Lutte contre l’anarchie à Abobo: CHAUFFEURS, FRCI: LA BAGARRE
La
lutte contre l’anarchie des véhicules de transport en commun est sur le point
de virer au conflit à Abobo entre éléments des Forces républicaines de Côte
d’Ivoire (Frci) et chauffeurs. Ambiance.
Des cris d’indignation et des rires de
moquerie s’élèvent dans le petit marché improvisé à gauche de la mairie
d’Abobo. Une jeune fille est livrée à la vindicte populaire. En cause, sa tenue
impudique. Elle porte une mini-jupe assez indécente avec sur la tête, une
perruque rose extravagante. Sans compter son maquillage choquant. Gênée, elle
manque de s’enchevêtrer les pieds sous les rires de la foule. Elle finit par
disparaître derrière un pâté de maisons. Dans cette ambiance surchauffée par les
bruits de moteurs des véhicules, un chauffeur de wôrô-wôrô (véhicule de
transport en commun) est, lui, confronté à autre situation: un gaillard en
treillis vient de l’arrêter. Sa kalachnikov au flanc, le visage barré par des
lunettes noires, il reproche au conducteur de s’être mal stationné pour laisser
descendre un client. Ce dernier nie tout en bloc. L’élément des Forces
républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) menace de lui arracher son permis de
conduire. Le temps des empoignades, un de ses camarades du même corps vient lui
prêter main forte devant l’insoumission du réfractaire. Le chauffeur finit malgré
lui par présenter ses excuses. On le laisse partir. Il se dirige vers la gare de
stationnement d’Angré, à droite de la mairie. Avant cette scène, une autre, à
peu près semblable, a eu lieu le long de cette voie. Un chauffeur de
taxi-compteur que nous arrêtons devant l’agence Cie du Dokui freine sans crier
gare. Or un élément des Frci veillait au grain à cet endroit. Il court vers
l’infortuné pour lui réclamer son permis de conduire. Le chauffeur se confond
en excuses. Manque de veine. «C’est foutaise, tu ne sais pas qu’on ne gare pas
ici ? Donne ton permis», lui lance l’homme en treillis. Le chauffeur
lui fait comprendre qu’il ne faisait que prendre un client, et que cela ne lui
prendrait au plus que cinq secondes. Sous la menace d’une kalachnikov que porte
l’agent des forces de l’ordre, le chauffeur lui remet le permis de conduire.
Les règles élémentaires foulées au pied
Au moment où nous quittions les lieux
pour nous rendre à la gare d’Abobo, les deux hommes se lançaient des invectives.
Ces scènes témoignent de l’ambiance de poudre qui règne entre chauffeurs et
éléments de Frci chargés de réguler la circulation à Abobo. Là, toutes les règles élémentaires sont
foulées au pied. A la gare, les gbaka, les wôrô-wôrô, les véhicules personnels,
les camions, luttent âprement la chaussée dans un tintamarre de klaxons. Quand
ce n’est pas des accrochages, ce sont des passagers que certains tentent de
faire descendre sur la chaussée. Plusieurs éléments des Frci ont été déployés le long des
routes pour combattre ce bric-à-brac. Ce sont les hommes du caporal Dembélé, le
chef d’unité d’Abobo. Lui-même commis à cette tâche par le commandant Koné Gaoussou dit Jah Gao, patron
du camp commando d’Abobo. Au milieu de cette fièvre humaine, le caporal fait
régner l’ordre et la loi. Et il a sa façon particulière de faire rentrer les chauffeurs
de wôrô-wôrô et de Gbaka dans les rangs: sensibiliser sans user du flingue. «Ce
sont les chauffeurs de wôrô-wôrô et de Gbaka qui créent le désordre. Ils descendent les clients n’importe comment,
garent n’importe où. En plus, il ne nous respectent pas», regrette-t-il. A
force de brailler à longueur de journée, sa voix s’est éraillée. A côté de lui,
couché sur une table, l’un de ses éléments somnole. Explication du chef d’unité:
«il a un début de palu, c’est à cause des chauffeurs qui nous font trop parler».
La sensibilisation qu’il met en avant ne passe pas ici comme lettre à la poste.
Cela, malgré les efforts de ses hommes. Parmi eux, le caporal Coulibaly. Fluet,
visage émacié, ce trentenaire a vite compris qu’il n’y a pas que la chaussée
qui est concernée par l’ordre. Il faut également la faire régner dans les
gares. «Faut pas garer ici, hein ! Y a la place devant. Roule!...» Il frappe
de la main la porte d’un wôrô-wôrô à la gare d’Abobo-Plaque, en face de la
mairie. L’endroit grouille de véhicules et il y a des flaques d’eau partout. «Eh,
woyo (vieux véhicule), on gare pas client ici», lance un autre agent. A la
gare, les véhicules doivent stationner en rang. Plus tard, il dira qu’il fait
tout ceci pour que les clients puissent circuler tranquillement lorsqu’ils
traversent ces gares qui ressemblent à des casses. Il n’est pas le seul à s’y
atteler. Au moins un élément des Frci est posté dans chaque gare d’Abobo. Ils veillent
à ce que les véhicules stationnent comme il se doit. Mais l’exercice tourne mal
quelquefois. Comme ce chauffeur de Gbaka qui est en train de s’expliquer
bruyamment avec un Frci qui tient son permis. Sa faute ? Il a descendu un
client sur la route. Mais le chauffeur indique que le client est descendu sans
l’avertir. «Tu vas aller retirer ton permis au camp», lui crie l’agent de
régulation de la circulation. «Nous faisons tout pour ne pas qu’il y ait
palabre entre les chauffeurs et nous. Mais les gens ne nous écoutent pas parce
que nous sommes des Frci», se plaint le chef d’unité. Certains d’entre eux sont
des anciens chauffeurs de wôrô-wôrô reconvertis, pour quelques uns,
syndicalistes. Un chauffeur qui voit l’un de ses vieux potes jouer les flics
devant lui, ça ne finit pas toujours bien. Il ne constate les désagréments que lorsque
le permis de conduire du chauffeur qui fait de la résistance est bloqué et qu’il
doit aller le retirer au camp commando, où se trouve le boss. «Il faut négocier
d’abord. Celui qui est mal garé, on le lui dit et il gare bien. Ici, nous ne
tirons pas sur les chauffeurs comme les policiers le faisaient», note-t-il. Mais
à «Abobo la guerre», les chauffeurs de Gbaka et de wôrô-wôrô n’ont que faire de
la négociation. «Y a des Frci qui exagèrent. Ils refusent qu’on gare à la gare
pour prendre les clients», se plaint Traoré Valy, un chauffeur de
taxi-compteur. Quand Ibrahim, un conducteur de Gbaka qui fait la ligne Abobo-Adjamé,
dénonce le racket qui commence à se développer avec la régulation de la
circulation désormais dévolue aux militaires. «Ils (les Frci) ont plusieurs
fois bloqué mon permis pour rien. Ils ont demandé que je paie 1.000 FCFA, d’autres
ont demandé 500 FCFA». Cependant, certains conducteurs saluent l’initiative des hommes du commandant
Jah Gao. «Les chauffeurs roulent mal et garent mal à Abobo. Quand il y a de
l’ordre, ça arrange tout le monde», note Cissé M. qui fait la ligne baptisée La
gare-Hôpital Félix Houphouët Boigny. Comme le dit un chauffeur, ici, on se
connaît en détail.
Raphaël Tanoh
Commentaires
Enregistrer un commentaire