CÔTE D'IVOIRE: QUI BRÛLE LES MARCHÉS?
Depuis plusieurs décennies, les incendies
de marchés sont devenus en Côte d’Ivoire un phénomène quasi-cyclique. Chaque année, presqu’aux mêmes périodes, les
feux ravages nos marchés. Quelles en sont les principales raisons ?
Comment stopper ces drames ? Le regard des acteurs.
Les
populations de Bouaké ont frôlé le pire en ce début d’année 2020. L’incendie
qui s’est déclaré samedi 4 janvier dernier, dans le grand marché, n’a pas eu le
temps de se propager. Signalé vers 19h, dans la partie du marché réservée à la
vente de bois, il sera circonscrit à temps par les sapeurs-pompiers militaires.
On note toute de même des pertes. « Les dégâts matériels se chiffrent à
des dizaines de millions de francs CFA », déplore le président de la
coordination des opérateurs de commerce de Côte d’Ivoire, Lamine Kamagaté.
Le drame est d’autant plus émouvant qu’il y a
tout juste quelques jours, le chef de l’Etat Alassane Ouattara et le président
de la République française, Emmanuel Macron, ont procédé à la pose de la
première pierre d’un nouveau complexe à Bouaké, qui viendra substituer le grand
marché. Un complexe capable d’accueillir environ 10 000 commerçants sur près de
9 hectares. Mais ce qui frappe surtout avec l’incendie du grand marché de
Bouaké, c’est qu’il rappelle aux Ivoiriens la fréquence avec laquelle le feu
ravage ce marché classé pourtant comme l’un des plus importants du pays. Déjà
en août dernier, le site avait pris feu.
Si
pour l’instant l’origine de l’incendie est inconnue, le maire de Bouaké,
Nicolas Djibo, appelle l’ensemble des commerçants de la ville au respect des
mesures de sécurité. Un autre fait notable : ce même 4 janvier, le
petit marché d'Orly à Daloa a aussi pris feu. Quelques jours plus tôt, c’est une
partie du marché de Cocody-Palmeraie qui partait en fumée, dans la nuit du
dimanche 29 au lundi 30 décembre 2019. Là aussi l’incendie s’est déclaré la
nuit, aux environs de 2 heures du matin.
Causes inconnues. Tout comme 2020, 2019 avait débutée avec le feu. En
janvier 2019, par exemple, le grand marché de Man avait notamment été calciné
par les flammes. Et qui ne se souvient pas de l’incendie du marché de Soubré en
février 2018 ; de celui du grand marché d’Abobo en septembre 2017 ? Fait marquant avec ce marché : il a déjà
brûlé trois fois. Cette même année 2017 a enregistré 7 marchés incendiés.
Indiscipline
Les incendies de marché en
Côte d’Ivoire sont si récurrents qu’ils sont presque devenus banals. N’importe quel
grand marché digne de ce nom a déjà été visité par les flammes. On aura beau
accuser les courts-circuits, pour Ouattara Lamine, président du Conseil fédéral
des commerçants de Côte d’Ivoire (CFC-CI), la principale cause reste la vétusté
des installations. Les premiers marchés
modernes, dit-il, ont été construits dans les années 1970. Et depuis, plus
rien. L’inadaptation du matériau de construction, le plus souvent des box en
bois, et l’absence de mesures de sécurité, font qu’à la moindre étincelle dans
un marché, c’est le drame assuré. « Dans la majorité des cas, lorsqu’il y a
incendie, c’est un court-circuit, dû à un branchement anarchique où simplement quelqu’un
qui a oublié d’éteindre son feu avant de rentrer. Le feu ne met pas longtemps à
ravager les box », explique l’adjoint au maire de Treichville, Boto Jean
Roger.
Un proche
collaborateur du directeur général de l’Office national de la protection civile
(ONPC), confirme que les mesures de sécurité dans la plupart de nos marchés
laissent à désirer. A commencer par la nature des constructions, leur
encombrement, les installations anarchiques des fils électriques. En cas de
court-circuit, le compteur ne peut pas sauter parce que les branchements ne
sont pas réguliers.
Harmattan
Pour Irié
Lou Collette, présidente du Conseil d’administration de la fédération nationale
des sociétés coopératives de vivriers en Côte d’Ivoire, il faut expliquer cet
état de fait par la pauvreté. « La majorité des femmes qui vendent au
marché n’ont pas d’assurance. Lorsqu’il y a un incendie, elles perdent tout.
Nous œuvrons aujourd’hui pour que cela change. Si les femmes se battent pour
gagner leur vie, elles et leurs marchandises doivent bénéficier d’une certaines
sécurité », ajoute la dame du vivrier. Mais la principale cause intrinsèque à
tout ceci, pour l’adjoint au maire de Treichville, reste la propension des
commerçants eux-mêmes au désordre. « A Treichville ou dans d’autres
communes d’Abidjan, il y a des marchés qui sont construits avec plus de normes
de sécurité. Mais beaucoup préfèrent vendre
dans l’insécurité », regrette Boto Jean Roger.
Les raisons
sont en réalité diverses. Toutefois, là où tous se rejoignent, c’est que les
marchés en Côte d’Ivoire ont une trop grande tendance à partir en fumée. Dans
les colloques, les tables rondes ou les débats publics, la question revient,
avec chaque fois un peu plus d’insistance. « Nous n’arrêtons pas
aujourd’hui de faire la sensibilisation dans les marchés, surtout dans cette
période. Parce qu’avec l’harmattan il suffit d’un rien pour déclencher un
incendie », indique Irié Lou Collette. Pour elle, cette technique reste
l’une des méthodes pour réduire les feux de marchés. Beaucoup plus fixé sur
l’inadaptation de nos marchés d’aujourd’hui, Lamine Ouattara, président du
Conseil fédéral des commerçants de Côte d’Ivoire (CFC-CI) pense que la seule
manière de réduire les incendies de marché reste la construction de nouveaux
marchés. Même si pour la Fédération nationale des Commerçants de Côte d`Ivoire
(Fenac-ci), il reste toujours la question d’espace. Afin de mettre à la
disposition des commerçants des marchés sécurisés il faut de l’espace. Mais il
ne faut pas également oublier la question des moyens. Les box qu’on leur
propose pour la location sont hors de prix. Demander à un commerçant de payer 2
à 5 millions comme caution pour louer un magasin alors qu’il ne gagne par le
dixième de cette somme dans le mois, selon la fédération, revient à le chasser.
Incivisme
Au niveau
des sapeurs-pompiers militaires, on est plutôt regardant sur un aspect qui
échappe jusque-là à de nombreux acteurs : l’incivisme. « Les
sapeurs-pompiers militaires sont toujours prompts à répondre lorsqu’un incendie
est signalé. Le temps d’intervention peut s’expliquer par le retard avec lequel
nous sommes prévenus. Ensuite, il y a parfois des difficultés à accéder aux
bouches d’incendie. Dans les marchés, les bouches d’incendie existent. Malheureusement,
l’indiscipline fait que les commerçants construisent parfois dessus. Il arrive
que ces bouches d’incendie se retrouvent dans la boutique du commerçant. Je
fais donc appel une fois de plus aux différents maires. Ces marchés ont été
construits pour accueillir un certain nombre de commerçants. Qu’on s’en tienne
à cela », interpelle un officier du groupement des sapeurs-pompiers militaires
de Côte d’Ivoire. Pour lui, il ne servira à rien de construire de nouveaux
marchés si les mentalités restent les mêmes et que les mêmes pratiques
inciviques continuent. « Nous n’avons dans nos marchés, même les plus
modernes, aucun système de désenfumage », déplore notre interlocuteur.
Au regard
de tout ceci, en finir avec les incendies de marché ne sera à priori pas de la
sinécure, mais un travail de longue haleine. Les nouveaux marchés comme le
complexe de Bouaké (capacité de 10 000 commerçants) qui verront le jour,
devront non seulement être intransigeants sur les normes sécuritaires, mais
également dans le respect strict des capacités d’accueil.
NB: cet article a été rédigé en 2020.
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