DEGUERPISSEMENT: LES POPULATIONS BRAVENT LES AUTORITES
Mardi 9 février. Le domicile du maire
d’Adjamé, Youssouf Sylla est sans dessous-dessus. Un groupe de ferrailleurs non
identifiés opposé à au déguerpissement de la casse a voulu se venger. La
demeure a été pillée et saccagée. Il faut un important déploiement de forces mixtes,
une semaine plus tard, pour raser l’ancienne casse d’Adjamé Williamsville,
située entre le carrefour Macaci et la Sodeci. Les magasins, les entrepôts sont
éventrés et s’écroulent avec l’avancée des bulldozers. Quelques jours après ce
malheureux épisode, ce sont les femmes d’un quartier précaire connu sous le nom
de « 9 kilos » qui crient haro dans les rues. Sorties ce lundi pour
dénoncer la destruction de leurs maisons et étals, elles n’hésitent pas à braver
la police, la tête munie de bandeaux rouges. Les policiers sont obligés d’y aller
avec le dos de la cuillère pour ne pas trop brusquer ces pauvres femmes qui
font le boulot des hommes à leur place. Cette stratégie consiste à capter
l’attention pour se faire mieux attendre. Elles veulent un site de recasement
approprié. Si 2016 débute avec ces scènes plutôt déshonorantes, l’année 201,
elle, a été émaillé de spectacles similaires. Qui ne se souvient pas du
déguerpissement partiel de « Gobelet », ce funeste quartier précaire
situé à Cocody et qui refuse de disparaître ? Le 21 juillet 2015, la
population, majoritairement des jeunes, ose ériger des barricades sur les voies
et n’hésite pas à jeter des pierres aux policiers qui escortent les bulldozers.
Les hommes en arme gazent, font de tirs de sommation. La population recul,
revient à la charge. L’affrontement va entraîner la mort d’un vigile du
quartier qui se rendait chez lui. Le malheureux a suffoqué en respirant du gaz
lacrymogène. Bilan : un mort, plusieurs blessés. Octobre 2012. La ministre
de la Salubrité urbaine, Anne-Désirée Ouloto, accompagnée du maire d’Abobo,
Adama Toungara et du ministre de la délégué à la Défense, Paul Koffi Koffi
savent que la tâche sera ardue ce lundi d’octobre. Mais personne n’imagine que
le déguerpissement du marché du rond-point d’Abobo se transformera en un
véritable western entre forces de l’ordre et les jeunes farouchement opposés à
cette idée. Le conducteur du bulldozer chargé de démolir les box de commerce, prend
la poudre d’escampette. Il faut l’intervention des Forces républicaine de Côte
d’Ivoire (Frci). Spectacle insolite : c’est un militaire qui prend le
volant du « destroyers » et commence l’opération de démolition,
plusieurs heures après les échanges de tirs. L’armée sera déployée dans la zone
pour sécuriser cette action risquée. Réputé imprenable, le marché de la gare
d’Abobo tombe finalement. Aujourd’hui, citer les déguerpissements qui tournent
à la bagarre, c’est comme égrener un chapelet. D’où vient le problème ? De
la mauvaise foi où un simple manque de communication ? Gaoussou Grabo, qui
fait partie de l’organisation des résidents de Mossikro, l’un des quartiers les
plus concernés par la question du déguerpissement, a son idée là-dessus. « C’est
une question de franchise. Ici à Mossikro, il n’y a pas eu d’échauffourée
pendant les déguerpissements, pourquoi ? Parce qu’on a été franc avec la
population. Ceux qui devaient partir sans dédommagement ont été prévenus. Et on
n’a jamais essayé de leur faire croire qu’ils seront pris en compte après. Les
gens ont compris », explique M. Grabo. Autre éléments : la
communication. « Nous avons eu plusieurs rencontres avec la mairie
d’Attécoubé, des mois avant l’opération. Les gens étaient vraiment bien préparés »,
fait savoir le quadragénaire. Mais, nuance : Mossikro a enregistré
plusieurs décès lors des récents éboulements dans le bled. Psychologiquement,
la population ne pouvait donc pas résister à une opération d’assainissement qui
visait à les sauver de la mort. Ako Yapo, le chef de village de Banco1, un
autre quartier précaire d’Attécoubé, indexe l’absence de site de recasement. Avant
de déguerpir, selon lui, il faut trouver un endroit où reloger les populations.
Malheureusement, à l’entendre, ce n’est pas le cas. Et les populations de
Banco1, pour lui, en ont été longtemps victimes de cette situation. Ouédraogo
Karim, président des jeunes de « Gobelet » parle, lui, de
dédommagement. On ne peut pas, d’après le garçon, détruire une maison, mettre
une famille entière à la rue et lui demander d’aller elle-même se trouver un
domicile pour se reloger. Beaucoup, ajoute Karim, perdent leur boulot en
quittant le quartier. Parce qu’ils travaillent pour la plupart non loin de chez
eux. Casser une maison, au dire
d’Ouédraogo Karim, c’est anéantir une vie. A « 9 kilos », (Riviera 2),
ce sont les mises en demeure qui posent problème. Lundi, pendant la
manifestation dans la rue, les femmes ont estimé n’avoir pas reçu de mise en
demeure. Autant de problèmes à résoudre avant d’entamer une opération de
déguerpissement. Mais pour Coulibaly Salif, conseiller à la mairie d’Attécoubé,
chargée des questions de salubrité, tout cela se résume en une
chose : « Les populations aiment se jouer les victimes. A
attécoubé, par exemple, nous faisons des mises en demeure souvent un à deux ans
avant d’entreprendre une démolition. Au pire des cas, c’est six mois après.
Mais à chaque fois que les bulldozers
arrivent, vous trouverez les gens encore dans leurs maisons », explique le
conseiller. Le dédommagement ? « C’est par humanisme que nous le
faisons. Il n’est pas indiqué qu’avant un déguerpissement il faut absolument
dédommager les familles », ajoute M. Coulibaly. Avant de donner le cas du « Boulevard
de la paix », dans sa commune. Il y a plusieurs dizaines d’années, selon
lui, des populations sont venues s’installer là, sachant que c’est un site de
l’Etat. « Nous leur avons donné des autorisations d’installations
provisoires en attendant. Ils savaient
qu’un jour ou l’autre, ils seraient déguerpis. Le problème, c’est le temps.
Plus ils s’attardent sur les lieux, plus ils s’imaginent qu’ils sont là de
droit », indique le conseiller du maire. Il faut ajouter à cela les taxes
que la mairie prélève sur les différentes activités entreprises par ces
personnes. « Quand ils payent ces taxes liés à leurs activités commerciales,
il se disent qu’ils sont là de droit. Le jour où on vient pour les déguerpir, les
populations se braquent». Pourquoi ne
pas leur trouver un autre site de recasement? « C’est l’affaire du
gouvernement, explique M. Coulibaly. Vous savez qu’il n’y a plus de terrain à
Abidjan. Je vous donne un exemple. Au niveau d’Attécoubé, nous avons demandé 70
hectares pour reloger les personnes déguerpis. Ce terrain n’a jamais été
trouvé ». Parfois même le terrain est trouvé, mais les gens refusent de
s’y installer, ajoute une source proche du ministre de la Salubrité urbaine et
de l’Assainissement, Anne-Désirée Ouloto. « Il y a des situations où il
faut dédommager, certes, les populations. Quand elles sont chassées d’un site
qu’elles occupaient légalement, par exemple », poursuit notre
interlocuteur. Qui sera appuyé par un proche collaborateur du ministre de la
Construction et de l’urbanisme, Mamadou Sanogo. « Souvent des sites sont
trouvées mais les populations refusent d’y aller. Ça été le cas au Banco1 où les
populations ont été dédommagés ensuite on leur a trouvé un autre site. Mais dès
que les autorités sont partie elles sont revenues s’installer sur le site.
Certains y ont construit des maisons mais sont aller habiter ailleurs. Un site
a été trouvé pour reloger également les populations de « 9 kilos »,
personne ne veut y aller. Que voulez-vous qu’on fasse ? ». Les plans
d’urbanisation et d’assainissement de la capitale pressent. Faut-il se plier
aux caprices de ces populations où avancer parce que le développement
n’attendant pas ?
Raphaël Tanoh
tag: #DEGUERPISSEMENT#, #adjame#
Commentaires
Enregistrer un commentaire