Côte d’Ivoire : Quand les VGB gagnent du terrain
Le viol de l’institutrice à
Sandégué, dans la nuit du 6 au 7 octobre dernier a révélé le caractère sordide
des violences que subissent certains fonctionnaires dans l’exercice de leur
métier. Ce n’est pas la première fois qu’une enseignante subit ce genre de
sévisse dans la localité. L’année dernier, à Dabou, une institutrice a été
violée. Le violeur n’a jamais été arrêté. En 2019, une autre institutrice a
subi le même cas, à Jacqueville. Là aussi il n’y avait eu aucune suite dans l’affaire.
« Nous avons simplement constaté que si nous ne faisons rien, ces cas passaient
sous silence », explique Bertoni Kouamé, le secrétaire général du Réseau
des instituteurs de Côte d’Ivoire (Rici).
Selon la Ligue ivoirienne
des droits des femmes, pour une femme victime de
viol, le premier réflexe n’est pas de faire punir son violeur mais de penser à
elle-même. La non-médiatisation de ces cas et le silence des victimes occultent
la proportion que prennent les viols dans notre société. Mais c’est simple
impression. « Les femmes sont non seulement violées de plus en plus en
Côte d’Ivoire, mais en plus, elles le sont de 2 à 70 ans (…). On a également
plusieurs cas de viols collectifs qu’on ne rend pas publics en raison du choix
de la victime », explique Désirée Gnonsian Dénéo, secrétaire générale de La Ligue
ivoirienne des droits des femmes.
En Côte d’Ivoire,
faute de chiffres officiel, on se base sur les données des ONG.
En juin 2020,
par exemple, l’organisation Citoyennes pour la promotion et la défense des
droits des enfants, femmes et minorités (CPDEFM), a publié une étude. Dans la
seule ville d’Abidjan, elle a recensé en deux ans 2 000 cas de violences
faites aux femmes, dont 1290 cas de mariage de filles de moins de 18 ans et
1 121 viols.
Les derniers
chiffres officiels des autorités datent de 2018, où les autorités ont rapporté
2 744 cas de violences basées sur le genre dont 693 viols sur l’ensemble
du territoire.
« Nous assistons
ces derniers temps avec beaucoup de douleurs à la recrudescence des violences
basées sur le genre, la violence faite aux femmes, la violence conjugale, le
viol », a mis en garde début octobre, la ministre de la Femme, de la famille,
et de l’enfant, Nassénéba Touré.
Que faire
pour briser la spirale ? Pour le moment les autorités disposent de peu de
leviers sur ce terrain. La sensibilisation est l’arme ultime. Mais elle prend
son temps et est très peu dissuasive pour les violeurs. Non seulement le profil
des violeurs est très varié aujourd’hui, selon la Ligue Ivoirienne des droits
des femmes, mais en plus, on assiste de plus en plus à des viols en série. En
juin dernier, les limiers de l’Etat ont mis fin à la carrière d’un militaire,
violeur en série. Le 9 septembre, la justice a également annoncé l’arrestation
d’un père de famille pour le viol des ses 5 enfants âgés de 3 à 13 ans.
L’autre
solution pour l’Etat a été de durcir la législation. Le code pénal a augmenté les
peines jusqu’à 20 ans de prison ferme pour toute personnes reconnue coupable de
viol. Aujourd’hui, la loi permet de
porter plainte même sans le certificat médical. Cela va-t-il porter ses fruits ?
C’est
avant tout un problème de société, pour le sociologue, Inana Gaspard. Tout cela
découle, dit-il, de la perte progressive des valeurs en Côte d’Ivoire. Et c’est
pour lui un signal d’alerte pour les Ivoiriens. « La situation
s’empire », note-t-il. Avec l’avènement des nouvelles technologies de
l’information et de la communication (NTIC), pour lui, le phénomène s’est
accentué. Depuis, met-il en garde, les Ivoiriens copient, exportent ce qu’ils
voient à la télévision, sur les réseaux sociaux.
L’autre
difficulté au quelles les autorités font face, c’est de parvenir à traduire
parfois le violeur devant la justice. Pour arrêter M.P.K., le
présumé violeur de l’enseignante à Sandégué, selon des sources proches du
dossiers, il a fallu faire face à un blocage de taille : celui des populations
locales. Dans ce genre de localité ou tout le monde se connaît, laisser la
gendarmerie débarquer pour arrêter l’un des leurs est souvent mal vu. Et cela
se retourne parfois contre la victime.
Raphaël Tanoh
Encadré :
Les autres types de violences
Le viol n’est que l’un des
nombreux sévisses que subissent les femmes en Côte d’Ivoire. De nombreux époux, par exemple, croient toujours que battre
leur femme est tout à fait normal. Et il existe encore des femmes pour qui
dénoncer leur mari pour violence conjugal est un sacrilège. Ce constat réalisé
par l’ONG Femmes en action, dépeint le difficile contexte dans lequel les
mécanismes pour freiner les violences basées sur le genre (VBG) dans le pays, doivent
s’appliquer.
Selon l’ONG Citoyennes pour
la promotion et défense des droits des enfants, femmes et minorités (Cpdefm),
les femmes à Abidjan, subissent 5 formes de violences : le mariage forcé, le
viol, l’excision, la pédocriminalité et le féminicide. Rien que dans la capitale économique, 416 féminicides ont été enregistrés
en 2019 et 2020. Les chiffres de la directrice du Comité national de lutte
contre les violences faites aux femmes et aux enfants, Josianne Bessy,
annoncent que 32,1% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans. 36,7% des
femmes âgées de 15 à 49 ans sont excisées.
Comment
lutte-t-on contre ces différents phénomènes où, le plus souvent, les
protagonistes sont liés les uns aux autres ?
Rien qu’avec
la mutilation génitales, l’Etat a été obligé de mener la chasse aux exciseuses.
Des ‘‘bourreaux’’ parfois cachés par leurs victimes. Idem pour le mariage forcé,
où les sensibilités familiales sont encore plus accentuées. Les quelques cas
signalés au ministère de la femme de la famille et de l'enfance, l’ont été
essentiellement grâce à la sensibilisation.
Les
chiffres de 2020 en Côte d’Ivoire, indiquent que 3157 personnes survivantes de violences basées sur le genre (VBG) ont été prises en
charge par les plateformes de VBG dont 2674 femmes et filles, 85 % des alertes
de mariages forcés ont été signalés et 56 % des alertes de mutilations
génitales féminines ont été gérés avec succès.
Raphaël
Tanoh
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