Certificat de nationalité, casiers judiciaires, etc. LA #CORRUPTION# RESISTE
Dénoncée
par les uns, attisée par les autres, la corruption dans la confection des
documents administratifs a du mal à s’arrêter.
Ce mardi n’est pas différent d’un autre,
au palais de justice du Plateau. L’édifice grouille de visiteurs ; le
parking dehors pue l’urine, les vigiles devisent devant la barrière de
sécurité. Et les « margouillats » rôdent. Avec leur flaire
infaillible, ces intermédiaires ont fini par se fixer au palais, telles des
sangsues. Mais s’ils sont toujours là, c’est bien parce que derrière les
gigantesques murs de l’édifice, quelque chose les retient: la corruption. Un
certificat de nationalité se fait normalement à 1.600 FCFA. Mais
« normalement », inclue deux semaines de longue attente, d’allées et
venues au Temple de Thémis. Et c’est là que Kouadio Yves intervient. Ce matin, le
démarcheur doit lutter avec ses « concurrents » pour se trouver de quoi rentrer. Avec lui, en
trois jours, vous pouvez avoir votre document. Sauf que la somme monte à 3.000
FCFA. Kouadio peut même vous procurer le papier en une seule journée.
Mieux encore : si vous êtes trop pressés, le « margouillat »
fourre vos papiers et court voir son « vieux père», ou sa « vieille
mère », quand, bien sûr, ce n’est pas le « bon tonton ». Et en
moins d’une heure, vous le verrez revenir, muni de vos papiers confectionnés et
signés « en bonne et due forme ». L’express a un coût, cependant :
5.000 FCFA. Pour un document censé coûter 1.600 F, c’est environ 3.500 FCFA de
plus. « Il faut payer la ‘‘saisiste’’ », justifie ce trentenaire avec
son petit gabarit. Mais qui est la « saisiste » ? Motus et bouche cousue ! Kouadio n’est
pas le seul à faire de cela un mystère. Nous ayant confondus à un client, Michel
croit pouvoir proposer le meilleur service. Mais à la vérité, ils parlent tous
le même langage. « Si vous êtes né ici, il faut 9.00 F pour le casier
judiciaire ; 2.000 F si vous avez vu le jour ailleurs. Mais c’est deux
semaines, la durée », fait le « margouillat », le visage enlaidi
par une infection cutanée mal soignée. En fait, personne n’aime les deux
semaines d’attente. Ils le savent et attendent que vous leur posiez la question
magique : comment accélérer les choses ? C’est là que leurs yeux s’illuminent
et que leur langue devient tranchante telle une fourche acérée. « 3.000
FCFA en trois jours ; 5.000 FCFA en un jour », détaille Michel. Bref,
le même tarif que pour le certificat de nationalité. Le seul document
administratif dont la confection ne requiert pas leur intervention, c’est
l’extrait de naissance, naturellement pour ceux qui ont déjà fait ce papier
dans une sous-préfecture. Pourquoi ? Parce que la confection du document
respecte les 48h de délais. Alors, pourquoi les autres procédures ne respectent
pas ce délai institué par le gouvernement ? Et qui a intérêt à ce que les
choses traînent ? A l’office national d’identification (Oni), les affaires
sont plutôt mauvaises pour les démarcheurs depuis que l’opération d’enrôlement pour
la carte d’identité a démarré. Ceux qui sollicitent les attestations se font de
plus en plus rares. Mais il y en a quand même. Et ceux-là doivent se plier à
leur nouvelle loi. « C’est 3.000 FCFA, mon tonton (ndlr, au lieu de 1.000FCFA).
Vous pouvez l’avoir demain. Si vous n’avez pas encore fait l’enrôlement, alors
donnez-moi 4.500 FCFA, je me charge du reste », chuchote Sylla B. ;
sous les arbres, dans la cour de l’Oni, en face de la cathédrale Saint-Paul. En
fait, l’enrôlement est obligé pour toute personne désirant se faire établir une
attestation d’identité. Et il coûte 5.000 FCFA. C’est avec le reçu de cette
opération que l’intéressé va se faire établir son attestation. Les plus pressés
viennent donc voir Sylla et le jeune homme se charge de sauter cette étape, avec
4.500 FCFA comme contrepartie. Mais Sylla n’est pas un employé du coin. Il ne
peut confectionner de document, encore moins les signer. Ceux à qui cette tâche
incombe, dit-il, ont besoin d’être motivés. Autrement dit, ils sont dans le
coup. Dans les commissariats de police, le problème est différent. L’attestation
s’établit légalement à 2.500 FCFA, sans intermédiaire. Mais 1.500 F de plus
qu’à l’Oni. Bien que cela n’empêche pas les mêmes pratiques qu’au palais de
justice. « C’est honteux pour l’image de notre pays, fustige Cissé Yao
Jules, huissier de justice près la cour d'Appel d'Abidjan.
Pourquoi les autorités laissent-ils faire ? C’est parce qu’il y a des
complicités internes. Il faut le dire clairement ». D’après l’huissier, les personnes qui approchent
ces « margouillats », prennent de gros risques. « Ils font de
faux document », explique-M. Cissé. De nombreuses personnes se sont fait
avoir, à l’entendre. Conscient du problème, Gnamien Konan, alors
ministre de la Fonction publique et de la réforme administrative, avait
signifié l’impuissance ministère. « Le soutien institutionnel du
gouvernement nous est nécessaire pour aborder efficacement ce chantier dans
toutes les autres administrations. C’est un travail transversal. Notre
positionnement ne nous permet pas d’avoir l’autorité nécessaire pour dire que
dans tel ou tel service, d’un autre ministère, il y a du racket et qu’il faut
des changements. Nous n’avons pas cette compétence institutionnelle »,
avait signifié le ministre, le 11 mars.
Raphaël Tanoh
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