"IL FAUT SAUVER L'HERITAGE DE BREDJI"Bacounady Ouattara, imam adjoint de la Maca
Environ
deux semaines après le décès de l’imam principal de la Maison d’arrêt et de
correction d’Abidjan (Maca), son adjoint raconte comment la prison a vécu ce deuil.
L’imam
principal de la Maca, Ibrahim Brédji, a rejoint son créateur. Comment
vivez-vous cette séparation, vous son adjoint ?
Nous ne devons pas perdre espoir. En Islam,
il faut toujours garder la foi. Le cas de notre prophète nous interpelle directement.
Lorsque le prophète Mohamed est décédé, l’Islam ne s’est pas arrêté. A la Maca
nous avons la foi parce que l’imam Brédji nous a préparés à cela. Il n’a jamais
arrêté de nous parler de la foi. Pendant 14 ans, l’imam nous a préparé à
affronter cette situation.
De
quelle manière le décès de l’imam a-t-il été vécu par les prisonniers de
la Maca?
Son décès les a tous choqués. Mais ce
sont des croyants, eux-aussi. Ils croient fermement en Dieu. Au début, ce
n’était pas facile. Mais aujourd’hui ils acceptent mieux son départ. Parce
qu’ils savent, en tant que croyants, que tôt ou tard, tout le monde meurt.
Y a-t-il eu des cérémonies au sein de la prison pour
accompagner la dépouille de l’imam ?
Oui. Pendant les
deux vendredis qui ont suivi sa mort, nous avons fait des sermons, des prières
avec les prisonniers.
Au niveau de l’administration de la Maca, que
s’est-il passé ?
Tout le monde
était sous le choc. Ils s’attendaient à tout sauf au décès d’Ibrahim Brédji.
Cela a surpris l’administration de la Maca. Quand la nouvelle est tombée, le
directeur était troublé parce que l’imam était son ami. Il disait toujours à
Brédji que le travail qu’il accomplissait à la Maca l’aidait, lui, à mieux
gérer la prison. Les religieux lui facilitaient la tâche. La mort de l’imam a
été une grande perte pour lui également.
A-t-on réussi à savoir de quoi souffrait exactement Ibrahim
Brédji ?
Au départ on a
parlé de fièvre typhoïde. Ça été traité. Ensuite on a dit que c’était de la
fatigue. Jusqu’à son décès, c’était le dernier diagnostic. Je crois que c’est
son jour qui était arrivé simplement. L’imam Ibrahim Brédji était un combattant
infatigable. Il ne se reposait jamais tant qu’il y avait du travail. Tout le
monde le lui disait. Mais Brédji répondait toujours que le travail de Dieu
n’attend pas. Il y a des jours où il rentrait à 3h du matin.
Pendant combien d’années a-t-il été l’imam de la
Maca ?
Cela faisait 20
ans qu’il était l’imam principal de la Maca. C’est en 1997 qu’il est arrivé dans
cette prison.
Aujourd’hui Brédji n’est plus. Comment va se faire
sa succession au niveau de la mosquée de la Maca?
Le Conseil
supérieur des imams (Cosim) est une structure très organisée. C’est lui qui
choisira le successeur d’Ibrahim Brédji à la Maca. Ce n’est pas parce que j’étais
son adjoint que je serais forcément l’imam principal de la Maca. Quelle que
soit la personne qui sera désignée, nous travaillerons avec elle. Mais il faut dire
que le travail qu’Ibrahim Brédji accomplissait à la Maca est un travail très difficile.
Malgré tout il a su nous former.
Les mosquées vivent en général de dons des fidèles.
Au niveau de la Maca, ces fidèles en question ce sont les prisonniers. Comment
l’imam faisait-il pour faire tourner la mosquée ?
L’imam Brédji,
sachez-le, a formé beaucoup de personnes. Notamment les cadres de l’Association
des élèves et étudiants musulmans de Côte d’Ivoire (Aeemci). Donc, presque tous
les cadres musulmans ont été formés par Ibrahim Brédji. Ce sont ceux-là qui venaient
en aide à la communauté musulmane de la Maca. Parce que c’est une communauté
qui n’a pas de voix, en réalité. A l’approche du mois de ramadan, par exemple,
l’imam déposait des demandes d’aides un peu partout pour que les prisonniers
puissent faire leur jeûne. C’était pareil pendant la tabaski et les autres
évènements musulmans.
On peut dire que ses relations ont été pour quelque
chose dans la survie de la mosquée de la Maca…
Oui.
Maintenant qu’il n’est plus, n’êtes vous pas inquiet
que les aides cessent ?
Je pense que les
croyants, surtout les fidèles musulmans, ne vont pas arrêter d’aider les
prisonniers de la Maca. C’est vrai que l’imam courait très souvent après eux.
Mais ils vont continuer à venir au secours des pensionnaires de cette prison. A
notre niveau nous allons continuer à déposer des demandes d’aide.
Comment l’imam arrivait-il à se faire entendre parmi
les prisonniers, condamnés parfois pour des crimes ?
Comme je l’ai
dit, c’est un travail très difficile. L’imam avait, par exemple, des moyens
pour se déplacer. Ce que nous n’avons pas encore. Il faut noter qu’à la Maca,
il avait instauré trois vendredi. Le vendredi de la mosquée. Le vendredi qu’il
passait au bâtiment C (abritant les criminels), et le vendredi du bâtiment des
mineurs.
Pourquoi ce découpage ?
Cela a été
décidé parce que l’imam a constaté que les vendredis, les prisonniers du
bâtiment C n’arrivaient pas à sortir pour venir prier à la mosquée de la Maca. Il
a donc décidé de leur consacrer un vendredi. Il faut dire que les fidèles
musulmans de ce bâtiment tournent autour de 400 personnes. Pour les mineurs aussi il a fallu leur consacrer
un vendredi. Ils étaient dans la même situation. L’imam consacrait les
mercredis aux prêches. Pendant ces journées, nous apprenions aux prisonniers à
connaître Dieu. Nous leur enseignions les bons comportements à avoir.
Et le message passait ?
Très bien. Je
vais d’ailleurs vous raconter une anecdote. Un jour au bâtiment C, Ibrahim
Brédji prêchait lorsqu’un détenu s’est levé et lui a dit: « imam, merci
beaucoup pour tout ce que tu fais pour nous. Quand j’étais dehors, je ne
connaissais pas Dieu. Aujourd’hui, c’est en prison que vos prières m’ont mis
sur le droit chemin. Je vais purger dix ans ici, mais je les considère comme
dix jours. Je remercie Dieu d’être venu en prison ».
Lorsque les prisonniers sortaient de prison, quelles
étaient leurs relations avec l’imam ?
C’est quelque
chose sur lequel il ne comptait pas. Lorsque les prisonniers étaient libérés,
on n’entendait plus parler d’eux. En prison, ils promettent tout. Mais une fois
dehors, beaucoup changent leurs numéros de téléphone.
Pensez-vous qu’être imam de la mosquée de la Maca
est un travail ingrat ?
Ce travail, on
le fait pour Dieu. L’imam Brédji nous
l’a toujours enseigné. Lorsque je suis venu dans cette prison pour la première
fois, il m’a dit ceci : « Je te prends comme mon adjoint, mais tu ne
gagneras pas d’argent. Ce travail, tu le feras pour Dieu ». Parfois lorsque
j’étais découragé, il me disait : « ne te décourage pas. Un croyant
qui travaille dans le champ de Dieu, jamais Dieu ne laissera le champ de ce
dernier tomber ». Il m’a toujours remonté le moral. Il faut dire que l’imam
nous a bien formé.
Que diriez-vous à ceux qui hésiteront prochainement à
venir en aide aux prisonniers depuis le décès de l’imam ?
L’imam Brédji
est décédé, mais le travail qu’il a accompli au niveau de la Maca et au niveau
de la communauté musulmane ne doit pas s’arrêter. L’imam avait plus de voix que
nous, mais il faut continuer à venir en aide aux prisonniers. C’est bientôt le
mois de ramadan. Pendant cette période, quand il était là, cet homme au grand
cœur était chaque jour avec les détenus. Nous aurons besoin de soutien. Il faut
nous aider à aider les détenus. Ibrahim Brédji avait un cœur bon. Il avait créé
la Fondation Ibrahim Brédji pour aider les pensionnaires de la Maca et ceux des
autres prisons du pays. Avant sa mort, une tournée était même prévue dans toutes
les prisons de Côte d’Ivoire, afin de voir ce que nous pouvions faire pour
aider ces détenus. Je devais dans ce cadre me rendre à la prison de Korhogo.
L’imam est décédé, certes, mais les
œuvres de ce guide spirituel doivent continuer.
Raphaël Tanoh
Leg :
L’imam Bacounady Ouattara demande à la communauté musulmane de ne pas laisser
tomber les prisonniers.
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