Pr Valy Sidibé dg ENS: "SI BACONGO ME DIT VA-T-EN, JE M'EN IRAI"
Des enseignants de l’Ecole normale
supérieure (Ens) ont animé
une conférence de presse, lundi, pour dénoncer
l’immixtion du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche
scientifique dans l’organisation du concours d’entrée à l’Ens. Mardi, c’était au tour du ministère de
réagir en annonçant que sa décision reste irrévocable. Jusque-là silencieux, le
directeur général de l’Ens a décidé de dire ses vérités.
Avez-vous été saisi du fait que le
ministère de l’Enseignement supérieur ait décidé d’organiser désormais le
concours d’entrée à l’Ens?
En
effet, une lettre circulaire produite par le ministère de l’Enseignement supérieur
et de la recherche scientifique nous a intrigués, dans la mesure où bon nombre
d’éléments liés au fonctionnement de l’Ens se font par rapport à des textes.
L’Ens est un établissement public national (Epn). En tant que tel, elle est
régie par la loi sur les Epn. Et comme la loi est au-dessus du décret et des
arrêtés, nous avons été étonnés de voir dans la circulaire que toutes les
ressources générées par le concours seront désormais versées à la Direction de
l’orientation et des examens (Dorex). C’est un paradoxe.
Vous êtes donc offusqué…
L’Ens
a sa tutelle financière qui est assurée par le ministre de l’Economie et des
finances. Et est sous la tutelle technique du ministère de l’Enseignement
supérieur et de la recherche scientifique. Par conséquent, ce dernier n’a pas
le droit de toucher à l’argent que nous générons. Nous avons une personnalité
morale. Nous avons une autonomie financière. Et s’il y a malversation
financière ici, ce n’est pas le ministre de l’Enseignement supérieur qu’on
arrêtera, mais plutôt le directeur général de l’Ens.
Les textes disent-ils clairement que le
ministère n’a pas le droit d’organiser le concours ?
La
Côte d’Ivoire a subi des effervescences en 2010-2011, et nous n’avons pas
changé de ministre. C’est le même qui était là. Et c’est l’Ens qui a toujours organisé
ces concours concomitamment avec le ministère de la Fonction publique et de la
réforme administrative. En clair, quand il s’agit de l’organisation, de l’inscription,
des droits de concours et droits d’examens, etc, c’est nous qui les encaissons.
C’est la loi qui le dit. Le législateur ne fait pas les choses au hasard. Les
Epn sont tenus de produire des ressources propres qui doivent être budgétisées.
Tout
ceci est donc un problème d’argent, finalement…
C’est
un problème d’argent ; il ne faut pas avoir peur de le dire. Si vous
prenez le contenu de la lettre circulaire du ministère, il est écrit que la
Dorex doit organiser les concours. Mais on ne dit pas qu’elle viendra nettoyer
nos salles, ou améliorer les conditions de vie des étudiants. Ce qui est grave,
c’est que dans cette circulaire, on mentionne que la Dorex procédera à la planification
ou la programmation des concours et des examens. Ce n’est pas le rôle de cette
structure, mais celle du ministère de la Fonction publique. Plus loin, dans la même circulaire, il est indiqué
qu’elle doit procéder à l’élaboration des formalités d’inscription, à la rédaction
et diffusion des communiqués de presse, à la fixation des montants
d’inscription ou frais…La Dorex n’est pas qualifiée pour ces tâches. Nous
sommes deux directions du même ministère. Ce n’est pas cette direction qui
viendra nous dicter des ordres. Mais le plus grave concerne la gestion des
ressources, mentionnée dans la
circulaire, c'est-à-dire le recouvrement des droits d’inscription qui
constituent des recettes qui doit être
fait par la Dorex. Mais, dites-moi, ces recettes vont dans quel budget ?
Dans celui de la Dorex ou de l’Ens ? Sans compter que dans le document, on
nous parle aussi de l’exécution des diverses dépenses liées à l’organisation du
concours. Qui effectuera ces dépenses ? Puisque c’est nous qui produisons
les sujets, c’est nous qui les tirons, et c’est encore nous qui distribuons les
copies et les pochettes. Les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Fonction
publique ne sont convoqués que pour
assister aux choix des sujets afin qu’il n’y ait pas de fuite. Alors, le
ministère de l’Enseignement supérieur s’accroche à un décret qu’il a lui-même
pris sachant bien que ce décret est en porte-à-faux avec la loi.
Combien l’organisation du concours
rapporte-t-elle à l’Ens ?
S’il
y a, par exemple, 2.000 postes à pourvoir, nous pouvons accueillir plus de
10.000 candidatures. Si vous prenez en compte le fait que chacun paye 10.000 FCFA
comme frais d’inscription, et 2.000 F pour les pochettes, calculez…
Le ministère a pris, entre autres, la
fraude pour prétexte en donnant l’organisation du concours à la Dorex…
Ecoutez,
nous sommes des personnes responsables de l’avenir de notre pays. Le ministère
objecte en disant que s’il donne l’organisation du concours à la Dorex, c’est
parce qu’il y a eu des fraudes. Mais en 2010, je n’étais pas là quand ces
fraudes ont eu lieu. Et en 2010-2011, c’est moi qui, en collaboration avec le
service des examens et concours, ai découvert ces anomalies. Nous avons trouvé
une situation et nous avons essayé de voir comment la réparer. Ceux qui disent
qu’il y a eu fraude, ils étaient là, eux. A commencer par le ministre !
Qu’ont-ils fait alors qu’ils ont un devoir de contrôle ? En plus, si vous
avez un devoir de contrôle, vous ne pouvez pas être organisateur d’un concours
et contrôler ce qui se passe. Or, c’est ce que la Dorex veut faire.
Il y a une situation qui est là. Selon
le ministère, sa décision est irrévocable. Et de votre côté, vous dénoncez une
ingérence. Que va-t-il se passer maintenant ?
Je
m’en remets aux textes. Comme on dit chez nous au village, vous ne pouvez pas
donner la tête à quelqu’un sans la mâchoire. Il y a irruption dans le fonctionnement de l’Ens. Et c’est
pour éviter ce genre d’irruption que le Premier ministre, Ahoussou Kouadio
Jeannot, en son temps, avait pris une lettre d’instruction qu’il a adressée à
tout le monde. Elle date du 22 mai 2012. (Ndlr, il lit le document), ‘‘lors du
conseil des ministres du 12 octobre 2011, le président de la République avait
instruit les membres du gouvernement à l’effet de ne plus solliciter des appuis
financiers auprès des entreprises et des établissements publics nationaux
placés sous leur tutelle. (…) j’attache du prix à son strict respect. Les
sollicitations des ministres auprès des entreprises et Epn ayant une personnalité
juridique propre, distincte de celle de l’Etat, sont de nature à perturber leur
équilibre financier et leur bon fonctionnement’’. Ce sont les mots du Premier ministre. Moi, je
pense que c’est toujours le même gouvernement.
Que feriez-vous si malgré tout le
concours est organisé par la Dorex ?
Nous
allons prendre acte. Et nous aviserons. Nous sommes une institution. Si le
ministère de tutelle nous demande de ne pas faire le travail tel que la loi
l’exige, nous ne serons pas responsables de tout ce qui pourrait arriver.
Qu’est-ce qui pourrait arriver ?
Deviner
vous-même.
Etiez-vous impliqué dans la conférence
de presse des enseignants, lundi, pour dénoncer l’ingérence du ministère ?
C’était
l’affaire des syndicats. Au moment de
la conférence, je n’étais même pas à
Cocody. C’est le soir, quand je suis rentré que je l’ai su. A ma grande
surprise, j’ai découvert la lettre circulaire. Et tenez-vous bien, les
enseignants avaient cette circulaire avant moi ! Il faut que les Ivoiriens
sachent tous ces détails. Il ne faudrait pas que les gens interprètent mal et
m’accusent après d’insubordination envers mon ministère de tutelle.
Ne craignez-vous pas pour votre poste
avec ce bras de fer avec le ministre ?
Je
ne fais pas de bras de fer avec le ministre. Je fais mon travail conformément à
la loi. S’il juge que je ne fais pas son affaire, il a la liberté de me dire, Pr
Valy Sidibé, va-t-en ! J’ai mon université à cent mètres. Ici ou ailleurs, je ferai mon travail.
A quand le concours de l’Ens ?
Le
prochain concours est en instance de lancement.
Combien de places seront disponibles ?
Pour
le moment, nous avons reçu les besoins du ministère de l’Education nationale et
de l’enseignement technique. Ce sont 3.896 postes, toutes catégories
confondues.
Réalisée
par Raphaël Tanoh
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