MALTRAITANCE: CES ENFANTS ACCUSES DE SORCELLERIE



Maltraitance

Ces enfants accusés de sorcellerie

Alors que la bataille contre la traite et l’exploitation des enfants en Côte d’Ivoire est presque devenue un succès aujourd’hui, un autre phénomène jusque-là méconnu, attire les regards. Des enfants accusés de sorcellerie font l’objet d’abandon de la part de leurs parents. Immixtion dans un phénomène invraisemblable.

Yopougon-Gesco. Un peu derrière la gendarmerie, s’étend un sous-quartier, connu sous l’appellation de «Pays-Bas». C’est ici, bordant l’une des ruelles dégarnies du bled que se trouve l’église évangélique du Prophète David. Des planches, des chaises, quelques effigies du Christ et bienvenue dans la «maison de Dieu»! Une église a priori ordinaire. 
  Ce jeudi, à l’intérieur, un crucifix du Seigneur pend sur l’une des planches. Personne dans l’enceinte, à part ce jeune homme taciturne qui nous apostrophe avec un air circonspect. «Qui cherchez-vous? Le Prophète David ?, s’enquiert-il. Il n’est pas là ». A travers le décor pieux et trop simpliste, on est loin d’imaginer que des évènements horribles se sont déroulés dans cette espèce de cabane, il y a peu. Quelques jours plutôt, sous une indication anonyme, des éléments de la sous-direction de la Lutte contre le trafic d’enfants et la délinquance juvénile ont débarqué ici. A l’intérieur de l’église, le spectacle qui s’est offert alors aux policiers semblait inconcevable. Des enfants, parfois âgés de 5 ans, y sont cloîtrés depuis des jours. Interdits de sortir, ils vivaient un véritable supplice orchestré par les dirigeants de l’église. Devant la gravité des faits, ces derniers sont mis aux arrêts sans autre forme de procès. L’église est fichée pour être détruite. Et les enfants sont conduits dans un centre de transit, au siège de l’Ong Cavoéquiva, situé à Adjamé-Liberté, en face de la maternité Thérèse Houphouet-Boigny. 
  Mais c’est là, tandis qu’on tente de se remettre de cette tragédie, que la véritable noirceur de l’affaire surgit de l’ombre. « On nous forçait à faire des jeûnes secs (…) On ne devait pas sortir de la cour. Le prophète David a dit qu’il fallait prier sur nous pour faire partir le mal », rapporte la petite Rebecca, 8 ans, alors qu’elle vient d’être libérée…du mal.

L’église de l’horreur

La fillette faisait partie de la dizaine d’enfants enfermés dans cette chapelle. Toutes des filles. Torturées par la faim, certaines parmi elles se faisaient la belle afin de trouver de quoi se mettre sous la dent. Viviane, 9 ans, qualifie de prison cette église. Le quotidien était constitué de deux choses : jeûne et prières. Pour Irié Tra Bi, président de l'Ong Cavoéquiva qui a maintenant la charge de ces gosses, il faut retrouver d’urgence les parents. Les enfants de l’âge de Rebecca (8 ans) ou de Viviane (9 ans), peuvent donner des informations utiles permettant de joindre la famille. Mais pour les moins âgés, c’est parfois difficile. Et il faut quelques jours à ladite organisation pour mettre la main sur certains proches. Avec l’aide de la sous-direction de la Lutte contre le trafic d’enfants et la délinquance juvénile (une branche de la police criminelle), ces derniers sont ramenés de gré ou de force au siège de la structure. C’est le cas, ce mercredi ensoleillé, quelques jours après l’arrivée des enfants au centre de transit.

Comme centre de transit, Cavoéquiva n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus grand. Faisant face à une bretelle sinueuse qui s’enfonce dans le quartier en aval, l’entrée ressemble plutôt à un petit magasin de commerce. Il faut prêter attention à l’inscription gravée au-dessus de la porte pour réaliser qu’il s’agit d’un centre de transit pour les enfants victimes de maltraitance. En franchissant le seuil, on tombe sur une salle de conférences. Des visiteurs, visages fermés, attendent silencieusement sur des bancs. D’autres, sûrement éprouvés par la fatigue, piquent un roupillon. La plupart sont des parents des nombreux enfants victimes de maltraitance que l’ONG recueille. Ils ont été convoqués, aujourd’hui, avec l’aide de la police, et doivent s’expliquer avant de repartir avec leurs progénitures.


Des familles qui ont abandonné leurs enfants

Dans cette lourde atmosphère, difficile d’adresser un salut. Au bout de la salle de réunion, une issue débouche sur une petite cour exiguë. Coincée entre les murs de dortoirs surexploités et le bureau du président, la cour grouille d’enfants. Une douzaine de fillettes entre 5 et 13 ans, jouent sur des nattes, à l’ombre d’un préau. Quelques unes bavardent sur des chaises en plastique. A côté, bien attentive, une surveillante veille au grain, adossée au mur. Parmi les filles, la petite Rebecca semble heureuse. Quelques jours après avoir été tirée des griffes du prophète David, sa tante, A. Philomène, la trentaine (qui vit à Yopougon-Gesco) a été localisée. La dame a été arrêtée par la police, puis relâchée. Cet après-midi, elle doit signer des documents dans le centre de transit. Il se trouve que c’est Philomène elle-même qui a conduit sa propre nièce dans « la maison de l’horreur ». Pourquoi ? Sa réponse donne froid dans le dos: «C’est une sorcière !».  Selon elle, il fallait la délivrer du démon. « Mais je ne savais pas que les enfants étaient soumis à des jeûnes secs pendant des jours. Le prophète m’a juste dit qu’il allait la délivrer. Nous n’avons même pas payé pour cela, nous avons juste donné de quoi assurer la nourriture », se lamente-t-elle dans les locaux du centre de transit. 

Alors que l’affaire prend une autre tournure, on se demande d’où peut bien venir cette accusation de sorcellerie ? « C’est la fille de ma sœur, poursuit la femme. Je l’ai recueillie chez moi afin de lui assurer une éducation. Mais, depuis qu’elle est arrivée à la maison, plus rien ne va. Mon mari a perdu son emploi; ma fille tombe tout le temps malade et lorsqu’on l’envoie à l’hôpital, les médecins affirment qu’ils ne trouvent pas le mal dont elle souffre ». Ce n’est pas tout, selon cette trentenaire, ce qui a achevé de la convaincre que Rebecca pactise avec le diable, d’après ses propos, ce sont les aveux de la fillette. «Elle m’a dit que lorsqu’elle dort, son grand-père vient lui donner de la chair humaine à manger dans son songe. C’est sûr: il l’a initiée », en déduit A. Philomène. Mais lorsque nous interrogeons la petite Rebecca, cette dernière reste muette comme une carpe. 

Chose étonnante, Philomène n’est pas la seule à avoir abandonné sa protégée pour le même motif. Batefai K., une autre femme, la quarantaine, est conduite peu de temps après dans le même centre de transit, grâce à un travail remarquable de la police. Cette mère n’a pas hésité à traiter sa propre chair, Viviane (9 ans), de sorcière.  Avant de la conduire chez le même prophète David. «Elle voit clair», insiste Batefai, avec une conviction inébranlable. Selon elle, la fille a elle-même témoigné avoir été initiée à la sorcellerie. « C’est une grande fille, mais elle ne fait que déféquer sur elle. Lorsqu’on lui demande pourquoi, elle répond que deux messieurs dans son songe lui demandent de déféquer sur elle, comme ça, le malheur s’abattra sur celui qui la frappe. Donc nous l’avons envoyée à Yopougon-Gesco afin qu’on prie sur elle ».


Des parents introuvables

Curieusement, au contraire de Rebecca, Viviane affirme avoir été bel et bien initiée à la sorcellerie. A la question, sais-tu au moins ce que c’est qu’un sorcier ? Elle répond par l’affirmative. Sa mère croit dur comme fer qu’elle mange de la chair humaine, mais Viviane ne sait pas ce que cela signifie. Martine, une autre fillette accusée des mêmes faits par ses parents avant d’être conduite à l’église, doit attendre. On n’a aucune idée de l’endroit où se trouve sa famille. En tout, elles sont sept fillettes accusées de sorcellerie et abandonnées par leurs familles dans ce lieu de prière infâme. Certaines, comme Viviane et Rebecca, s’en iront avec leurs parents que les enquêtes de l’Ong Cavoiquiva, aidée par la police, auront permis de retrouver. Après des engagements signés, ces derniers seront suivis par les hommes d’Irié Tra Bi afin de s’assurer du bon traitement des enfants. « Ils doivent aller à l’école et bénéficier d’une bonne éducation», explique M. Tra Bi. Mais tous ces enfants n’auront pas cette chance. La plupart ne reverront plus leurs parents, parce qu’introuvables. C’est le cas de Mireille, 5 ans, qui joue dans la cour. Tra Bi qui n’est pas à sa première expérience devra prendre le soin de les loger et les nourrir. L’un des cas les plus complexes auquel la police et ses hommes ont eu à faire face a eu lieu en 2013 à Céfi, dans un campement de Divo. Une femme dont nous tairons le nom a donné naissance à une fille manchote. Accablée par les moqueries des voisins, la mère l’emmène chez son mari avec qui elle vient de rompre et qui vit avec une autre femme. L’enfant n’a alors que 5 ans. « Un jour, la nouvelle femme du monsieur, qui était enceinte, s’est mise à saigner abondamment. Ne trouvant pas d’autres explications à cela, il a accusé la fillette d’en être la cause », explique Irié Tra Bi. Convaincu que sa fille est véritablement une sorcière et qu’elle en veut à sa famille, il décide de l’envoyer dans une église à Abidjan. Alors, un matin, l’homme prend sa fille, l’embarque avec lui dans une voiture et part pour la métropole. Mais monsieur X n’a pas l’intension de délivrer l’enfant. Il a une autre idée derrière la tête. Une idée macabre qu’aucun père ne devrait nourrir à l’égard de son propre sang. « Lorsqu’il est arrivé à la gare d’Adjamé, il a dit à l’enfant de l’attendre parce qu’il allait faire sa petite commission (ndlr, uriner). C’est comme cela qu’il a abandonné la petite », explique le président de l’ONG Cavoéquiva. Revenu au village, monsieur X dira que lors de la délivrance dans une église, l’enfant a rendu l’âme et qu’il a du l’enterrer sur place. Malheureusement pour lui, la police découvre la fillette déambulant seule dans les rues d’Adjamé. L’enfant est amenée à l’ONG Cavoiquiva qui mène son enquête, avec le soutien de certains membres de l’ONG internationale Save the Children. Une délégation constituée de Save the Children part à Céfi en 2014. On se rend chez le chef du village. « Il était surpris car pour lui, la fillette était morte. Du moins, selon ce que le père était venu leur raconter», poursuit M. Tra Bi. Une fois retrouvé, le père avoue aussitôt son ‘‘crime’’. Il sera conduit à la gendarmerie de Divo, avant d’être libéré après avoir pris l’engagement de s’occuper dorénavant de sa fille. « Aujourd’hui encore, j’appelle pour m’assurer qu’il prend soins de son enfant. C’est notre rôle », témoigne Tra Bi. Un rôle dévolu normalement à chaque parent, selon l’ordre naturel de la vie.
NB: Cette enquête a été réalisée en 2016. 

Raphaël Tanoh

Leg : Ici les enfants recueillis par l’ONG Cavoequiva sont heureux de leur nouvelle vie.

tag: #MALTRAITANCE#, #ENFANTS#,  #SORCELLERIE#, # Cavoequiva#




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