INTERVIEW: LE COMMISSAIRE DE POLICE QUI RÉPARE LES FEMMES


Interview Dr #Yao Kouadio Côme#, médecin, commissaire de police, spécialiste en chirurgie intime, gynécologue obstétricien:



« Excision : ce que les femmes vivent en silence »


Dans son modeste bureau situé à l’infirmerie de la Brigade anti-émeute (BAE) de Yopougon, Yao Kouadio Côme doit honorer les nombreux rendez-vous  qui l’attendent ce vendredi. Après avoir libéré ses patientes, c’est un jeune homme ordinaire, accueillant à qui on ne prêterait pas attention dans la rue en temps normal, qui nous tend sa poigne de fer. Derrière son sourire jovial se cache en réalité, un confident avisé, un commissaire de police,  un #gynécologue obstétricien#, un spécialiste en chirurgie intime, un spécialiste en colposcopie et pathologie cervical vaginale, un chef de service de #gynécologie#, etc. Quelques minutes de contact suffisent à comprendre qu’il n’y en a pas deux comme Dr Yao Kouadio.  

Commissaire de police et gynécologue obstétricien, c’est très rare.   Y a-t-il en Côte d’Ivoire d’autres policiers comme vous ?
Au niveau de la police, nous avons des médecins et beaucoup de spécialités. Nous avons même un cardiologue qui vient d’avoir son agrégation et que je félicite. Mais je suis le seul médecin, commissaire, gynécologue. Du moins, pour le moment.

Comment en être-vous arrivé à combiner ces deux métiers assez singuliers ?
Pour être #gynécologue#, j’ai fait la faculté comme tout le monde, j’ai fini ma spécialité, j’ai soutenu ma thèse. Ensuite, étant donné que dans la famille il y a beaucoup de ‘‘corps habillés’’, j’ai passé le concours de commissaire de police avec succès.  C’est ainsi que je suis devenu commissaire de police, spécialiste en chirurgie intime.

Avez-vous une clientèle particulière?
Je n’ai pas de clientèle particulière. Il est vrai que lorsque les patientes viennent me voir, elles sont surprises en général qu’un commissaire de police soit médecin et de surcroit gynécologue. Il y a certaines patientes, au départ, qui étaient un peu hésitantes, parce que je consultais en tenue de commissaire de police. Et une patiente m’a dit un jour que lorsqu’elle arrive et que je suis habillé ainsi, ça l’effraie. C’est pour cela que je ne consulte plus en tenue.

Il y a eu récemment la journée internationale de tolérance zéro à l’égard des #mutilations génitales féminines# (MGF). On sait que vous êtes impliqué dans ce combat-là, mais dans quel cadre se font vos interventions ?

La toute première voie que j’utilise pour lutter contre les #mutilations génitales féminines# (MGF), ce sont les conférences. A cette occasion, certaines ONG me sollicitent pour intervenir sur les MGF. Pendant les consultations également, nous en profitons pour sensibiliser. Les MGF se font partout en Côte d’Ivoire, mais il  y a des zones où la pratique est beaucoup plus accentuée : au Nord, au Nord-Ouest, à Ouest. Donc, une fois que j’ai une patiente qui vient de l’une de ces zones, je profite de la consultation pour la sensibiliser. J’essaie de voir, par exemple, si elle a une notion sur les MGF, comment cela se passe dans sa région, si la pratique continue, etc. Je lui  donne des conseils.


A votre avis, pourquoi les zones comme le Nord et l’Ouest de la Côte d’Ivoire sont les plus touchées par l’#excision# ?
Les MGF n’ont aucun fondement religieux et médical. Aucun texte religieux, cela a été prouvé, n’autorise l’excision. Il faut peut-être chercher les causes dans les pratiques culturelles. 

Depuis quelles années êtes-vous engagé dans la lutte contre les MGF ?
Depuis environ 8 ans. Cela a débuté en 2011-2012. Dans cette période-là, des patientes sont venues me voir. Elles avaient été #excisées# et cherchaient comment se faire réparer. Je les ai aidées. Et depuis cette époque, je me suis dit : tiens, voilà un sujet important, je vais voir comment aider les gens. Ça a été un engagement personnel.

L’excision est combattue aujourd’hui sur le plan international, mais continue encore  dans certaines zones. Les conséquences de cette pratique sont-elles suffisamment connues pour que des communautés refusent toujours de l’abandonner?
Nous sensibilisons et continuons de le faire sur les conséquences de l’excision. La femme est constituée pour faire des enfants. La vulve est naturellement souple. Lorsqu’il y a une excision, cette vulve devient cicatricielle. Et pendant l’accouchement, il peut y avoir beaucoup de lésions. Des lésions antérieures, avec des déchirures qui peuvent même entraîner une lésion de la vessie, si on n’y prend garde. Il y a des lésions postérieures qui peuvent provoquer une lésion au niveau du rectum. Ces deux lésions vont entraîner en avant, des fistules vésico-vaginales et en arrière des fistules recto-vaginales. Les fistules vesico-vaginales signifient que les urines coulent en permanence dans le vagin. La femme est toujours mouillée. Pour ce qui est des fistules recto-vaginales, les selles viennent en permanence dans le vagin, ce qui est très désagréable.

On parle de différents types d’excision, combien en avez-vous rencontré dans votre carrière ?
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a trois types d’excision. Vous avez l’excision de type 1. Qui regroupe une excision où on a enlevé une petite du capuchon du clitoris et le clitoris. Il y a ensuite l’excision de type 2 où on enlève  le capuchon du clitoris, le clitoris et plus ou moins les petites lèvres du vagin. Au niveau de l’excision de types 3, encore appelée l’infibulation, après l’ablation on ferme les grandes lèvres du vagin. La femme ne peut pas avoir des rapports sexuels.

Cette forme d’excision, un peu radicale, se pratique-t-elle en Côte d’Ivoire ?
Je n’ai jamais vu de cas comme cela en Côte d’Ivoire, mais j’en ai rencontré  à Ouagadougou. Cela se voit beaucoup plus en Afrique du nord. La forme d’excision qui est courante en Côte d’Ivoire, c’est le type 2. On enlève le capuchon du clitoris et le clitoris. Soit on laisse ou on enlève les petites lèvres du vagin. 80% des cas d’excision ici sont de type 2.

Depuis que vous soignez les femmes, quels sont les cas qui vous ont le plus choqué?
Naturellement, c’est lorsque j’ai vu la toute première fois un cas d’excision de type 3. La femme avait été excisée et les grandes lèvres avaient été carrément fermées. Il ne restait qu’en bas, un petit orifice qui permettait l’écoulement du flux menstruel et des urines. C’était en 2014 à Ouagadougou. Cela m’a marqué à jamais. 

Avez-vous cherché à comprendre ce qui avait poussé des gens à pratiquer cette forme d’excision ?
Je crois que tout part de la cause de l’excision. Dans certaines communautés, on vous dit, par exemple, que lorsque vous n’êtes pas excisée, vous ne serez pas aimée par la population. Une fois, une dame m’a expliqué qu’elle ne voulait pas se faire exciser. Mais sa maman passait son temps à l’insulter avec des injures du genre : « regarde-moi ton clitoris qui est gros on dirait un pénis devant toi ». Elle était devenue la risée de la famille. Et avec la pression, elle a été obligée d’aller se faire exciser. Un acte qu’elle a regretté plus tard, puisqu’elle est venue me voir pour se faire reconstruire. Comme je l’ai dit plus haut, les us et coutumes y sont pour beaucoup.

Combien de femmes excisées reconstruisez-vous par an en moyenne ?
Une trentaine.

Toutes ces interventions se font-elles en général en Côte d’Ivoire ?
Je fais les interventions en Côte d’ Ivoire mais, il y a des patientes qui viennent de d’autres pays ? J’ai même opéré des patientes venues de France. Parce que là-bas, le plus souvent, les rendez-vous sont longs. Il y a une femme qui est d’abord venue pour l’opération, ensuite elle a fait venir ses sœurs qui étaient dans la même situation qu’elle. C’était de grandes femmes. Elles avaient été excisées ici probablement avant de partir en France.

Comment est leur état d’esprit quand elles viennent vous voir ?
Lorsqu’une femme excisée arrive, il y a des questions que nous lui posons. L’âge à laquelle elle a été excisée, par exemple. Même à quarante ans, certaines patientes vous relatent avec précision une excision qu’elles ont eue à 5 ans. Parce que c’est toujours un évènement traumatisant qu’elles ne peuvent pas oublier. Lorsqu’elles arrivent, forcement, elles sont angoissées, crispée. Elles m’expliquent leurs souffrances et je partage cela avec elles. Certaines patientes m’ont confié, entre autres, que leurs époux ont divorcé parce qu’elles n’arrivaient pas à le satisfaire. Au lit, il la trouve large… Des problèmes psychologiques très difficile à relater.



Comment se fait leur guérison après l’opération ?
Le clitoris est un organe qui fait à peu près dix centimètres. Et les exciseuses ne font l’ablation que d’un centimètre à peine de cet organe, pendant l’excision. Le reste est enfoui au niveau de la vulve. La technique opératoire consiste à aller récupérer ce qui est à l’intérieur et à le repositionner. Après l’opération, la femme retrouve ses mêmes sensibilités perdues. Je les revois, joviales, pleines de vie.

Restez-vous en contact avec elles ?
Après l’intervention, nous suivons la dame sur un an, avec des rendez-vous réguliers. Ensuite, certaines s’en vont et vous ne les rêverez plus. Mais d’autres sont très joviales, elles vous appellent après pour vous relater comment se passe leur nouvelle vie sexuelle, après l’opération. C’est un nouveau monde qu’elles découvrent, une nouvelle joie, une nouvelle façon de vivre. Et cela me fait énormément plaisir. Ça vous procure une grande satisfaction personnelle. C’est une satisfaction pour le médecin qui est mieux que la fortune. Il y a une dame qui est passée me voir après son opération, dans le cadre de nos rendez-vous réguliers pour le suivi. Elle m’a dit : « quand j’ai fait les rapports avec mon mari j’ai commencé à trembler. Il m’a dit, tiens, d’habitude tu ne trembles pas. C’est bon signe ». (Rire).

Les maris, en général, restent-t-ils à l’écart ?
On les voit très rarement. Par contre, il y a une femme que j’ai opérée ici à la BAE, il y a trois mois. Elle était venue avec son mari. Ils m’ont posé le problème. A tous les niveaux, le mari l’accompagnait. Même pendant les pansements. Il s’en chargeait, d’ailleurs. Mais ce sont des cas assez rares. Je rencontre plusieurs femmes qui me disent que leurs époux ne veulent pas qu’elles subissent une intervention chirurgicale. Elles se cachent pour venir faire leur opération. Toutefois, de nombreux maris se ravisent lorsqu’ils découvrent la joie qu’il y a dans le couple, après l’intervention.

Pour la femme, il faut du courage pour venir vous voir…
Il y a, bien entendu,  des femmes excisées qui ont besoin de se reconstruire, mais qui ne se décident pas. Vous avez des femmes qui sont très soumises, d’autres pas. Certaines ont la facilité de convaincre leurs maris, d’autres non. Et puis, vous trouverez quelques époux totalement carrés dans la tête. J’ai été un contact avec des femmes qui m’ont clairement fait savoir qu’elles ont peur de la réaction de leurs maris.

C’est donc en silence que de nombreuses femmes souffrent des conséquences de l’excision…
Hélas, oui. Cependant, j’ai reçu une jeune fille de 22 ans, venue se faire reconstruire. Elle avait été excisée étant en classe de CE1. Elle voulait retrouver entièrement sa vie sexuelle. Pour dire que certaines femmes réagissent.

Parmi les femmes que vous recevez, il y en a qui sont très âgées ?
54 ans. C’est l’âge qu’avait la femme la plus âgée que j’ai eue à rencontrer dans le cadre de mes interventions.

Ce n’est pas fréquent…
Non, pas du tout. Elle a tenu tout d’abord à me préciser qu’elle ne venait pas faire l’intervention pour le sexe. Elle m’a expliqué qu’elle est née avec une certaines intégrité physique qui a été rompue. Elle voulait la retrouver. En plus de cela, elle a ajouté que pendant longtemps, elle a fait des rapports avec son mari, mais a toujours fait semblant. Elle gémissait en simulant, pour lui faire croire qu’elle tirait du plaisir, mais ce n’était pas vrai.  Pourtant, elle a de grands enfants. Durant tout ce temps, elle n’a fait que mentir à son mari. Et elle ne pouvait plus supporter cela. C’est le monde cruel dans lequel ces nombreuses femmes sont plongées en silence, après l’excision. Les personnes qui leur ont fait subir cela, ne sont pas là en général pour partager leur souffrance. C’est pour cela que nos parents doivent comprendre que l’excision n’a aucun avantage. Il y a des femmes qui en meurent, parce qu’elles ont contracté une infection. Certaines ont des fistules visico-vaginales et si elles n’ont pas l’argent, elles vont toujours sentir l’urine, cela gâche leur vie.

L’opération pour se reconstruire coute-elle chère ?
Ce n’est pas un problème de coût, mais un problème de volonté politique. Les médecins qui font les interventions chirurgicales de ce genre forment un cercle restreint. Nous nous connaissons tous. Si l’autorité met les moyens à notre disposition, nous allons opérer sans exiger de l’argent. Ce sont nos sœurs, nos mères, nos cousines qui se trouvent dans ces situations. Pourquoi les priver de plaisir ? Le mal est fait, il est là, pour l’opérer il faut du matériel. Donc, que l’Etat mette le matériel à notre disposition, parce qu’ailleurs, cela se fait.

Comment voyez-vous le combat contre l’excision en Côte d’Ivoire, dans les années à venir ?
Je suis très optimiste. Mais il faut que les actes suivent. Il y a une loi qui punit les exciseuses, certes, mais il faut qu’il y ait des actes concrets de sensibilisation. Que les Ivoiriennes excisées ne désespèrent pas. Elles peuvent aujourd’hui se faire opérer, retrouver leur vie sexuelle perdue. Celles qui peuvent aider à la sensibilisation, doivent le faire. Parce que c’est ensemble que nous allons y parvenir.
 Interview réalisée par Raphaël Tanoh
Leg : Dr Yao Kouadio Côme est le seul médecin, commissaire de police et spécialiste en chirurgie intime, en Côte d’Ivoire.
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