LES FEMMES VOILEES PARLENT AUX IVOIRIENS
Déjà
sujet à débat, porter la #burqa# aujourd’hui en Côte d’Ivoire pourrait vous
attirer… quelques ennuis. Pour éviter tout amalgame, après l’attaque terroriste
de Grand-Bassam, la Convention
de l'assemblée des #femmes musulmanes# sunnites en Côte d'Ivoire (Cfemsci) est
sortie de son silence.
Adjamé Bracodi. Devant la grande mosquée, les
étals de commerce alternent avec les magasins de tout genre. Sur ce qui reste
de la route bouffée par l’érosion, véhicules, pousse-pousse et piétons luttent
pour avoir le passage. On cherche une glacière par-ci, une boisson fraîche
par-là, parce qu’il fait une chaleur de plomb. Comme un paradoxe à cette
ambiance torride, l’enceinte de la grande mosquée de Bracodi est presque vide.
Il y règne un silence de piété. Quelques hommes, tête basse, sont figés sur les
nattes, dans la salle de prière. A l’extrémité de la cour, une femme portant une
burqa d’un noir foncé vient à notre rencontre. Son «salam aléikoum» (que la
paix soit avec vous, en arabe) paraît plus libéré que la veille, au téléphone.
Après quelques vérifications pour s’assurer qu’elle a véritablement affaire à
la bonne personne, Traoré Maïmouna, épouse Diarra, peut enfin nous ouvrir grandement
les portes de son bureau, ce lundi. La secrétaire exécutive de la Convention de l'assemblée des femmes musulmanes sunnites
en Côte d'Ivoire (Cfemsci) a bien des raisons de vouloir se protéger. Depuis
l’attaque terroriste de Grand-Bassam qui a fait 19 morts, le 13 mars dernier,
elle et ses «sœurs» font l’objet de moqueries, d’agressions verbales. Certaines
sont même humiliées en public. La raison ? La burqa, ce voile si
controversé, qui leur couvre intégralement le visage, conformément à leur choix
religieux. Aujourd’hui, Maïmouna et ses «sœurs» ont décidé de se faire entendre,
afin de faire cesser cette sorte d’oppression. Dans l’une des pièces situées au
fond de la mosquée, elles attendent. Parmi ces braves dames, Tuo Zénab, épouse Ouattara,
a l’air de s’impatienter. La secrétaire exécutive chargée des affaires administratives
a failli se faire lyncher, pas plus tard que la semaine dernière, au grand
marché de Koumassi. Alors qu’elle vient faire ses achats, son panier en main, Zénab
est loin de se douter que sa présence dans le marché ce matin va créer une
véritable psychose.
La panique au marché
«D’abord, j’ai
remarqué que tous les regards des femmes étaient tournés vers moi», explique
notre interlocutrice. Il y a comme un silence de mort dans le marché. Ce qui
est très peu courant. Le plus curieux, c’est que les dizaines de paires d’yeux
dont elle fait l’objet restent braquées sur le panier que la dame porte. Que
contient-il ? Mais le moment de peur ne dure qu’une poignée de secondes.
Ensuite, place aux murmures. Quelques femmes l’indexent. Puis, l’une des
vendeuses qui vient de réaliser que le panier ne contient rien de
compromettant, lui lance: «jolie femme, tu ne sais pas qu’on ne porte plus
ça ? (Ndlr, la burqa)». Zénab se souvient qu’elle n’a pas perdu une
seule seconde son sang-froid ce jour-là. Si elle s’était énervée ou avait voulu
répondre à toutes ces femmes, cela aurait sûrement tourné à une rixe. «J’ai vu que
la vendeuse qui me parlait était Gourou et comme je suis Sénoufo, nous avons
joué sur l’alliance qui lie les deux ethnies. On a sympathisé et j’ai continué
à faire mon marché», relate cette enseignante. Mais le goût de cette journée reste
amer. Ces femmes qui portent la burqa faisaient déjà l’objet d’une certaine
forme de moquerie. Et selon la secrétaire de la Cfemsci, ce sentiment s’est mué
en une sorte de haine voilée, depuis l’attaque terroriste de Grand-Bassam. La SG-adjointe,
Koné Awa, épouse Coulibaly, se rappelle: «Avant, les surnoms que les gens nous
prêtaient, c’étaient, Ninja, ‘‘Zamblée’’, ‘’Boko-Haram’’. Mais aujourd’hui,
c’est bien plus cruel». Le 25 mars dernier, explique Awa, l’une de ses sœurs a
eu l’idée d’aller faire un retrait à la banque, à Youpougon-Kenya. Un fait tout
à fait banal. «Mais à son retour, elle avait l’air bouleversée. Elle m’a dit
qu’une fois à l’intérieur de la banque, son sang s’est glacé parce que tous les
regards étaient sur elle», fait savoir Awa. Toutefois, la scène qui semble
choquer le plus est celle vécue, samedi dernier par Sanogo Mariam, la
secrétaire aux affaires administratives. Invitée par l’une de ses camarades pour
la messe de Pâques, à l’Eglise Sainte Monique (Plateau-Dokui), elle n’hésite
pas à répondre présent. Mais alors que Mariam est installée dans la salle en
même temps que de nombreux fidèles, elle constate que l’un des organisateurs de
la cérémonie de prière n’arrête pas de l’épier du coin de l’œil. Finalement,
l’homme n’en peut plus et avance vers Mariam habillée en burqa. «Il m’a dit sans
ambages de me lever et de sortir. Je lui ai demandé pourquoi, le monsieur m’a
répondu de but en blanc que c’est parce que j’étais vêtue en burqa. Comme je
discutais, l’un de ses camarades est venu s’enquérir, et il a insisté pour que
je sorte vite de l’église», déplore Mariam. Les échanges attirent l’attention
des fidèles.
Mise dehors à l’Eglise
«C’était très gênant
pour moi». Alors qu’elle écoute sa secrétaire aux affaires administratives
raconter cette scène digne d’un gag, Tuo Zénab a le regard compatissant, parce
qu’elle sait ce que signifie l’humiliation dans de telles conditions. Elle qui
a vécu une scène similaire, au sous-quartier «Divo» de Koumassi. Dans la
semaine qui suit sa mésaventure au marché, l’enseignante accompagnée de ses camarades
qui portent également le voile intégral d’origine afghane, vont dire «yako» à
une amie en deuil. Les dames devisent tranquillement tandis qu’elles longent
l’une des ruelles insalubres qui descendent dans le sous-quartier. Mais soudain,
des cris leur font marquer le pas. Attroupées devant leurs maisons, des femmes les
observent. L’une d’elles vient de leur lancer des propos désobligeants. «J’ai
dit à mes camarades de ne pas y répondre», salue aujourd’hui Zénab, habituée à
ce type de situations. Mais une vieille femme particulièrement agressive fraie
son chemin vers les dames en burqa et leur
lance presqu’au visage: «Pardonnez, ne nous tuez plus! Ne tuez plus nos
enfants !» Zénab et ses camarades sont stupéfaites. «Quand la vieille
femme a commencé à hausser le ton, les autres lui ont dit qu’elle exagérait
maintenant. Et elles ont tenté de la calmer par la suite. Nous avons poursuivi
notre chemin». Evidemment, ces femmes qui les provoquent savent bien qu’elles
ne sont pas des terroristes; qu’elles n’ont aucune accointance avec ces barbares
sanguinaires qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire. «Mais c’est juste de la
provocation à laquelle il ne faut jamais répondre. Le plus souvent, ce sont nos
frères musulmans qui nous jettent des pierres quand nous passons et qu’ils sont
devant leurs tasses de thé. C’est très déplorable», s’indigne Zénab. L’actualité
aidant, cette réalité a fini par bouleverser des vies. Comme celle de l’amie
d’Awa, une infirmière jadis gaie et entourée d’amis au service. Aujourd’hui, d’après
Awa, cette femme est isolée quand elle met les pieds au travail. «Ses collègues
l’évitent depuis l’attentat de Grand-Bassam. Les gens font très souvent de
l’amalgame. Ils le savent mais continuent d’agir ainsi», regrette Awa K. C’est
aussi le cas de cette étudiante à l’Université Félix Houphouet-Boigny, à qui
Sanogo Mariam donne régulièrement des cours à la maison, au Plateau-Dokui. «Un
jour, j’arrive chez elle et je constate qu’elle ne porte plus le voile. Elle s’est
débarrassée de toutes ses tenues religieuses. Lorsque j’ai voulu savoir
pourquoi, elle m’a dit que la dernière fois qu’elle a porté le voile pour aller
en amphi, on l’a traitée de ‘’djihadiste’’ tout le long du cours. Aujourd’hui,
cette fille en est traumatisée. Elle ne veut plus rien à voir avec le voile, ne
serait-ce que pour se couvrir les cheveux», raconte Mariam. L’interdiction d’entrer
à la Sûreté nationale avec le voile ou même les réticences dont elles font
l’objet en allant se faire confectionner des documents administratifs sont
parfois supportables, discutables. Mais pour ces femmes, les accuser de
terroristes est la goutte d’eau de trop.
Et il est temps de
dire stop !
Raphaël Tanoh
Leg : Les femmes
sunnites veulent être entendues.
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