"POURQUOI TANT DE VIOLENCES EN CÔTE D'IVOIRE" : Dali Serge LIDA, Maître de conférences en sociologie à l’Université F.H.B., Chercheur Associé à l’UMR-Innovation (CIRAD, à Montpelier)



Les Ivoiriens assistent ces dernières années à une recrudescence des grèves aussi bien à la fonction publique qu’à l’école. Malheureusement, ces mouvements sont de plus en plus ponctués d’actes de violence.
Dans cette interview, Dr Serges Lida donne quelques pistes sur les raisons de ces déviations.

Depuis maintenant plusieurs années, on observe beaucoup de violence pendant les grèves, les manifestations en Côte d’Ivoire. D’aucuns pensent que nos comportements ont changé
Ce que vous décrivez renvoie à des transformations ou à des changements dans des manières de faire des uns et des autres. A des manières de revendiquer qui ont changé, également à des manières de faire face à des revendications.

N’est-ce pas votre avis en tant que sociologue ? Sous d’autres cieux, on manifeste par exemple en attachant simplement des bandeaux sur la tête.
Si vous parlez de l’exemple japonais que les gens ne cessent de rabâcher, sachez qu’il n’est pas homogène. Le port de bandeau peut être la forme de revendication la plus rependue, mais pas celle qui est utilisée en tout temps. Cela peut s’expliquer aussi par le fait que le contexte japonais n’autorise que cette façon de revendiquer. Ce qui est différent de notre contexte.

Le cas ivoirien en l’occurrence, interpelle.
La manière revendiquer n’est pas déconnectée de la relation de négociation et de règlement de la situation. Je veux parler des acteurs qui sont en interaction autour du problème à résoudre, les statuts de ces individus, leurs positions sociales et le rapport de force entre ceux qui sont censés porter la solution au problème et ceux qui revendiquent. Si les modes revendication se sont modifiés, c’est peut-être aussi parce qu’en face les gens se sont retrouvés confrontés à un mode de régulation qui a lui aussi changé. Si vous voyez des violences manifestes d’un côté, c’est que du côté de ceux qui sont censés apporter la solution, il est également à rechercher s’il n’y a pas eu violence manifeste ou simplement de la violence symbolique. C’est pour cela que je reviens sur ce que j’ai dit tout à l’heure : La manière de revendiquer n’est pas déconnectée de la relation de négociation.  Donc, si les choses se sont modifiées, c’est parce que la relation de négociation a changé.

Alors, l’autorité doit être plus souple pendant les négociations…
Une grève traduit une revendication. Pour faire face à cela, on instaure une relation de négociation autour de l’objet de négociation. Une relation qui dépend des acteurs et de leurs statuts et positions ainsi que du rapport de force. La relation de négociation est très importante. Quand on ne joue pas franc jeu ou lorsqu’on sent des signes de rigidité chez l’autre, cela entraîne souvent ce qu’on voit.

Les travailleurs estiment que l’autorité est prompte à réagir lorsque les militaires sortent et tirent en l’air pour revendiquer. Quand c’est eux, ce sont des rencontres qui n’aboutissent à rien
Je ne suis pas de ceux qui pensent ainsi. Lorsque qu’un militaire revendique en sortant son arme, il se met tout de suite dans une relation de dominant sur le politique qui doit résoudre son problème. Que voulez-vous que ce dernier fasse ? Dans l’intérêt de tous, il va satisfaire le mécontent. Or, c’est à peu près à armes égales que le politique négocie avec par exemple l’enseignant. Je dirais même que le plus souvent, la position del’Etat est au-dessus de celle du travailleur. L’Etat peut exercer de ce fait une violence symbolique sur celui-ci.

En fin de compte, que ce soient les médecins, les infirmiers ou les enseignants, chacun veut avoir une position dominante sur l’Etat quand ils revendiquent...
Mais le travailleur ne peut avoir de position dominante sur l’Etat. Ce que les gens font, c’est chercher les ressources disponibles dans leurs champs pour équilibrer le rapport des forces avec l’Etat. C’est ce que traduisent les grèves et les formes qu’elles prennent.


Ces grèves entraînent des actes de violences. Cette année notamment, les Ivoiriens ont assisté à une recrudescence du phénomène. Doit-on s’en inquiéter ?
Personne ne peut se réjouir quand il y a des tensions apparentes ainsi que des conflits manifestes. En même temps, ce sont des phénomènes sociaux qui arrivent.  Ils peuvent se prolonger sur une période assez longue, mais ils peuvent également se déverser dans d’autres champs. Naturellement, dans l’immédiat, on peut s’en inquiéter. Mais, un sociologue ne s’inquiète pas. Il cherche à comprendre.

Peut-on affirmer que les Ivoiriens revendiquent un peu trop ?
Nous sommes dans un monde de grandes transformations. Les Ivoiriens ne sont pas les seuls à revendiquer. En France, par exemple, vous avez l’exemple des ‘‘gilets jaunes’’. Vous avez aussi les ‘‘brassards rouges’’ qui ont réagi à cela par la force. L’histoire montre que les travailleurs qui revendiquent le plus manifestement sont ceux de la France.

Etes-vous en train de dire que nous avons hérité cela de notre colonisateur ?
Je n’ai pas dit cela non plus. C’est comme si vous me demandiez si la manifestation des ‘‘gilets jaunes’’ s’est inspirée de la crise ivoirienne.


Parlant de crise, certains affirment que les Ivoiriens sont devenus violents à cause justement de la crise traversée depuis 2002.  
Je ne ferai pas de lien direct, entre la modification de la manière de revendiquer aujourd’hui et la crise politico-militaire. Parce que de telles grèves, il y en a eu avant 2002. Les premières grèves entre 1991 et 1992, qui étaient des grèves d’élèves, ont été activées par le champ politique et se sont empirées. On a traité le président Houphouet-Boigny  de voleur ; on a vu des bus brûlés, des salariés empêchés d’entrer dans leurs lieux de travail. La situation de 2002 a pu peut-être seulement agir en exacerbant ou en accentuant ces transformations. Ou elle n’a été que la manifestation de là où conduisaient les formes de revendication qu’on voyait auparavant.

Aujourd’hui, on observe de la violence à l’école. Les élèves cassent les vitres des véhicules, frappent leurs enseignants. Ce sont des cadres de demain
Et si, au lieu de les prendre pour des cadres de demain, on les voyait plutôt en tant qu’acteurs de la société. Ils revendiquent en tant que des acteurs sociaux. Ensuite, je préfère qu’on parle de déviance dans leurs manières d’agir, plutôt que de violence. Et les déviances, je peux vous dire qu’il y en a à l’école. Des élèves qui boivent avant de venir en classe ; des élèves qui veulent aller en congé alors que ce n’est pas encore la date ; des élèves qui vont déloger d’autres, etc. C’est clair : nous assistons à des comportements largement déviant dans le milieu scolaire.

Le phénomène doit-il alarmer ?
Nous manquons de statistique dans ce domaine. Mais nous voyons ici et là, des aspects manifestes de phénomènes déviants. La tenue déjà pour aller à l’école pose problème. Au lieu de porter des pantalons « normaux », on voit des élèves en ‘‘bas-tuyau’’. Vous choquez avec ça, c’est de la violence. Si vous revendiquez partir en congé avant l’heure, vous faite de la violence. Si c’est accompagné de coups de sifflet ou d’occupations, c’est de la violence manifeste. Il y a un certain nombre de faits suffisamment inquiétants, selon le rapport de l’un de mes étudiants, qui interpellent. Mais, je vous l’ai dit : un sociologue ne s’inquiète pas. Il cherche à comprendre.

Alors, qu’est-ce qui peut expliquer ces comportements ?
Une des réponses peut se trouver dans les modes de socialisation et leur légitimité. L’école est-elle définie aujourd’hui comme un lieu, un espace social, une institution de socialisation (éducation et transmission de savoirs et de connaissances), ou une institution exclusivement réservée à la transmission des savoirs ? Le modèle actuel de l’école, y compris la manière dont les institutions internationales la positionnent, renvoie à un espace exclusivement dédié à la transmission du savoir. Le maître n’a pas le droit de taper l’élève. Ce dernier doit être traité non pas comme un enfant, mais comme un citoyen. L’enseignant ne peut pas le sanctionner comme il se le doit. De même, en famille, on vous dit de ne pas considérer l’enfant comme tel, mais comme un citoyen du monde. Par quel moyen voulez-vous qu’on amène l’enfant à changer ?

La contrainte a presque disparu.
Oui. Ce qui a changé, c’est la puissance de la contrainte. Cela a donné libre court à certaines déviations. Or, votre liberté s’arrête là où commence celle des autres. La conséquence, ce sont les comportements que nous voyons.


Que doit-on faire ?
La solution, c’est de revenir aux fondamentaux. Revenir à un mode de socialisation qui tiennent compte à la fois du basique et de l’endogène, avec bien sûr les critères que veulent les institutions internationales. C’est possible.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh
Leg : Dr Lida explique ici les comportements déviants observés à l’école ces dernières années.
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