LOGEMENTS SOCIAUX: LA GROSSE MACHINE
Le déficit de logements en Côte
d’Ivoire est estimé à 600.000, avec environ 20.000 logements par an dans le
grand Abidjan. Depuis les dernières études, c’est une course effrénée pour
réduire ce gap. En 2011, le programme de logements sociaux, qui était de
l’ordre de 150 000, n’a réussi finalement qu’à fournir 15000 logements. Sur les
48 constructeurs, seulement une quinzaine a pu fournir plus de 100 logements sur
les 300 logements attendus par entreprise. Pour éviter l’échec de 2011, le
ministère a décidé de se fier à des investisseurs fiables et d’accorder de
facilités fiscales aux entreprises.
Depuis l’annonce de la deuxième phase
des logements sociaux, les Ivoiriens ont le regard tourné vers le ministère de
la Construction, du logement et de l’urbanisme. Le 17 juin 2022, le ministre Bruno Nabagné Koné, a signé deux mémorandums d’entente avec deux
sociétés immobilières américaines. GIS International et Africa ATH. Objectif :
construire 35. 000 logements sociaux, économiques et de standing au profit des
Ivoiriens de la diaspora, mais aussi de la population à revenus moyens. Bien
avant cela, le 15 avril 2022, le ministre avait signé trois conventions avec la
société égyptienne Arab Contractors. La structure annonce 20.000 logements
sociaux, économiques et de standing à des coûts abordables, avec l’option de la
location-vente, destinés aux ménages à faibles revenus. L’élément commun ici,
c’est la satisfaction des ménages à faibles revenus. Une mission que l’Etat
veut réussir, après un premier échec.
Déjà, sur le terrain, les Ivoiriens
s’impatientent. «Beaucoup de choses sont annoncées mais on ne voit rien encore»,
fait remarquer par exemple Yaya Sanogo, président des locataires de Côte
d’Ivoire.Mais les autorités veulent s’assurer cette fois-ci, que tous les
boulons sont bien serrés. Car, un second ratage condamnera définitivement ce
programme. Si le ministre Bruno Koné rassure que la liste des promoteurs a été
ouvertes aux entreprises internationales, Bongué Tia Sylvain, directeur du
logement et de l’aménagement foncier précise, lui, que tous les promoteurs
agréés sont scrutés à la loupe. Ils font l’objet d’une enquête à la police,
avant d’obtenir leur agrément.
Déficit
L’un des buts de l’ouverture des
promoteurs à l’étranger est de parvenir à réaliser au minimum 50 à 60.000
logements tous les ans. «Le déficit est de 20.000 logements par an, dans une
ville qui compte entre 6 et 7 millions d’habitants», indique le ministre. Pour
être sûr que rien ne viendra enrayer la machine, Bruno Koné informe qu’un
projet pilote sur 25.000 logements, avec un accompagnement fort de l’Etat, va
être lancé. Il s’agira de rassurer les investisseurs, en les amenant à prendre
le relais.Une préoccupation partagée par Yaya Sanogo. «Lors de la première
phase des logements sociaux, les personnes à qui étaient destinées les maisons
ne les ont pas reçues», rappelle-t-il, en insistant sur le sérieux à mettre
cette fois-ci dans le projet. Le ministre, qui en est conscient, note qu’une
commission de sélection, de recrutement des personnes éligibles au projet a été
mise en place. La commission a pour but de faire en sorte que seules les
personnes qui ont droit à ce programme puissent y accéder, contrairement au
premier programme de logements sociaux où les maisons sont plutôt revenues à
des gens aisés. En plus, la cible principale, d’après le ministre, ce sont les
fonctionnaires qui sont autour de 300 000. Cette deuxième phase des logements
sociaux va atténuer les conditions d’accès au logement, à travers le tout
nouveau Fonds de garantie du logement social (FGLS). Mais également, à travers
le principe de la location-vente, qui donne le temps au travailleur moyen de
payer sa maison sur une durée de 20 à 30 ans. Les fonctionnaires ayant autour
de 25 ans de carrière, souligne Bruno Koné, pourront dès le début rentrer dans
un programme. «80% des Abidjanais sont locataires. Ce qu’ils recherchent, c’est
la possibilité d’accéder à un logement décent », fait-il savoir. Ainsi, à l’entendre, avec le soutien de
l’Etat, les conditions d’accès seront assouplies, les loyers seront fixés en
conséquence, avec une part importante de subvention de l’Etat. «Le ministre a lancé un appel dans ce sens,
afin que les investisseurs qui viendront se lancent dans la location-vente»,
explique une source proche du ministre. Parmi les modèles de location-vente, il
y en aura pour la classe moyenne et pour la classe à fort revenu. À long terme,
Bruno Koné annonce 150 000 logements en location-vente. «Si on veut que le
programme de la location-vente soit une réalité, l’Etat doit accepter de subventionner
les logements sociaux», propose Yaya Sanogo.
Préoccupation
Une préoccupation prise en compte par le
gouvernement, qui a décidé de se baser sur la réalité du terrain. «Nous avons
décidé qu’un logement spécial ne coûte pas plus de 12,5 millions et que le
logement économique ne dépasse pas 23 millions F. Nous avons fait nos calculs
et c’est entre 30 et 50% de subventions de l’Etat», avait indiqué le ministre
lors de son bilan, en février dernier. La location-vente devrait donc tenir
compte de cette réalité.
On le sait, près de 30 milliards FCFA
seront mobilisés chaque année pour le financement de cette politique de
logement social. Notamment, la purge des droits coutumiers afin de constituer
une réserve foncière de 6 000 hectares de superficie à Abidjan et l’intérieur
du pays. «Les promoteurs immobiliers ne sont pas les seuls à s’engager. Nous
avons de nombreux particuliers qui y participent à leur manière. La délivrance
des permis de construire a considérablement augmenté ces dernières années à
Abidjan. Ce qui montre la hausse du nombre de constructions. Une fois qu’on
aura réussi à équilibrer l’offre et la demande, le problème de logements à
Abidjan sera terminé et le coût des loyers va baisser », affirme un proche
collaborateur du ministre Bruno Koné.
Promoteurs
Cependant, quelle garantie que les
promoteurs choisis pourront fournir aux Ivoiriens, les maisons qu’ils désirent
aux coûts qu’ils souhaitent ? Surtout que l’Etat n’est plus constructeur. «Le
système de la SICOGI (ndlr, Société ivoirienne de construction et de gestion
immobilière), était le meilleur. Malheureusement, elle a été dissoute. Or, nous
avons besoin qu’il y ait du social pour pouvoir accéder à un toit. Un
fonctionnaire qui est payé à 250 000 FCFA, peut-il valablement bénéficier d’un
logement social à la fin de sa carrière ?», s’interroge Abba Eban, président du
Mouvement pour l’union des enseignants de Côte d’Ivoire (MUNECI).La question
turlupine. Elle a même été à la base de l’échec du premier programme. Mais le
gouvernement rassure. Et annonce la levée d’un fonds de 500 milliards de FCFA
qui sera attribué à la Construction.
L’un des aspects qui sera pris en compte
dans cette seconde phase des logements sociaux, c’est la construction en
hauteur. « Il faudra qu’on
s’habitude à habiter en hauteur, pour résorber le gap», note aussi Bruno Koné.
Et le ministre d’ajouter : «C’est un principe qui s’impose à toutes les grandes
villes africaines». Un choix qui permettra de rendre accessible le coût des
maisons. Bien que la SICOGI ait été dissoute, pour Bruno Koné, l’Agence
nationale de l’habitat (ANAH), qui la remplace, veillera à ce que cette
deuxième étape des logements sociaux soit bien pilotée. Si les Ivoiriens
s’impatientent, c’est parce que la préparation prend du temps. Mais l’attente
en vaudra la peine, rassurent les autorités. «Il n’est pas possible que tout le
monde soit propriétaire», reconnaît le ministre qui annonce 300 milliards
d’exonération fiscale aux promoteurs immobiliers. L’Etat travaille également sur
la délivrance rapide et fiable des titres de propriété foncière. C’est sûr, la
machine est lancée et elle sera imbattable.
Raphaël Tanoh
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