#échangeur Agban#: COMMENT LES PIETONS DEFIENT LA MORT
La glissade…La roulade…Le choc !...
L’ambulance des sapeurs-pompiers militaires qui arrive…La civière…La morgue. Difficile
d’imaginer autrement cette scène. Les piétons qui arpentent le talus ce matin pour
rejoindre l’échangeur d’Agban jouent manifestement avec la mort. En cas de
dégringolade, c’est une chute de dix mètres qui les attend, jusqu’en bas de la
pente de terre abrupte qui longe l’autoroute du nord. La cascade pourrait même
finir sur la chaussée bouillante. Et bonjour les dégâts ! Beaucoup parmi ces
personnes arrivent de Yopougon. Le gbaka (véhicule de transport en commun), qui
les a transportées, a freiné cinq minutes plus tôt sous l’échangeur. En un
quart de seconde, l’apprenti a sauté à terre, avant de vociférer : «Agban,
ça descend !» C’est le nom de l’arrêt. Si vous voulez vous rendre à Adjamé
et que le gbaka passe par-là, il n’y a pas meilleur endroit. Seul
problème : comment rejoindre la voie au-dessus? Traverser les deux versants
de l’autoroute, à droite, ensuite emprunter le chemin praticable qui monte
jusqu’à l’échangeur? Cela peut prendre quelques minutes, et pour ceux qui n’ont
pas l’habitude de traverser les grandes artères, ça craint. Une autre
possibilité, c’est de sauter le grand caniveau sous l’échangeur, emprunter un autre
chemin, tortueux celui-là, mais qui relie la route d’Adjamé, sans risque. Les
femmes ne l’aiment pas parce qu’elles ne peuvent pas sauter le caniveau en
question. Les hommes l’abhorrent malgré sa longueur, l’odeur de l’urine qu’ils
doivent supporter et du petit bois à traverser, où un serpent peut venir gâcher
la journée. Pourquoi, diantre, se donner tant de mal quand on peut parcourir à
grands pas la pente à gauche, et en quelques secondes, déboucher sur
l’échangeur ? Elle est raide, longue d’une dizaine de mètres. Le chemin
improvisé là-dessus pour regagner l’échangeur est parsemé de creux, de pierres,
et recouverte d’une terre visqueuse quand il pleut. La moindre bévue peut
s’avérer fatale. Car, juste en bas, où les gbaka déversent leurs clients, c’est
l’autoroute avec sa circulation très agitée. Si la chute ne vous fait pas
passer de vie à trépas, la chaussée s’en chargera. Il faut voir ces gens escalader
cette espèce de colline, avec prudence, une jambe après l’autre, pour
comprendre combien le moment est délicat. Les plus habiles, c'est-à-dire, les
habitués, peuvent se permettre de
grandes enjambées pour aller plus vite. Mais les dames préfèrent
s’accrocher à une sorte de rampe en béton qui n’est en réalité que l’un des
accotoirs de l’échangeur. Quand on croise quelqu'un qui descend la pente au même
moment, c’est l’angoisse. Il suffit qu’il glisse, vous êtes sûr d’être entraîné
avec lui. Toutes les personnes avec qui nous échangeons ce lundi n’ont jamais
assisté à un drame ici. Ils n’en sont pas moins conscients, cependant. Le
danger est bien réel. «Mais que voulez-vous ? se bornent d’autres. On est
obligés de passer par-là». Vraiment ? «Non, c’est parce que c’est le chemin
le plus court», reconnaissent certains. Mais les raccourcis peuvent parfois
conduire six pieds sous terre, comme l’indique le nom de cette pente raide:
tomber-mort.
Raphaël Tanoh
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