« Les handicapés ont besoin d’aide »: Koné Aboubacar, PCA de la confédération des organisations des personnes handicapées de Côte d’Ivoire (Cophci)
Créée le 12 mars 2012, la
confédération des organisations des personnes handicapées de Côte d’Ivoire (Cophci)
parle aujourd’hui, au nom de toutes les personnes handicapées du pays, par
types de handicape et par besoin spécifique. Dans cet entretien, le président
de la structure fait le bilan de leurs actions.
Quelle est la situation des
personnes handicapées en Côte d’Ivoire ?
Après 2011-2012, il faut dire que la
situation des personnes handicapées a évoluée positivement. Depuis 2015, notamment,
l’Etat fait beaucoup d’efforts pour l’insertion des personnes handicapées. Il y
a le recrutement dérogatoire que nous saluons. Ce recrutement à la fonction
publique avait été arrêté en 2008. Mais, depuis 2014 il a été repris par le gouvernement.
Avant 2008, il y avait pratiquement 600 personnes handicapés déjà insérées à la
fonction publique. En 2014-2015, l’Etat a inséré 300 ; en2018, il y a eu 158
handicapés qui ont intégré la fonction publique. En 2019, 200 ont été recrutés.
Pareil pour 2020 et 2021.
Ce recrutement est-il significatif
pour vous ?
Il est salutaire. Toutefois, nous
souhaiterons que l’Etat augmente le nombre de postes budgétaires attribuées aux
personnes handicapées diplômées. Ce sont 200 postes pour plus de 1 000 postulants.
C’est très faible. À côté de cela, les personnes handicapées diplômées lettrées
sont très peu, comparés à ceux qui n’ont pas de diplômes. Ils représentent entre 2 à 3% des personnes
handicapées.
Ces personnes handicapées qui entrent
à la Fonction publique, sont-elles bien intégrées ?
Les échos qui nous parviennent ne sont
pas toujours réjouissants à ce niveau. Les directions des ressources humaines (DRH)
qui accueillent les handicapés dans leurs services sont en général hésitantes à
leur égard. Ils leurs disent souvent qu’ils ne savent pas quoi faire d’eux. Beaucoup
restent longtemps sur le carreau, sans poste. Il faut l’intervention de la
direction de la promotion des personnes handicapées, pour leur trouver des
postes.
Direz-vous que c’est une sorte de
discrimination à votre égard ?
Oui. Sur quelle base on affecte les
autres fonctionnaires pendant que nous faisons un à deux ans sur le carreau ?
Dans certains ministères comme l’Economie et les finances ou bien le Budget, on
comprend. Mais pour les autres ministères, nous ne comprenons pas. On nous rejette
carrément. Les DRH nous disent qu’ils n’ont pas besoin de nous.
À côté de cela, nous avons aussi un problème
d’accessibilité dans les locaux. Pour les personnes handicapées qui roulent dans
un fauteuil roulant, c’est difficile d’aller travailler par exemple au 3ème
étage, sans ascenseur. Ce sont des cas fréquents que nous rencontrons. Dans certaines
situations, on est obligé d’aménager un bureau au rez-de-chaussée pour lui, ou
le réaffecter.
Y a-t-il des efforts dans ce sens
pour mieux vous intégrer ?
L’Etat cherche à remédier à ce problème.
Il y a un code de la construction sur ce volet. L’Etat prévoie des voies pour
les personnes handicapées dans les bâtiments publics. Vivement l’application de
cette mesure.
Concernant le secteur privé, il y
a-t-il une véritable politique d’insertion pour vous ?
Non, pas encore. Nous avons toujours
fait un plaidoyer pour que le privé prenne le relai de l’Etat, mais rien ne bouge.
Je n’ai pas encore vu une personne handicapée qui travaille dans une entreprise
privée. Je sais que l’Etat est en train
de prendre des décisions pour que cela change. En mai 2018, le président de la
République a pris un décret pour encourager les entreprises à embaucher les
personnes handicapées. Un autre décret doit créer une commission qui doit statuer
sur le type d’emploi que nous pouvons exercer, puis, un dernier décret créera le
fonds d’insertion des personnes handicapées. Les entreprises qui ne voudront
pas embaucher les personnes handicapées, payeront des taxes qui vont alimenter
le fonds. Le dernier séminaire gouvernemental a pris en compte ces points. C’est
un plan triennal qui part de 2021 à 2023. Pour nous, en 2023, nous devrions
avoir tous ces décrets.
Combien de personnes handicapées
existe-t-il en Côte d’Ivoire ?
Selon le dernier recensement effectué
par l’Institut national de la statistiques (INS) en 2014, le pays compte 453 453
personnes handicapées. Mais ce sont des chiffres que nous réfutons, d’abord,
parce que ce recensement a été fait sans nous associer. Ensuite, au niveau
mondiale, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), fixe à 15% la population
mondiale handicapée. En considérant cela, nous devrions avoir plus de personnes
handicapées en Côte d’Ivoire.
Quel est le type de handicape le
plus fréquent ?
D’abord, les handicapés physiques,
ensuite les handicapés psychomoteurs, puis viennent les non-voyants, les sourds,
les bègues, les albinos, etc.
Au niveau du secteur informel, arrivez-vous
à vous insérer ?
C’est difficile pour nous. Plusieurs de
nos frères qui étaient assis au bord de la route ont été déguerpis. Ce sont
très souvent des petits boulots comme les vendeurs de journaux, les cireurs de
chaussures, etc. Ils sont livrés à eux-mêmes.
Une compagnie de téléphonie mobile, a mis en place un fonds, à travers sa fondation
qui aide certaines personnes handicapées à entreprendre. Elle collabore à cet
effet avec la direction de la promotion des personnes handicapées de Côte d’Ivoire.
Les fonds alloués aux intéressés varient. Mais le plafond est d’un million
FCFA. Avant de l’avoir, vous bénéficiez d’une formation. Malheureusement, le
fonds n’est pas étendu à de nombreuses personnes, parce qu’il est de 20
millions FCFA.
Au niveau de l’Etat, êtes-vous
pris en compte dans les projets d’insertion ?
Malheureusement, dans les projets d’insertion,
il n’y a aucun volet concernant les personnes handicapées. Je ne connais aucune
personne handicapée qui en a déjà bénéficié. Il y a quelques années, le
gouvernement avait émis l’idée d’insérer 300 personnes handicapés dans le tissu
économique à travers des projets, mais ça été abandonné.
Pensez-vous qu’il faille mettre
en place des projets d’insertion exclusivement destinées aux personnes handicapées ?
Oui. Si l’Etat arrive à créer le fonds d’aide
pour nous, l’insertion des personnes handicapées dans le secteur privé et informel,
va connaître une grande avancée. Ce fonds est inscrit dans les actions
prioritaires du gouvernement. Et nous l’attendons.
Quel regard avez-vous des personnes
handicapées qui mendient ?
La petite enquête que nous avons fait a
démontré que la majorité de ceux qui vont faire la mendicité dans les rues parce
qu’ils souffrent de handicape, viennent de la sous-région. Il est vrai qu’en
Côte d’Ivoire certains handicapés mendient, mais la mendicité n’est pas liée
uniquement aux personnes handicapées. Tout le monde mendie. À côté de cela, ceux
qui ont mendié ont arrêté. Ils commencent à faire des petits métiers. Nous
demandons aujourd’hui au ministre de la promotion de la jeunesse et de l’emploi
jeunes, de penser à nous dans ces projets d’insertion. Beaucoup de handicapés
frappent à la porte de l’Agence emploi-jeunes. Les personnes handicapées ne le
sentent pas encore.
Interview réalisée par Raphaël Tanoh
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