CHU, HÔPITAUX, ETC: LE PERSONNEL EST-IL SURMENÉ?





Cet article a été rédigé en 2019.

Centre hospitalier universitaire(CHU) de Cocody. Dans l’angoisse de ce début de semaine, les visiteurs du Nouveau service d’urgence médicale, ont envie de se boucher les oreilles. Les cris stridents d’un accidenté qui a besoin de morphine pour calmer sa douleur, exaspèrent. Le personnel soignant lui a déjà prodigué les premiers soins. Un bout de jambe ainsi qu’une partie du bras sont bandés. Il y a des sparadraps sur sa cuisse et sur le flanc. Mais on ne peut plus rien pour lui. Parce qu’il y a d’autres patients qui attendent. Dans la salle animée de va-et-vient, médecins, infirmiers et aides-soignants semblent débordés. Une partie du hall est occupé de malades alités. On les a mis là parce qu’il n’y a plus de places. A côté, il y a un poste de commande muni de quelques ordinateurs. C’est là que les médecins et infirmiers signalent les cas sur lesquels ils travaillent et notamment les plus urgents. Après le scandale survenu suite au décès du mannequin Awa Fadiga en 2014 dans les locaux de l’établissement sanitaire, le nouveau bloc des urgences a vu le jour. Il comprend les urgences médicales, pédiatriques, gynécologiques, la chirurgie. Mais aucun personnel soignant, selon le témoignage des travailleurs. Ce sont les employés de l’ancien bloc des urgences qui viennent travailler ici. Surbookés et à bout de nerfs, la plupart cachent un profond désarroi sous les sourires affichés. D’après le témoignage de l’employé du CHU qui nous sert discrètement de guide ce jour, ils travaillent par équipes dans ce service. Dans un établissement sanitaire normal, une équipe se compose d’au moins 2 anesthésistes, 3 médecins, un infirmier, un aide-soignant et un ASH et instrumentiste. Soit 9 personnes, minimum. Mais ici, c’est un seul médecin, un anesthésiste et un infirmier. L’infirmier est obligé de jouer le rôle de l’aide-soignant pendant son tour. Pour faire l’économie de personnel, chacun doit apprendre à jouer deux rôles à la fois, ici aux urgences médicales. Le service qui croule sous le poids de la demande a mis en place un système qui n’est pas nouveau en soit : les cas les plus urgents d’abord. Les patients dont le pronostic vital est fortement engagé, sont prioritaires. Si vous n’êtes pas dans ce cas de figure, vous pouvez attendre. Et si vous ne voulez pas attendre, vous pouvez vous rendre dans une clinique privée. « On ne peut pas être toujours juste dans le diagnostic vital », explique  Michel.
Il en a fait l’amère expérience le 24 décembre dernier. Son fils de deux mois, atteint subitement d’un problème respiratoire a été admis au CHU de Cocody par une nuit agitée. « Quand nous sommes arrivés, le médecin qui nous recevait a expliqué que les services ne pouvaient plus accueillir de patient.  Le cas du bébé n’ayant pas été jugé grave, nous avons été obligé de nous diriger vers une clinique. Il fallait trouver une ambulance. Le CHU n’en ayant pas à ce moment-là de disponible, il fallait trouver un taxi et parvenir à une clinique, l’enfant est décédé », raconte de père de famille.  L’employé du CHU de Cocody qui nous guide, estime lui que le CHU dispose de l’un des meilleurs plateaux techniques du pays, sinon le meilleur. Seul bémol, dit-il, il n’y a ni l’espace, ni personnel soignant suffisant pour faire face aux sollicitations. Quand les malades ne sont pas forcés d’aller dans d’autres structures sanitaires, ils sont couchés dans les halls. « Encore qu’au CHU de Cocody, vous pouvez être sûr qu’une fois pris en charge vous allez être soigné correctement, parce que les infrastructures sont là», ajoute notre hôte. Ici, à l’entendre, c’est un système de 24h qui a cours. Ils travaillent donc 48h par semaine au lieu de 40h comme l’exige la loi. Entre deux maux, dit-il, il a fallu choisir le moindre, car il y avait un système de garde/permanence qui avoisinait le 50h par semaine qu’ils ont rejeté. Ils sont pressé, souffle-il, comme du citron. On les presse jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucun jus. Les urgences médicales ont pratiqué par exemple 15 séquaniennes ce mercredi 16 janvier. La moyenne est plus élevée. Parfois, c’est presque 500 césariennes dans le mois. « Sans compter les autres opérations qui sont menées. Ici, vous travaillez, jusqu’à ce que le corps vous lâche, et vous continuez encore de travailler. Le jour où vous désertez votre poste parce que vous êtes fatigué, personne ne vous protégera s’il arrive un incident, même pas vos chefs », lâche notre guide du jour. La conséquence ? Les erreurs médicales. « Parfois, il arrive qu’on oublie une compresse dans le ventre du patient. On m’a même signalé qu’une pince est déjà restée à l’intérieur d’un malade. Il y a des erreurs médicaux de ce genre qui sont fréquents à cause du surmenage »,  déplore le salarié du CHU de Cocody. Pendant qu’il explique leur désarroi, une femme l’accoste, après avoir remarqué sa blouse blanche. Elle a amené son enfant ici. Mais elle ne comprend pas qu’on lui demande de payer la poche de sang. « Le gouvernement a dit que les soins d’enfants sont gratuits ». Elle est persuadée d’être en train de se faire arnaquer. Notre guide tante de lui expliquer avec subtilité que la poche de sang n’est pas gratuite et que c’est un malentendu. La femme insiste : « les soins des enfants sont gratuits ».  Après quoi, elle lorgne son interlocuteur avec l’air de se dire : « tu ne m’aura pas ». Et puis, elle s’en va. Pour le personnel soignant, c’est le quotidien.  « Les patients ont généralement l’impression que nous essayons de leur soutirer de l’argent, parce que les discours politiques à la télé ne reflètent pas la réalité du terrain. Tout n’est pas gratuit à l’hôpital dans le cadre de la gratuité des soins. Il faut l’expliquer aux gens. Il y a beaucoup de disputes entre les parents des malades et le personnel à cause de cela. Parfois nous sommes même tabassés », déplore le travailleur. Cette galère, le personnel du CHU de Cocody n’est pas le seul à la vivre. Au CHU de Yopougon, en plus de l’effectif surexploité, il faut aussi faire face à un plateau technique défaillant. Et très fréquemment, les employés sont pris à parti par les malades. La dernière en date : le 30 janvier dernier. Un médecin est frappé par le parent d’un patient qui vient de décéder. Ce dernier, pense-t-il, n’a rien fait pour sauver le malade. « Il n’y avait pas de place. Le personnel a été obligé d’appeler les autres hôpitaux pour chercher de la place. Pendant ce temps le malade est décédé. Ce n’est pas leur faute s’il n’y a pas de place. Le problème que nous avons dans nos établissements sanitaires publics, c’est qu’il n’y a pas de places, alors que la demande est forte», explique  Dr Guillaume Akpess, le secrétaire général du Syndicat national des cadres supérieur de la santé de Côte d’Ivoire (Synacass-CI). C’est un problème propre, selon lui, à tous les hôpitaux du pays. Normalement, le malade doit suivre la pyramide sanitaire, en se rendant d’abord dans un centre de santé de premier contact. S’il n’arrive pas à être soulagé, on le dirige vers l’établissement sanitaire qui vient dans la hiérarchie, jusqu’à ce qu’il arrive au CHU. Mais pour un mal de tête, déplore le personnel soignant, on se dirige au CHU. « Je crois qu’en dehors de cela, c’est le ratio hôpital/population qui n’est pas équilibré », signale Dr Apkess. Ajouter à cela, la qualité du plateau technique qui laisse à désirer, les soucis du personnel soignant deviennent ingérables. « Le médecin tabassé au CHU de Yopougon n’est pas le premier cas. Il faut un environnement sécurisé pour les travailleurs », ajoute le secrétaire général du Synacass-CI. Mais tout le monde n’est pas du même avis. Le personnel soignant n’est pas si étranger à cet état de fait. « Ce que nous constatons c’est que les travailleurs dans nos hôpitaux publics sont contractuels dans les cliniques privées. Souvent il sont propriétaires de cliniques », fustige Soumahoro Ben N’Faly, président de la Fédération ivoirienne des consommateurs le Réveil (Ficr). Et ils font tout, d’après lui, pour diriger les patients vers les cliniques privées où ils bossent. S’ils sont surmenés, pour Dr Edi Ossohou Albert, directeur de la médecine hospitalière et de proximité au ministère de la Santé et de l’hygiène publique, c’est parce qu’ils ne se reposent pas. « On ne peut pas empêcher un travailleur d’utiliser son temps de repos comme il le désire. Si, au lieu de se reposer, il va travailler dans une clinique privée, c’est normal qu’il se sente surmené », indique Dr Edi Ossohou. Alors pour lui, il faut lorgner du côté de cliniques privées pour trouver le problème.

Raphaël Tanoh
(NB : ce reportage a été réalisé il y a environ 6 mois)


Encadré


Cliniques privées, amis ou ennemis ?

Pendant que l’Etat continue de dérouler son vaste programme de réhabilitation, d’équipement et de construction d’hôpitaux dans le cadre de la Couverture maladie universelle (CMU), les besoins en infrastructures et en personnel semblent s’agrandir de jour en jour. Aujourd’hui, tout comme l’éducation nationale et l’enseignement supérieur, la santé publique va devoir combler la demande sans cesse croissant avec le secteur privé. Mais les cliniques ne forment pas de personnels. Et elles n’embauchent pas non plus. « Aucune clinique ne peut le faire aujourd’hui, et arriver à assumer ses charges fixes », justifie un médecin co-gérant d’une clinique à Cocody. Alors, ils sont obligés de piocher dans le personnel d’Etat. Les autorités auront beau former des travailleurs, augmenter les postes budgétaires, cela ne changera pas. « Dans tous les pays au monde, le système privé et public ont toujours travaillé ensemble. C’est à la population de choisir. Mais je peux vous dire que l’accueil n’est pas de qualité dans le privé que dans le public », directeur de la médecine hospitalière et de proximité au ministère de la Santé et de l’hygiène publique. Le gouvernement, à l’entendre, fera tout pour offrir un meilleur service de qualité aux populations dans nos hôpitaux. Mais il ne saurait empêcher les cliniques privées de prospérer. Tout ce qu’il peut faire, c’est contrôler la qualité et s’assurer de l’harmonisation des tarifs de prestation tant au privé qu’au public. Et c’est ce qui est fait en ce moment.
RT
#Tags: #Enfants#, #société#, #parents#, #bandes#, #groupes#, #éducation#, #comportement#, #Ong#, #phénomène#, #SERVICE D’ÉVEIL#,  #GUÉRISON DES ENFANTS#,  #SANCTIONS#, #MÉDECINS#, #CLINIQUES PRIVEES#, #Edi Ossohou Albert#, 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

GÉNÉRAL GONDO: « LE JOUR OÙ ON A RACONTÉ À HOUPHOUËT QUE J'AVAIS VOLÉ LA COCAÏNE»

VISA: UNE STRUCTURE ARNAQUE DES CENTAINES D'IVOIRIENS

"DES SANCTIONS CONTRE LES MÉDECINS DANS LES CLINIQUES PRIVEES": Dr Edi Ossohou Albert, directeur de la #médecine hospitalière# et de proximité au #ministère de la Santé# et de l’hygiène publique