BOULEVARD NANGUI ABROGOUA: AU COEUR DU DEGUERPISSEMENT
Alors
qu’on l’attendait impatiemment, le ministère de la Salubrité urbaine et de
l’assainissement a entrepris hier l’assainissement du boulevard Nangui Abrogoua.
A quoi pensent-ils ? Pourquoi sont-ils si
calmes ? Même lorsque les militaires chargent avec leurs fouets pour les
éloigner, les centaines de commerçants et de badauds agglutinés aux abords du
boulevard Nangui Abrogoua ne disent rien. La plupart se contentent de reculer,
mais se regroupent aussitôt, tel un essaim de magnans. Depuis maintenant une
heure, ils observent leurs box de commerce que les bulldozers du ministère de
la Salubrité urbaine et de l’assainissement transforment en tas de gravas avec un
acharnement inhabituel. Les tôles, les barres de fer et même les briques sont
aussitôt transportées dans des camions-bennes disposés en file indienne
derrière les «destroyers». Direction la décharge ou la ferraille ! Ça va
très vite. Un magasin est là et l’instant d’après, il a disparu. Les
conducteurs des bulldozers sont tellement à fond qu’ils n’hésitent pas à
écraser un magasin vitré qui contient encore des montures que le propriétaire a
refusé d’enlever, la veille. Ce dernier, qui s’est amené sur les lieux en
courant, est médusé devant le spectacle. Il sort son téléphone et se met à
filmer. Un policier l’aperçoit et l’apostrophe. Le téléphone est confisqué. On
lui demande ensuite de quitter les lieux. Les hommes en armes (policiers et
militaires) envoyés pour sécuriser cette opération de déguerpissement du
boulevard Nangui Abrogoua ressemblent à de véritables «tueurs»: casques
blindés, kalachnikov en bandoulière sur la poitrine, grenades lacrymogène sur
le flanc, ceinture à la main... Malgré le comportement peu ordinaire des
commerçants qui semblent plutôt coopérer, ils ne veulent pas se laisser
endormir. «La situation peut dégénérer», lance un policier qui épie du coin de
l’œil les curieux entassés sur le terre-plein du boulevard. Soudain, un
militaire gonflé à bloc fonce dans le tas et agite sa chicotte. La foule recule
mais se retrouve sur l’autre voie de la grande artère. En ce moment, un camion
approche. Le chauffeur laisse tout son poids aller sur le frein pour éviter un
drame. Les badauds qui se sont retrouvés sous la calandre du mastodonte se
relèvent. Ils ont failli se faire écraser, mais au lieu de rentrer chez eux, ces
malheureux reviennent se positionner sur le terre-plein pour continuer à observer
l’opération. Le policier de tout à l’heure a suivi la scène… «Il est trop agité,
crache-t-il en désignant le jeune militaire. Il ne sait pas que la situation
peut dégénérer». Mais le grabuge que tous craignaient n’aura pas lieu. Du moins
pour cette première étape. Car, le boulevard a été scindé en deux. De la mairie
d’Adjamé jusqu’au Forum des marchés, puis du Forum jusqu’à la mosquée.
L’opération n’a concerné jusque-là que la première moitié. Sûrement demain,
tout le boulevard sera dégagé jusqu’à la mosquée. Pour Bayala Hyppolite, chef
des opérations chargé du nettoyage au ministère de la Salubrité urbaine et de
l’assainissement, pas de quartier, pas de demi-mesure et pas de répit.
Tous ceux qui sont en situation illégale aux abords du boulevard seront
dégagés. L’une des horreurs révélées par cette action a été l’occupation
entière de deux rues qui desservent la grande artère. La boutique de montures
qui vient d’être démolie, y était érigée. C’est la maire, selon le propriétaire
du magasin (l’homme qui filmait avec son téléphone), qui lui a vendu l’espace.
«Au contraire, c’est lui qui a supplié la mairie pour qu’on lui vende l’endroit.
Il connaissait les risques», corrige un technicien de la maire qui se trouve
sur les lieux. Trop tard pour se rejeter les responsabilités. Les autres
commerces construits derrière la boutique de vente de lunettes s’écroulent les
uns après les autres, sous la charge des bulldozers. Pendant que la poussière
retombe et que les ouvriers vêtus de chasuble chargent les morceaux de tôles
sur des camions-bennes, on voit se dessiner peu à peu une magnifique ruelle dont
beaucoup ignoraient l’existence jusqu’à ce vendredi. Comment peut-on construire
sur une rue ? S’interrogent certains, choqués. «Savez-vous combien la
mairie récolte par jour comme taxe rien que sur cette bretelle ? 30.000 FCfa »,
croit savoir un commerçant. Une autre rue, semblable et située à cent mètres
environ a vécu la même situation pendant des années, bloquée elle aussi par des
box de commerce. Là également, les bulldozers ne font pas de cadeaux. Le
directeur technique de la mairie qui vient assister à l’opération ne veut pas
faire de commentaires sur les accusations dont ils sont l’objet. Soumahoro
Farikou débarque peu après, remonté. « A bas l’injustice», laisse entendre
le président de la Fédération nationale des
Commerçants de Côte d’Ivoire (Fenacci). Pendant qu’on y est, explique M.
Farikou, il faut aussi détruire les maisons illégalement construites aux abords
du boulevard Nangui Abrogoua. Les commerçants, à l’entendre, ne doivent pas
être les seuls à souffrir de cette situation. Mais Bayala Hyppolite n’a rien voulu
laisser au hasard. Pour preuve, juste en face de la mairie, un opérateur vient
d’ériger des box de commerce encore inoccupés. Il semblerait, selon M. Bayala,
que ce dernier ne soit pas en règle. «Nous lui avons donné une mise en demeure.
Il a 72 heures pour nous fournir les papiers», prévient le technicien. A côté,
il désigne un autre cas, plus flagrant. Celui-là est en train de monter les
murs d’un commerce sur le domaine public. Il cache non seulement les boutiques installées
légalement mais en plus, son entreprise empêchera la lumière des poteaux
électriques d’éclairer la route. Ici, ce sera la démolition pure et simple. La
messe a été dite, ce vendredi. Pour tous ceux qui en doutaient encore, le
déguerpissement du boulevard est bel et bien une réalité. Mais cela
signifie-t-il que le suivi sera fait avec la même détermination ? A la
maire, on est catégoriques. «Nous avons essayé une fois. Ça n’a pas marché. Il
faut peut-être l’intervention de l’armée pour empêcher les populations de
revenir s’installer. Et qui dit l’armée, dit le gouvernement. Donc, c’est au
gouvernement de sécuriser le site», laisse échapper un des collaborateurs du
maire Youssouf Sylla, présent sur le site. Mais Yao Yao Jules, le chef de
cabinet de la ministre de la Salubrité urbaine et de l’assainissement compte,
lui, sur la collaboration de la mairie pour empêcher que les sites soient
recolonisés. C’est pour cela, d’après M. Yao Yao, qu’une plateforme a été
créée, qui associe les maires. Et le chef de cabinet d’être plus clair: «C’est
un vaste projet d’embellissement de toutes les communes de Côte d’Ivoire». Les
moyens que les maires auront? C’est un partenariat, explique le
représentant de la ministre Anne-Désirée Ouloto. Mais, rassure-t-il, les
polices municipales seront formées. Et elles auront le soutien des brigades du
ministère. Reste à savoir si cela suffira.
Raphaël Tanoh
Leg : L’assainissement du boulevard a
débuté hier.
Encadré
Peut-on
empêcher les commerçants de revenir?
La première opération d’envergure entreprise sur
le Boulevard Nangui Abrogoua a été menée par le commandant Koné Zakaria en
2012. Un succès sans précédent. Mais l’action a été jugée trop…dure. Donc, Koné
Zakaria a retiré ses hommes. En 2014, devant le retour fulgurant des commerçants
sur le domaine public, la mairie d’Adjamé décide de prendre les devants. Avec
le soutien de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) et du Centre de
coordination des décisions opérationnelles (Ccdo), les hommes du maire Youssouf
Sylla placés sous le commandement du lieutenant Diaby Kassim, réussissent à
maintenir cette artère propre pendant plusieurs jours. Ils traquent les
vendeurs ambulants qui sont dépouillés de leurs marchandises. Hélas, lorsque la
CRS et le Ccdo se retirent, le chasseur devient la proie. La police municipale
est malmenée à son tour par les commerçants. Certains éléments du lieutenant
Diaby sont même passés à tabac. La suite, on la connaît: les commerçants sont encore
revenus s’installer. Pourquoi est-il si difficile de sécuriser ce
tronçon ? Il y a plusieurs raisons. D’abord, la plupart des réfractaires
sont des commerçants ambulants. Ils n’ont pas de box, mais trimbalent leurs
marchandises. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une voie d’à peu près 2 kilomètres,
qui part de la mairie jusqu’à la RAN. De nombreuses ruelles slaloment vers le «Forum
des marchés» ou le «Black market». En les parcourant, on tombe sur un entrelacs
de box ou des couloirs labyrinthiques. Lorsqu’un agent de sécurité est à la
poursuite d’un vendeur ambulant, c’est l’endroit idéal pour disparaître. Quand
l’agent se retourne, il revient. Aujourd’hui, il s’agit de tirer des leçons de
ces précédentes opérations et élaborer une stratégie plus efficace.
RT
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