MR ET MME, ÉBOUEURS ET FIERS DE L'ETRE
Alors
que la ministre de la Salubrité urbaine et de l’assainissement encourage les
Ivoiriens à rendre leur cadre de vie propre, un couple d’éboueurs retient
l’attention. Zoom sur ‘‘monsieur et madame éboueurs’’.
Ce lundi, sous le paysage panaché d’«Angré
Pharmacie les Allées» (Cocody), difficile de passer à côté. Il ne s’agit pas de
ce fou qui se balade avec tout son «arrière-train» dehors, ni même de ces
jeunes gens dont les disputent agacent. Non. Ce qui attire l’attention, c’est un
camion d’ordures qui remplit sa benne, en bordure de route. Les gens diront,
quoi de plus banal ! L’insolite ici, c’est la personne qui est occupée à
mettre les saletés dans le poids lourd. Une petite femme frêle, dans la
vingtaine, la chevelure couverte par un foulard et des gestes qui trahissent
son fort tempérament. Pas de gants, aucun cache-nez. Pourtant, la puanteur des
détritus est difficilement supportable et le contenu dans les sacs à poubelle
révulse. Mais elle n’en a cure. Les regards étonnés des passants ? Ils
peuvent l’épier autant qu’ils voudront. La voilà qui enfonce à nouveau ses
petits doigts fluets au milieu du tas d’immondices qui déborde dans la charrette
d’ordures, garée près du camion. Elle les balance sans vergogne dans le
véhicule de ramassage. Les sacs de saleté frappent les parois internes de la
benne et échouent au fond. A côté d’elle un homme, la quarantaine, lui donne un
coup de main. Mais il est bavard; elle ne parle presque pas. Il faut faire
vite. Le conducteur du camion qui discute amicalement avec eux, accoudé sur la
benne à ordures, doit poursuivre sa tournée dans le quartier pour faire le
plein. La dame le sait et redouble d’efforts. Le pagne défraichi qui lui coupe
la silhouette au niveau des tibias est légèrement replié pour lui permettre de
faire plus facilement les mouvements. D’ailleurs, son compagnon qui continue de
bavarder commence à la déconcentrer. Elle lui dit d’arrêter de parler et de se
mettre au travail ! Le ton est autoritaire. Le monsieur rétorque avec la
même énergie mais saupoudrée d’une once d’humour, que bavarder ne l’empêche pas
de travailler. Elle pense que si. Lui, insiste que non. Et les voilà en train
de se chamailler.
Elle
adore les ordures
Le conducteur du camion d’ordures a l’air de
s’en amuser. Les passants, eux, sont partagés entre incrédulité et hilarité.
Une femme éboueur ? C’est forcement une blague ! Mais non, il n’y a
pas plus éboueur que Josiane (Ndlr, elle n’a pas voulu donner son véritable prénom).
Elle adore les ordures et elle ne peut rien contre cela. Le gros gaillard qui
l’accompagne et qu’elle adore titiller par moments, n’est nul autre que son
tendre et doux «mari». Ils ne sont pas encore passés devant le maire, mais pour
Koua Roger, cela ne saurait tarder. «J’aime ce métier, j’aime ma femme», résume
notre Don Juan, avec la bouche en forme de cœur. Ses mains pleines de ressorts,
son timbre vivifiant et cette passion qui l’enflamme tous les matins, ont fini
par avoir raison de Josiane. «Je l’ai aimé dès le premier instant», parvient à
articuler cette petite femme taciturne pour qui les mots sont certes utiles,
mais les actes comptent encore plus. Lorsque ses parents ont appris que leur
fille vidait les poubelles, leurs yeux ont failli sortir de leurs orbites.
C’est la faute à Roger, ont-ils conclu. Alors, pour sortir Josiane de là, ils lui
ont intimé d’arrêter de voir son «Roméo». Mais trop tard. «Aujourd’hui encore,
je me cache pour travailler. Ils ne savent pas que je suis éboueur», soupire
Josiane, ce lundi après-midi, devant le camion d’ordures garé à Angré. Beaucoup
diront: « oh, si elle fait ce travail, c’est seulement parce qu’elle a un
cœur d’artichaut». A ceux-là, Josiane précise : «C’est vrai que j’aime mon
mari, mais j’aime encore plus ce travail». Pour elle, contribuer à la propreté
de la capitale économique ivoirienne tous les jours n’a simplement pas de prix.
«Chaque fois que je finis de vider les poubelles dans un quartier et que je
vois que l’endroit est propre, ça me fait plaisir», explique la jeune femme les
yeux pétillants. Ce que les gens pensent d’elle ? «Pour moi, c’est un
travail normal. C’est mieux que voler», répond-elle en s’emparant de la
charrette d’ordures par le manche. Elle la pousse pour l’éloigner du véhicule.
Au sol, gisent des planches dont ils se servent pour retenir les saletés dans
le pousse-pousse. Josiane les jette à l’intérieur de l’engin, s’essuie le front
du revers de la main. C’est seulement en 2014 qu’elle a débuté ce boulot au
près de son concubin. Aurait-elle pris la même décision si son chemin n’avait
pas croisé celui de Roger Koua ? Ce dernier s’en défend. Pour lui, sa
«femme» aime ce job tout autant que lui. Sauf que lui, c’est un vieux briscard,
la crème des crèmes dans le métier. «J’ai débuté en 1994», répète-t-il à qui
veut l’entendre. Quand on lui confie une cité, il en fait un jardin. Montrez-lui
vos saletés et vous ne les reverrez plus. Les ordures, c’est son dada. «Je ne
plaisante pas avec mon travail», se targue ce quadragénaire chez qui l’humilité
n’est pas toujours une vertu. Il faut savoir se vendre par moments. «Aujourd’hui
je suis le responsable du coffre de Victor Lobad», détaille notre «tombeur».
Cela peut paraître anodin, mais c’est très important dans le métier que Roger
Koua fait. «Si la structure qui vous emploie vous confie une cité, un coffre,
c’est que quelque part, on apprécie votre travail». Presque tous les jours,
«monsieur et madame» démarrent le service à 13 heures pour ne l’arrêter que
très tard la nuit. Souvent, selon leurs témoignages, c’est autour de 2 h du
matin. Et comme ce sont des moments qui riment avec insécurité, ils se
retrouvent parfois nez à nez avec les petites frappes du quartier. Ces «requins»
n’hésitent pas à leur faire les poches. «Il y a beaucoup de risques quand vous
travaillez tard la nuit. Plusieurs de mes camarades éboueurs ont déjà été
agressés par des voleurs qui pensent qu’ils ont de l’argent sur eux. J’ai
moi-même été déjà victime d’agression. Heureusement, je n’ai pas été blessé. On
nous demande de travailler la nuit, on doit le faire», ajoute Roger, en hochant
les épaules.
Ils
font l’objet d’agressions la nuit
Mais une autre insécurité guette le
travailleur et sa compagne: les maladies. Manipuler les ordures tous les jours
n’est pas sans conséquences. Pourtant, il ne semble pas s’en inquiéter: «Dieu
m’a doté d’une bonne santé». Selon Josiane, les seules fois où Roger se sent
mal, c’est lorsqu’il passe deux ou trois jours à la maison sans pousser sa
charrette bourrée d’ordures. Ils pourraient porter des gants mais ne le font
pas. «Les gants paralysent les mouvements des mains», se justifie Roger.
Josiane est d’accord avec cette idée un peu loufoque. Sur les gants, le couple
a une théorie tout aussi singulière: «Lorsque la poussière obstrue le cache-nez,
ça devient dangereux. Parce que vous respirez tout ce qui y entre». Parfois,
ils boivent une boîte de lait pour, disent-ils, purifier les poumons. Aussi
curieux que cela peut paraître, ça marche. Josiane et Roger affirment qu’ils ne
souffrent d’aucun problème de santé. Leur idole, Anne-Désirée Ouloto, ministre
de la Salubrité urbaine et de l’assainissement est la source d’inspiration. «Je
n’ai pas de leçon à donner à un Ivoirien en termes de propreté, c’est vrai.
Mais nous leur demandons de ne pas jeter les ordures dans la rue. Et de mettre
leurs saletés dans des sacs poubelles pour faciliter leur ramassage»,
sensibilise Roger, cette fois-ci avec humilité. Il pourrait tellement faire
plus, soupire l’éboueur. Si seulement il avait un tricycle ou une petite benne
de ramassage en lieu et place de sa vielle charrette. «Il n’y a pas de sot
métier, je pense qu’il faut aimer ce qu’on fait. Tout ce que nous demandons,
c’est qu’on nous accompagne», fait-il savoir. Le secteur que Josiane et Roger
Koua couvrent une part de la «Cité Fondasso» au terminus 81, 82 (Angré). A la «Cité
Fondasso», les résidents sont toujours dans l’ambiance quand le couple débarque.
Entre les chamailleries, le nettoyage des poubelles et les encaissements des
fins de mois, il y a toujours de la matière à rigoler. «Il arrive qu’il
viennent encaisser deux fois dans le mois chez la même personne. Il faut
souvent lui montrer le reçu pour qu’il réalise qu’il s’est trompé», témoigne un
résident. Et gare à vous si vous n’avez pas le reçu de paiement ! «Comment
un homme peut-il être aussi vivace tous les jours», s’étonne un autre résident.
La réponse pour Roger et Josiane se trouve dans un mot: l’amour.
Raphaël Tanoh
Leg : Roger et Josiane en train de
mettre les ordures dans le camion de ramassage.
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