MAOULID: CE QUI SE CACHE DERRIERE LA FETE




A l’image de la Pâques qui célèbre la résurrection du Christ, la     fête du Maoulid provoque un flux massif de populations vers les villages et localités de l’intérieur du pays. Mais derrière ces déplacements, il y a souvent des raisons profondes qui dépassent le cadre de la fête musulmane.

Début octobre 2018. Quelque part dans un quartier chic de Marcory, Soumahoro Bakary, président de la 3ème génération de la célébration du Maoulid à Sanankokro (Touba) se rend à un domicile avec la ferme intention d’en découdre. Accompagné par un quarteron d’amis, tous des cadres respectables de Sanankokro et aussi déterminés que lui, ils forcent l’entrée d’une maison. Nos visiteurs font main basse sur le téléviseur et quelques objets de valeur, les embarquent dans leur véhicule et filent. Alerté, le maître de la maison arrive en trombe. Il n’est pas content et appelle les ‘‘visiteurs inopportuns’’ de tout à l’heure, afin qu’ils lui rendent immédiatement ses affaires. Devant leur refus, l’homme prend ses jambes à son cou jusqu’au commissariat de police, pour porter plainte. Mais le policier qui l’écoute semble confus devant son récit. C’est une histoire bizarre et il n’a pas envie de s’en mêler. « Si on a confisqué sa télé et d’autres objets, c’est parce qu’il devait payer une amende pour avoir raté des réunions. Pas n’importe lesquelles, mais celles sur l’organisation cette année du Maoulid. Comme il refusait, on a débarqué chez lui. C’est comme cela qu’on procède depuis des années, avec tout le monde », explique Soumahoro Bakary. Ça n’avait rien de personnel, c’était juste les affaires. Naturellement, le policier va leur demander d’aller régler ça en famille. Coincé, l’homme qui vient de porter plainte contre ses « frères de la même région » se voit obligé à présent de venir négocier avec ces derniers. Il payera non seulement ses amendes, ses cotisations, mais aussi une pénalité pour avoir osé porter plainte. Ce n’est qu’après s’être acquitté de tout cela, qu’on lui rend ses appareils. La leçon à retenir dans cette anecdote ? On ne plaisante pas avec le Maoulid à Sanankokro !


Des sanctions
« Chaque année, nous nous organisons au sein de la 3ème génération de la célébration du Maoulid à Sanankokro. L’objectif étant de proposer des idées pour venir en aide à notre région à cette occasion. Les réunions et les cotisations sont essentielles, c’est pour cela que nous allons jusqu’à faire des descentes musclées chez certains membres quand ils veulent rester à l’écart. En guise de sanctions, nous prenons tout ce qui nous tombe sous la main. Des bouteilles de gaz, des appareils de valeur, etc. On ne les rend que lorsque vous-vous mettez à jour de vos cotisations ou si vous payez les amendes », ajoute M. Somahoro. Ce sont tous des cadres. Ils effectuent presque tous le voyage jusqu’à Touba pour la célébration de l’anniversaire du Prophète Mohamed. Evidement, selon Bakary Soumahoro, ce déplacement n’a pas pour seul but d’aller faire des dons. « Les prières sont essentielles pour nous, donc l’aspect religieux », insiste-il. Ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à cet évènement, dans la région de Touba. L’ancien ministre Mamadou Sanogo, fraîchement élu président du conseil régional du Bafing, est très souvent au centre de cette célébration dans la région. « Le ministre n’y va pas spécialement pour le développement de la région. C’est quelque chose qu’il fait déjà en plein temps. Pendant le Maoulid, c’est beaucoup plus l’aspect spirituel qui l’intéresse », indique l’un de ses proches collaborateurs. L’une des choses qu’il fait le plus, à l’entendre, ce sont les parrainages. « On le sollicite beaucoup pour parrainer des cérémonies pendant le Maoulid», ajoute-il. Les premiers convois débarquent dans la contrée souvent à deux semaines de la fête. « Mais le ministre préfère y aller à quelques jours de la fête », précise ce cadre de Touba. Les activités qui ont cours sont en général des cérémonies de prières, qui ont lieu le plus souvent la nuit. Des bénédictions auxquelles beaucoup de « vacanciers » accordent de l’importance.

Le rôle des hauts cadres
Mais il y a aussi les festivités, les inaugurations de mosquée, des cérémonies de dons… Avec les festivités qui débutent le18 novembre, pour prendre fin le 23 novembre, la célébration du Maoulid touche également le Worodougou, le Béré, avec un point d’orgue dans les localités telle que Mankono où elle est appelée, la ‘‘Domba’’. « Le président du conseil régional du Worodougou a décidé de faire des célébrations tournantes. Chaque année, une localité de la région est choisie », explique une proche de Bouaké Fofana, le président du conseil régional du Worodougou. Dans les gares de Touba, Séguéla, à Adjamé, c’est l’affluence tous les toujours, depuis plusieurs semaines. « C’est la période des convois. Le nombre de départs par jour a presque doublé. Et ça va aller en s’améliorant encore jusqu’à la veille du Maoulid. Il vaut mieux partir à quelques semaines des festivités pour éviter des problèmes de logistique dans les derniers jours », explique l’un des chauffeurs. C’est la même ambiance qui prévaut au sein des communautés musulmanes de Bondoukou. Tout ce qu’on peut regretter, selon Gbané Abdoulaye, haut cadre de la région, c’est le manque d’organisation au niveau des élites de la ‘‘ville aux mille mosquées’’. Il n’y a pas de déplacements massifs en tant que tels dans la ville, mais plutôt dans les localités voisines, telle que Sorobango. « On y voit une meilleure organisation avec même des uniformes. J’ai toujours souhaité qu’ici, les cadres s’organisent mieux pendant cette fête comme le font les ‘‘Odiennéka’’ », soupire Gbané Abdoulaye. Mais à Bondoukou, il y a pourtant une particularité. Cette ville nucléaire composée de quartiers et de familles musulmanes depuis des siècles, voue un grand respect à deux grandes familles : les Kamagaté et les Tuoté. Dans la nuit du 20 au 21 novembre, ce sont les Kamagaté qui seront à l’honneur avec le rituel de commémoration de l’anniversaire de la naissance du Prophète. La journée du 21 sera consacrée aux Tuoté qui vont procéder à des prières, au rappel des grandes œuvres du Prophète Mohamed, à son parcours. Une tradition jalousement gardée ici. « Il faut reconnaître que le Maoulid participe à l’économie de la région. Mais c’est aussi une façon de communier avec les parents. C’est devenu comme la Noël ou la Pâques : les retrouvailles sont plus importantes », précise notre interlocuteur qui ajoutera cette réflexion : « je suis moi-même perplexe par rapport à l’ampleur que prend cette fête d’année en année à travers le pays. Au-delà de tout, le Prophète reste un homme comme les autres. Afin de ne pas tomber dans la déification, essayons de faire les choses sobrement. Il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser ». Des limites ? Pour les ‘‘Odiennéka’’ il s’agit plutôt de donner à la chose son authenticité.  Ainsi, dans le Denguélé, c’est presqu’à un pèlerinage qu’on assiste à cette occasion. Déjà dans la ville d’Odiénné, les habitants assistent à un ballet de 4x4 en provenance d’Abidjan. Ces grosses cylindrées traversent la ville pour la plupart pour une destination connue de tous : Samatiguila. Ensuite, cap sur la célèbre localité de Kélindjan, où se trouve le célébrissime Cheick Samassi Boaké, que tous veulent voir, toucher, écouter. « Un pèlerinage ? Ça y ressemble presque. Kélindjan symbolise la célébration du Maoulid en Côte d’Ivoire. Cette localité est devenue un site touristique. Si on assiste à une telle ruée dans la région pendant le Maoulid, c’est en grande partie pour Kélindjan. Je crois que c’est le lieu où vous trouverez les gens célébrer cette fête de la plus authentique des manières qui soit », explique Dr Moustapha Sylla, cadre du Denguélé, professeur d’économie islamique à Bouaké. Dr Sylla qui n’est pas tidjanite, explique que le voyage à Kélindjan a toujours été pour lui une manière de renouer avec le côté traditionnel du Maoulid. « C’est ce que je préfère : l’authenticité. Mais ce n’est pas toujours ce que l’on voit dans la célébration de cette fête. Le Maoulid est récent. S’il s’est imposé dans la culture ivoirienne, c’est en partie grâce à l’évolution des confréries qui lui ont donné plus de sens », ajoute ce cadre de la région qui a fait des études assez poussées en Charia.

Kélindjan, pour le pèlerinage
A cette occasion, dit-il, les familles en profitent pour se regrouper. « Beaucoup vont découvrir leur village. Moi, je suis allé découvrir mon village pendant un Maoulid », explique Dr Sylla. Mais, poursuit l’enseignant, est-ce de cette façon qu’il faut véritablement célébrer cette fête ? « Il y a deux tendances aujourd’hui qui se dégagent dans la célébration du Maoulid. Certains la célèbrent en tant qu’anniversaire du Prophète. D’autres avancent comme argument le fait que le Prophète n’ait pas fêté son propre anniversaire. Il a plutôt jeûné pendant des semaines. Alors, leur thèse, c’est qu’en lieu et place de tout ce folklore, il faut jeûner. Je fais partie de cette catégorie de personnes. Pour moi, le Maoulid se fête chaque semaine par des jeûnes », relativise Dr Moustapha Sylla. Il n’a jamais eu besoin de voyager pour matérialiser cette célébration. Et ce qu’il déplore dans le Denguélé, c’est parfois tout ce que ces déplacements cachent. « Les gens vont faire des dons, offrir des centaines de bœufs. Surtout au Cheick Samassi Boaké, qui se charge lui-même de les distribuer aux autres plus tard. Quelques fois, il y a des dérives », regrette le professeur en économie islamique. Sans oublier le fait que le Maoulid est le plus souvent dénaturé avec son côté bling-bling. D’après Dr Sylla, il n’est pas rare qu’on se marche sur les pieds ; qu’un cadre se retrouve à œuvrer sur les plates-bandes de l’autre. Forcément, la suite se règle sur un tout autre terrain. En fin de compte, que ce soit pour la prière, la famille ou le développement, le Maoulid a toujours gardé son côté rassembleur. Mais tout comme la Pâques, chez les chrétiens, sa célébration n’a jamais autant suscité débat.

Raphaël Tanoh

Leg 1 : La célébration du Maoulid divise.

Légende 2 : Les gares routières ont commencé à être prises d’assaut.

Encadré

Les explications d’un sociologue
Les mouvements observés pendant le Maoulid, on le sait, ne sont pas le fait du hasard. Il y a non seulement une explication religieuse à cela mais en plus, les experts sont même capables d’y apporter une justification scientifique. Selon Dr Vasséko Karamoko, enseignant au département de sociologie à l’université Félix Houphouet-Boigny, ce mouvement des populations vers les villages pendant le Maoulid, provient certes de cette idéologie de base qui vise à honorer le Prophète Mohamed. « En même temps, il y a d’autres pratiques derrière », signale l’enseignant. Il y a par exemple la redynamisation des liens sociaux qui intervient lors de ces déplacements. Entre deux célébrations, certains conflits peuvent intervenir dans la cellule familiale, d’après le sociologue. Des conflits, à l’entendre, qu’on règle lors du Maoulid. « Ce sont des conflits qui sont réglés dans le concept de pardon prôné par le Prophète », précise Dr Vasséko Karamoko. Il peut aussi arriver que ces déplacements soient l’occasion de construire de nouveaux liens sociaux, au dire de Dr Karamoko. Par exemple, des mariages. « C’est donc aussi un moment de reconstruction », fait-il savoir. « Derrière tout agenda, il y a des agendas cachés », prend-il le soin de préciser. Ce qui sous-entend, d’après lui, qu’il peut même y avoir des buts politiques, dans les mouvements des cadres vers les villages. Mais avant tout, à entendre Dr Vasséko Karamako, le Maoulid est la remobilisation de tous ceux qui se reconnaissent en une chose.

RT

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