles pour la santé
Mais il lui faut repartir
aussitôt pour ne pas faire attendre sa cliente. Avant sa destination, une
dernière épreuve attend Achille : une pente abrupte. A la montée, le
pousseur de brouette prend une grande inspiration avant de saisir fermement les
deux manches de la brouette, et prouver qu’il mérite bien sa paie de 200 FCFA,
le trajet. S’il avait failli, cette dame n’aurait plus eu recourt à ses
services. Des trajets comme-ça, Achille en fait une dizaine dans la journée. Ce
qui éprouve ce petit corps fragile, luisant de sueur. « Ce travail nous
fatigue beaucoup. Je dois pousser souvent 100 kilogrammes pour monter la
colline», souffle le garçon. Déscolarisé faute de moyens financiers, Achille arrête les cours en classe de CE1. Depuis, pour
occuper l’enfant, ses parents lui ont trouvé cette brouette. Grâce à des recettes
quotidiennes qui peuvent avoisiner les 2 000 F, le petit Achille est devenu un soutien de
‘‘poids’’ pour la famille. Tout comme Achille, ce sont des dizaines d’enfants
qui viennent en aide à leur famille grâce à cette activité de pousseur de brouette.
Ils viennent des quartiers Kennedy, Libreville, Blocausse, Dioulabougou et
Kôkô. Parmi eux, Fofana Aboulaye, dont les parents habitent Dioulabougou. Il a 9
ans, c’est l’un des plus jeunes du groupe. Contrairement à Achille, Aboulaye
n’est pas du tout allé à l’école. Et ses parents n’ont pas eu non plus les
moyens de lui offrir une brouette. Il doit la louer à 200 F la journée. Et à 300 F les vendredis,
jour de marché à Man. Comme il peut gagner jusqu’à 1.500 F la journée, alors
pour Aboulaye, c’est une bonne affaire. « Le soir, je viens payer ma
location et je remets le reste de l’argent à ma mère », explique-t-il. Lui
aussi soulève des charges qui dépasse son poids. C’est du moins ce que nous
constatons ce vendredi en le suivant dans le marché. Avec sa brouette remplis
de cartons de produits divers, le gamin bifurque difficilement entre les étals
et le monde fou qui grouille dans le marché. Mais bientôt, le voilà qui
accroche au passage, le vêtement d’une dame avec le bord de sa brouette. Le
pagne se déchire. Le temps pour le petit Aboulaye de s’excuser, une gifle part.
La dame l’inonde ensuite d’injures. Elle a bien envie de lui assener une autre
gifle, mais sous le regard curieux des passants, elle se ravise.
Haïs par la population
L’enfant a les yeux rougis d’amertume. Mais il
ne peut pas pleurer, parce que la femme dont il transporte les affaires
l’attend. Il doit la suivre avec ces bagages d’une quarantaine de kilo au ‘‘quartier
soleil’’, à un kilomètre. Pendant qu’Aboulaye s’éloigne, Kéita Aboubakar, un
autre gamin pousseur de brouette, encore appelés ‘‘enfants Belard’’, cherche des clients. Aboubakar loue, lui
aussi, sa brouette. Et il fait une école coranique au quartier Kennedy. Ses
recettes, dit-il, servent d’économie pour ses propres besoins. Même cas pour
Koné Moussa, 15 ans, qui exerce cette activité depuis l’âge de 12 ans. C’est sa mère qui lui a offert sa brouette. Et
son seul souci, c’est de lui faire plaisir en rentrant chaque soir avec de
l’argent. Mais le quotidien n’est pas aisé pour ces gamins, haïs par la
population qui les considère comme des délinquants. « On nous insulte
parce qu’on ne marche pas vite avec les bagages, même quand c’est lourd à
transporter, explique Moussa. Il y a des fois où après avoir jugé le prix au départ,
le client paie moins que ça. Mais on ne peut rien faire ». Pour les habitants
de Man, s’ils sont maltraités c’est bien parce qu’ils se montrent impolis. « Ils n’ont aucun respect pour les
grandes personnes», justifie par exemple, Silué Aminata, rencontrée près du
marché. Avant d’ajouter : « Je ne leur fait pas confiance. Ne
leur tournez jamais le dos, parce qu’ils s’enfuiront avec vos bagages». Et
pourtant, ces enfants sont plus sollicités que les pousseurs de charrettes, encore
appelés ‘‘wotorotigui’’ activité exercée par les adultes. La raison étant que les
‘‘wotorotigui’’ sont beaucoup plus chers en termes de prestation. Mais la question qui taraude l’esprit, c’est pourquoi
personne ne condamne cette activité classée, selon le directeur régional de la Promotion
de la femme et de la protection de l’enfant, comme faisant partie des pires
formes de travail des enfants ? Pourquoi personne ne lève le petit doigt
pour dire, stop ? Nous avons essayé d’approcher ceux qui mettent en
location ces brouettes. Un premier site de location se trouve au marché
principal et un autre au quartier Dioulabougou. N’ayant trouvé personne à
Dioulabougou, nous nous sommes intéressés au premier site. C’est un hagard de
fortune, en bordure de route. Les brouettes sont alignées devant. Sous l’abri,
quelques adultes devisent. En nous apercevant, ils changent de ton. Après
échangés, ils ont dû mal à croire que nous sommes venus louer des brouettes. Le
propriétaire est sorti, selon eux. Plus tard, en repassant sur les lieux, ce
sera le même refrain. En fait, le propriétaire est l’un de ces adultes,
seulement il a compris qui nous étions. Le signe qu’il sait également la nature
délictueuse de l’activité qu’il exerce. Quant aux parents, à les entendre, la
pauvreté est le premier facteur.
La réponse des parents
« Je n’ai pas d’argent
pour mettre mon fils à l’école. Au lieu de le laisser rôder à la maison, je lui
ai demandé de suivre l’exemple de Lasso, le fils de mon voisin. C’est comme
cela qu’il a commencé à travailler dès l’âge de 10 ans et c’est sa mère
qui garde son argent. Ses économies peuvent l’aider à faire autre chose plus
tard», avoue Sanogo Saïd, sans emploi. Pour Fatoumata Keïta. C’est la crise qui
a mis son mari en chômage et depuis lors c’est elle qui se débrouille pour nourrir
la famille. Quand son fils Kéita Aboubakar a eu l’âge de 8 ans, il a commencé
par cirer des chaussures en ville avant de rentrer dans la location de
brouette. « Et ça va chez lui. Il fait une recette qui varie entre 1.000 F
et 2.000 F par jour et cela nous aide beaucoup », avoue la mère du petit Aboubakar.
Une activité pourtant jugée dangereuse pour la vie de ces enfants. Leurs parents
ne l’ignorent pas. Pour eux, ces charges
que les enfants transportent à longueur de journée ne peuvent pas constituer de
danger pour leur santé. Toute chose que dément le directeur régional de la Promotion de la femme, de la famille et de la
protection de l’enfant. « Au plan physique, le port de charges
lourdes peut avoir des conséquences néfastes sur le développement normal de
l’enfant. La colonne vertébrale peut prendre un coup. L’enfant peut avoir
des malformations. Ce sont des enfants qui sont dans la rue toute la journée
sous le soleil. Ils se nourrissent eux même avec des moyens de bords. Donc,
malnutris. Ils courent aussi des risques de maladie dont l’anémie sévère. En
plus, ils sont mal vus et confondus aux voyous de la rue. Sans oublier les
risques d’accidents et d’agressions de la part des adultes », énumère Kouamé
Yssoufou. L’accident survenu en 2009 reste encore frais dans les mémoires. Faut-il
attendre un autre drame de ce genre pour prendre conscience du danger que
courent ces ‘‘enfants Belard’’ ?
Raphaël Tanoh, envoyé
spécial à Man
Leg : Ce travail est
classé parmi les pires formes de travail des enfants.
#Tags: #Enfants#, #microbes#, #maltraitances#, #violences#, #sociologue#, #société#, #parents#, #bandes#, #groupes#, #éducation#, #comportement#, #Ong#, #phénomène#, #GALÉRE#, #ENFANTS#, #BELARDS#, #MAN#
Commentaires
Enregistrer un commentaire