MEDERSAS: À L'ÉPREUVE DU CHANGEMENT

 


Adjamé, dernière la mairie. Dans le prolongement de la rue qui part de la mosquée vers le Plateau, entre les bâtisses ternes et désuets, résiste encore l’une des écoles coraniques traditionnelles type dans la grande métropole. Les enfants y vont, souvent dépenaillés, pour apprendre l’arabe. L’histoire et la géographie n’ont rien à voir avec celles du système éducatif ivoirien. Les élèves ne présentent pas d’examen national et leur profil ne leur permettra pas d’intégrer le monde professionnel. Pourtant, les parents y envoient leurs gosses. A Abidjan, ce type d’enseignement est en voie de disparition. Mais il en existe toujours à Yopougon, à Abobo. A l’intérieur du pays, les villes comme Séguela, Bondoukou, Mankono, pullulent de ce type d’enseignement. Grâce à la Stratégie nationale d’intégration des enfants des structures islamiques dans le système formel (SNIESE), ce sont aujourd’hui 327 476 enfants qui ont été recensés comme fréquentant ces écoles coraniques à travers le pays. Des enfants à différencier de ceux qui fréquentent les écoles confessionnelles islamiques reconnues par l’Etat et qui se trouvent au sein de l’Organisation des écoles et établissements confessionnels islamiques de Côte d’Ivoire (OEECI). Ils sont eux, au nombre de 101 890. « Les établissements islamiques qui se trouvent au sein de l’OEECI sont agréés par l’Etat. Nos enfants présentent les examens scolaires et dans les établissements de l’OEECI, le programme scolaire normal est enseigné en plus des programmes arabes », spécifie Mamadou Dosso, directeur des établissements IQRA, la référence en terme d’enseignement confessionnelle islamique en Côte d’Ivoire. « Dans le milieu, les écoles confessionnelles chrétiennes ont pris une grande avance », explique Vahama Kamagaté, juriste, experts en communication, qui travaille pour la mise en œuvre de la Stratégie nationale d’intégration des enfants des structures islamiques dans le système formel. Ce besoin d’intégration s’est accentuée avec la politique de l’école pour tous, prônée en Côte d’Ivoire. Cela fait déjà 15 ans, selon Vahama Kamagaté que l’Etat tente d’intégrer les écoles coraniques, encore appelée médersas, dans le système éducatif national. Ce qui a abouti aujourd’hui à la création de l’OEECI. Mais l’école pour tous a démontré qu’il fallait mettre en place toute une stratégie nationale d’intégration des medersas. Ce sont, dit-il, 1,6 million d’enfants qui sont répertoriés comme non scolarisés en Côte d’Ivoire. « Parmi ces enfants il y a bien sûr les 327 476 enfants des medersas non reconnues, les enfants dans la cacaoculture, etc. », explique l’expert. Avant d’ajouter : « Si nous parvenons déjà à intégrer ces 327 476 enfants dans le système éducatif formel, le nombre d’enfants déscolarisés baisera considérablement ».

 

Difficultés

Mais ce ne sera pas de la sinécure. Les parents qui envoient leurs enfants dans ces établissements, évoquent des raisons qui sont propres à leurs cultures. « Le plus souvent, vous trouverez des médersas dans les localités à forte tradition islamiques comme dans le nord-est du pays », indique Mamadou Dosso. En témoigne Mory Fofana, dont l’un des enfants a longtemps fréquenté une école coranique non reconnue par l’Etat, à Adjamé-Habitat, avant de basculer dans l’enseignement prodigué par les établissements confessionnels de l’OEECI. « J’avais déjà deux de mes enfants inscrits dans l’enseignement général.  J’ai décidé que le dernier empruntera la voix de Dieu. C’est pour cela que je l’ai inscrit dans une école coranique, qui n’était pas reconnue par l’Etat à cette époque », explique ce parent. Pour M. Fofana, ces écoles permettent de garder l’enfant dans la droiture, avec les préceptes de Dieu. Ce qui l’empêche de s’adonner à la débauche que l’on voit assez dans l’enseignement général. Mais M. Fofana a fini par comprendre qu’il fallait couper la poire en deux. En plus d’apprendre l’arabe, son enfant a présenté le BEPC au même titre que les élèves de l’enseignement général. Il peut passer un concours avec ce diplôme. « Pour beaucoup, c’est à cause des préjugés. Avant, beaucoup voyaient dans l’enseignement général, l’école des blancs. Pis : l’école des chrétiens, un lieu où on apprenait à l’enfant à devenir mal poli », explique Bacounadi Ouattara, imam à la mosquée de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). L’intégration des écoles confessionnel islamiques dans l’enseignement général, n’a pas consisté à détruire la structure de ces établissements.

 

 

Préjugés

Selon Brou Laurent, membre de la cellule technique de la Commission nationale de la stratégie national d’intégration des enfants des structures islamiques d’éducation, il a suffi d’intégrer les programmes scolaires au sein de leur enseignement. C’est par ailleurs ce qu’explique le directeur des établissements IQRA, Mamadou Dosso. Leurs élèves, au dire de l’imam, ont un taux de réussite assez élevé au CEPE, au BEPC et au baccalauréat. Ils apprennent le français, l’arabe et l’anglais. Un avantage. Problème : sur environ 1409 écoles islamiques seulement 244 ont été intégréesl’enseignement formel. Soit 17%, en 15 ans. Trop faible ! D’où la nécessité de passer à la vitesse supérieure pour secourir les 327 476 enfants restant. Joseph Biagné Guédé, coordonnateur national du programme Education Côte d’Ivoire au sein de l’UNICEF, ajoute que dans de nombreuses localités du pays, la principale difficulté estde convaincre les communautés à l’intérieur du pays, que ces écoles où ils envoient leurs enfants, ne sont pas considérées comme telles. Et, par conséquent, leurs enfants sont non scolarisés. D’après Brou Laurent, membre de la cellule technique, les premières approches ont démontré que les parents cachaient leurs enfants dès qu’ils apprenaient que des membres du gouvernement venaient les envoyer dans l’« école des blancs ». Il faut donc les convaincre du bien-fondé du système éducatif ivoirien. Et pour le faire, les membres de la stratégie d’intégration doivent porter des gants. Par exemple, ne pas leur faire croire que les écoles coraniques n’offrent pas de débouchées (même si c’est bien le cas) ; ne pas montrer qu’on vient chambouler ce que leurs enfants apprennent à l’école coranique, mais que l’on vient au contraire apporter un plus.  Après quoi, le millier d’écoles coraniques éparpillées sur l’ensemble du territoire national encore appelées « dougouman kalan », devront intégrer dans leurs formation le système éducatif ivoirien. En un mot : intégrer les 244 autres écoles au sein de l’OEECI qui leur ont emboîté le pas. Pour les parents ou les fondateurs de ces établissements, l’Etat donne jusqu’à 2025. « Après cela, les écoles qui n’entreront pas dans les rangs, seront toutes fermées et les enfants envoyés dans une écoles », prévient Vahama Kamagaté. Un budget de 31,5 milliards FCFA (dont 51% apporté par l’Etat), a été dégagé pour la mise en place de la Stratégie nationale d’intégration des enfants des structures islamiques dans le système formel (SNIESE). « Réussir ce programme, viendrait à réduire considérablement le nombre d’enfants non scolarités en Côte d’Ivoire », insiste Joseph Biagné Guédé. Sur la route de l’école pour tous, il restera encore un million d’enfants (entre 6 et 16 ans), à conduire à l’école. Qu’ils soient dans la rue ou dans la cacaoculture, il faudra les trouver dare-dare et leur montrer le bon chemin.

NB: article rédigé en 2020

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