#Boulevard Nangui Abrogoua#: DIFFICILE #DEGUERPISSEMENT#
On peut dire de ce commerçant peu ordinaire qu’il est bien malin.
Etienne Dago roule, insouciant, une vieille brouette remplie de Compact
discs (Cd) piratés de films et musiques. Depuis le début du
déguerpissement du Boulevard Nangui-Abrogoua à Adjamé, le 10 février,
aucun agent de la police municipale n’a réussi à mettre la main sur lui
et sa charrette. Il suffit qu’il aperçoive la couleur d’un treillis à
distance, en un tour de talon, plus de Dago en vue. Le moins qu’on
puisse dire c’est que l’homme a des aptitudes pour le cent mètres plat.
Il n’a qu’à descendre la bretelle qui se noie dans le fourmillement du
marché noir d’Adjamé appelé communément Black Marcket, pour se fondre
dans la foule. Ni vu, ni connu. Aussitôt que le danger s’éloigne, le
revoilà avec sa marchandise prohibée arpentant à nouveau la rue. Ses
camarades qui vendent divers articles (chaussures, vêtements, appareils
électroménagers) de façon ambulante sur le boulevard disposent également
de deux ou trois tours dans leurs sacs. « Tu peux être un vendeur et ne
plus l’être. Il suffit de glisser la marchandise dans un magasin, à
l’approche de la brigade », se vante Moumine, vendeur de chemises
« oridjidji » (ndlr, altération du mot ‘’original’’ dans le jargon des
commerçants). Même si on devine aisément qu’il fourgue du toc aux
clients et empoche le fric. Mais pour jouer à ce petit jeu, il faut être
tout sauf un vendeur sédentaire tel que Karim Fofana. Ce commerçant de
chaussures fait de la résistance. Et ne regrette pas d’avoir tenté
d’engager la bagarre avec un agent de la police municipale qui lui a
confisqué ses affaires. «Demandez à un commerçant d’arrêter de vendre,
prenez-lui son gagne-pain et rouez-le de coups. Comment croyez-vous
qu’il réagira? », crache-t-il. Ouattara Drissa le sait, lui. D’abord, il
ira réclamer ses bagages au sous-quartier Dallas, dans la même
commune : « On envoie nos bagages au quartier Dallas et on nous demande
de payer 10.000 à 15.000 FCFA pour pouvoir les retirer. Ce n’est pas
normal, il faut nous les rendre ! », se plaint-il. Ensuite, il exigera
d’être recasé : « Il nous faut des places. On ne peut pas nous chasser
comme-ça, où est-ce qu’on ira ? ». Des magasins leur ont été proposés au
marché du Forum, note-t-il, mais les places coûtent excessivement cher.
La caution peut avoisiner les 6 millions de FCfa, indique le commerçant
de vêtements. Si de nouvelles places ne sont pas trouvées pour les
personnes déguerpies, jure Ouattara, ce sera la résistance jusqu’au
bout. Mais le lieutenant Diaby Kassim et ses hommes n’ont pas
l’intention de laisser faire. Avec le soutien de la Compagnie
républicaine de sécurité (Crs) et du Centre de coordination des
décisions opérationnelles (Ccdo), ils ont pu dégager la voie depuis la
mairie où commence le Boulevard Nangui-Abrogoua, jusqu’au niveau de la
station de la Régie de chemins de fer Abidjan-Niger (Ran). Cependant, la
Crs et le Ccdo se sont retirés, et seule une dizaine d’éléments du
district de police d’Adjamé assure la relève. Au niveau de la mairie et
du marché du Forum, les trottoirs ont été dégagés et l’ordre règne. Mais
un peu plus loin, vers la mosquée, Etienne Dago et ses camarades
reviennent à chaque fois recoloniser les sites. Pour faire face à cette
situation, l’officier a lancé une sorte de guerre aux récalcitrants.
Hier matin par exemple, ses hommes ont cogné dur. Confiscation de
marchandises, course-poursuite dans les ruelles d’Adjamé et même
bagarres rangées entre policiers et commerçants. « L’un de mes éléments a
été pris à partie par des commerçants », explique-t-il. Cet élément en
question se fait appeler Djamanan. Selon ses dires, il porte des marques
de cette agression sur le cou. Ce dernier témoigne avoir été agressé
par une horde de vendeurs ambulants qu’il tentait de déloger. Il a fallu
l’aide de la brigade pour le sortir des griffes de cette foule en
furie. La preuve que la tâche n’est de tout repos pour les policiers.
Pour le lieutenant, il fallait naturellement s’y attendre. « Nous
parcourons environ deux kilomètres. Depuis la mairie jusqu’à la
Ran, pour dégager tous ceux qui se trouvent sur les trottoirs»,
explique-t-il. Ce sont probablement les kilomètres les plus pénibles à
parcourir pour lui. Du côté du boulevard, de nombreuses ruelles
slaloment vers le marché du Forum ou le Black Marcket, un entrelacs de
box tout aussi bondés de marchandises que de clients. Et il n’est pas
toujours aisé de poursuivre un vendeur parmi ces voies engorgées.
Surtout, si on s’appelle agent de la «police municipale» et qu’on a pour
seule arme, une matraque. «Nous n’abandonnerons pas », prévient
l’officier. Pourtant, Diaby le sait, les commerçants non plus ne sont
pas près d’abandonner la partie de sitôt, vu qu’ils sont jeunes,
téméraires et visiblement déterminés. C’est dire que les jours à venir
s’annoncent chauds sur cette voie publique.
Raphaël Tanoh
Raphaël Tanoh
Commentaires
Enregistrer un commentaire