KOUMASSI: LE NAUFRAGE DES PIROGUES HANTE LA POPULATION
Deux
semaines après le naufrage d’une pirogue aux larges de « Yapokro »
(Koumassi) qui a occasionné quatre morts, des mesures importantes ont été
prises.
Depuis le naufrage d’une pirogue dans la nuit
du 1er au 2 janvier, le corps de la petite Sobo, six ans, n’a pas
encore été retrouvé, selon les services du commissariat du 20ème
arrondissement de Koumassi. Ce jeudi, la lagune verdâtre du quartier de Yapokro
(dans la commune de Koumassi) qui a englouti la fillette, est calme. Sur la
surface parsemée d’algues et de touffes
d’herbes aquatiques, on aperçoit les silhouettes lointaines d’une pinasse et d’une
pirogue de pêcheurs. Elles rejoignent le village derrière l’eau : Agnikro.
Sur la berge où un énorme chantier est en construction, quelques passagers
attendent, baluchons, sacs ou sachets en main. Ce n’est pas le retour de la
pirogue qu’ils guettent, mais celui de la pinasse. Ici, plus question de monter
dans une pirogue. « Depuis l’accident, on a interdit aux pirogues de
transporter les passagers, indique Isaac Kouassi, la cinquantaine. De toutes
les façons, c’était un moyen de transport risqué ». L’information qu’il
donne est confirmée par Josette Jomolo, une vendeuse de poissons frais qui
attend également le retour de la pinasse. Contrairement à Issac, Josette n’a
pas la phobie des pirogues. « Lorsque je vais prendre mon poisson à Agnikro,
c’est difficile de me déplacer avec jusqu’à la gare des pinasses. Je prends
donc une pirogue ». Elle ne le fait plus depuis le naufrage et l’interdiction.
« Au temps où je le faisais, c’était seulement moi et mes bagages. Je ne
prenais aucun autre passager ». Devinez quoi ? C’est cette brave
femme elle-même qui pagayait l’embarcation jusqu’à la berge ! « Je
peux toujours le faire, parce qu’on a seulement interdit aux pirogues de
prendre des passagers». De fait, Josette louait sa pirogue. Tout le monde ne
s’est pas plié à l’interdiction lancée par la police et les responsables de
Yapokro. Il nous sera donné de le constater quelques minutes plus tard sur une
autre berge de Koumassi: Bia-sud. Ployée sous la charge de la pagaie, une
femme propulse doucement une pirogue vers le rivage. L’embarcation ballottée
par de petites secousses, transporte une passagère et des feuilles aux vertus
médicinales. Lorsque la pirogue accoste, la femme se dresse comme un homme et balance
les sacs sur le rivage. « Appelez-moi Adja Cissé », lance-t-elle avec
un rire lorsque nous lui demandons son nom. C’est un pseudonyme : elle nous
le fera savoir plus tard, sans pour autant se présenter.
« Il
y a plus d’accidents de voiture que de pirogue »
La « capitaine » Adja Cissé connaît
les règles ici. Elle sait que depuis un
moment, le chef de village d’Adjahuikro, situé de l’autre côté de la lagune, a interdit
l’utilisation de la pirogue comme moyen de transport. Elle sait aussi que
depuis le naufrage de Yapokro, les autorités ont insisté sur cette interdiction.
Mais elle n’en a cure. « C’est ma pirogue, je ne transporte pas de passager,
seulement mes bagages ». Qu’en est-il de la passagère qui se trouve dans
l’embarcation? « C’est ma sœur»,
tranche-t-elle en déchargeant son «navire». Pour mieux comprendre ce qui se
passe à Bia-sud, il faut s’approcher des responsables d’une gare de pinasses
sur la berge. Arnaud Moigny, l’un des gérants de ce « terminus »
explique : « Il y a des personnes qui utilisent la pirogue comme
leurs véhicules personnels. Ces gens-là travaillent à Koumassi et habitent
Adjahuikro. A cause de l’horaire irrégulier de la pinasse, ils viennent en
pirogue et retournent en pirogue, souvent tard la nuit ». Face à cette
situation, dit-il, le chef de village d’Adjahuikro a adopté la tactique du deux
poids deux mesures : « Il a demandé à ceux qui sont dans ce cas, de mettre
des chaînes sur leurs pirogues. Car, lorsqu’ils sont au travail, d’autres
personnes prennent leurs embarcations pour faire du transport ». La
consigne a été très vite contournée. Ce matin, plusieurs pirogues qui servent
de moyen de transport personnel sont accostées sans attache. Le véritable
problème est qu’après l’interdiction, le contrôle n’est pas suivi. Pire, aucune
sanction n’a été prévue pour les réfractaires. On n’est donc pas à l’abri d’un
autre naufrage de pirogue. Surtout que les passagers que les autorités tentent
de protéger par ces mesures, relativisent. « Il y a plus d’accidents de
voiture que de pirogue », tempère Morris Kouablé entre deux bouchées de
pain. Il attend sur le rivage le retour de la pinasse. Pour ce jeune garçon, le
naufrage de Sakassou qui a fait douze morts et celui de Grand-Bassam, qui a vu
la disparition du maire de la ville, ne sont que de malheureux évènements incapables
de mettre fin à l’activité des pirogues. En attendant une certaine prise de
conscience, Apa Thomas Yao, le père de la petite Sobo, continue de pleurer sa
fille disparue.
Raphaël Tanoh
Commentaires
Enregistrer un commentaire