Akouédo : LA GRANDE DESILLUSION!
Après des dizaines d’années passées à respirer la charogne et les détritus, les habitants d’Akouédo croyaient pouvoir enfin trouver la paix dès la fin de cette année. Mais la fermeture de la décharge voisine prévue pour le 31 décembre ne sera pas effective. Au contraire, les choses se compliquent.
En saison sèche, la poussière soulevée par les grosses roues des camions d’ordures empêche de respirer. Quand il pleut, l’humidité fait remonter toutes sortes d’odeurs nauséabondes, et le vent se charge de les transporter. Alors, à Akouédo, on ne peut souhaiter ni le soleil ni la pluie. C’est une situation bien étrange. Tout comme le sort de ces milliers de personnes qui habitent ce quartier excentré. Tantôt rassurées par le gouvernement, tantôt oubliées, elles ne croient plus véritablement à la fermeture de la décharge de 100 hectares qui jouxte le bled. Après plusieurs promesses, le rendez-vous avait été finalement pris pour le 31 décembre 2012. A deux semaines du jour J, presque tous ont compris que la délivrance n’est pas pour bientôt. La vérité est dure : le ballet des camions de décharge devant leurs portes, va encore durer. Ce lundi, on les voit monter et descendre la voie poussiéreuse qui monte vers le gros réservoir d’immondices vieux de 40 ans. A leur suite, des jeunes démunis à la recherche d’objets recyclables, raclent le sol de leurs semelles usées vers les montagnes de détritus. Les quelques habitants que nous rencontrons à l’entrée du village, portent des cache-nez. Devant les baraques qui s’y trouvent, des piles de sacs remplis de bouteilles et de bidons déjà utilisés, rappellent le commerce informel qui prospère autour du vieux dépotoir. Ils rappellent surtout que rien n’a changé ici depuis la visite de l’ex-ministre de la Salubrité urbaine, il y a près d’un an. Ce jour-là, Anne-Désiré Ouloto avait promis la fermeture de la décharge à la date du 31 décembre 2012. Se voulant rassurante, la porte-parole du gouvernement avait même payé à la chefferie d’Akouedo, 50 millions de FCFA comme indemnité pour l’hébergement de la décharge. Soit une somme de 5 millions de FCFA par mois. « Dorénavant, avait-elle dit, vous aurez vos 5 millions tous les mois ». En plus de cette bonne nouvelle, le Fonds de financement des programmes de la salubrité urbaine (Ffpsu) avait été mis en place. Ils seraient approvisionnés d’un montant annuel de 15 millions de FCFA pour la prise en charge scolaire des enfants du village. Une manne qui avait arraché le sourire à Akouani Hyppolyte, secrétaire général de la chefferie. Plus d’un an après, c’est un rictus qui a remplacé le sourire. Présentement, le notable du village et ses congénères sont plongés dans les négociations houleuses avec le préfet d’Abidjan, le ministère de l’Environnement, de la salubrité urbaine et du développement durable. C’est que les choses vont mal. Même si Akouani Hyppolyte refuse tout commentaire pour laisser, dit-il, la chance aux discussions d’aboutir, tout le monde n’a pas la langue dans la poche à Akouédo. « Depuis janvier, le loyer de 5 millions de FCFA que l’Etat nous doit n’est pas versé », note un notable du village rencontré cet après-midi. Les arriérés, selon lui, sont revenus au montant initial : environ 40 millions de FCFA. Alors que les fêtes de fin d’année sont déjà là, ils broient du noir. « Nous nous demandons comment est-ce que nous allons fêter ». Quand on ajoute ce désagrément au report de la fermeture de la décharge, c’est la désillusion totale. En attendant de s’accorder sur le payement des arriérés, et définir un nouveau chronogramme pour la décharge, beaucoup comme Marcelin Adepo se sont fait une raison. « C’est grâce à cette décharge que le village se développe en partie parce que le gouvernement nous verse des dédommagements. C’est sûr que certains ne veulent pas qu’elle soit fermée. Cela leur couperait les vivres », note ce vigile qui habite le quartier. Il veut s’étrangler de colère quand on lui parle de négociation. « Notre situation n’intéresse pas les autorités», vocifère-t-il. Contrairement à lui, Roger Depry y croyait dur comme fer. Cet agent commercial qui loge dans le sous-quartier a suivi de près la progression du dossier Akouédo. « Aucun gouvernement ne nous avait autant rassuré. Nous étions sûrs du respect des engagements», note-t-il. Jusqu’à ce que tout commence à s’effondrer dans sa tête à partir de juin 2012. « On était à six mois de l’échéance et aucune des dispositions indispensables à la fermeture de la décharge n’avait encore été prise ». Il veut parler des centres d’enfouissement qui en était encore au stade de théorie. Ainsi que les centres de groupage et de tri recherchés. L’appel d’offres pour la construction d’usines de valorisation et de recyclage des ordures ménagères n’a pas arrangé les choses. Au contraire, c’est lui qui va tout bloquer définitivement avec des anomalies dans le dossier. Pour Mathieu Gogoua, un des villageois, la ramification du ministère de la Salubrité urbaine à celui de l’Environnement est le signe que le cas Akouedo sera réétudié. « Notre problème risque d’être relégués au second plan. Quand Anne-Ouloto remettait les dossiers, il y avait encore beaucoup de travail à faire », ajoute-t-il. Aujourd’hui, une question brûle toutes les lèvres : quel est le nouveau plan que le ministre Allah Remis a tracé pour Akouédo?
Raphaël Tanoh
Encadré
Comment les ordures sont gérées
Toute une batterie d’actions était censée entériner la fermeture de la décharge d’Akouédo. Parmi elles, une sensibilisation massive de la population sur l’ « opération villes propres ». Elle devait mettre fin aux dépôts sauvages. Mais il fallait surtout une politique durable de gestion des ordures. Ce qui incluait la construction de centres de groupage et de tri. La création de décharges et de centre d’enfouissement technique. Pour Abidjan, il était prévu la réalisation de 25 centres de groupage et de tri. L’appel d’offre pour la construction d’usines de valorisation et de recyclage des ordures ménagères devait parachever tout le processus. Mais lorsque l’ex-ministre de la Salubrité urbaine remettait les dossiers à son homologue Remis Allah Kouadio, on en était à environ 8 centres de groupages localisés sur les 25. A peine trois étaient exploitables. L’appel d’offres restreintes bloqué par la direction générale des marchés public pour non respect des procédures, est pour l’instant perdu dans les piles de dossiers reçu par le ministre Remis Allah Kouadio. Prudente sur le dossier, Anne Ouloto avait adopté une tactique bien payante: le silence radio. En attendant de voir se concrétiser un jour ce système révolutionnaire de gestion des ordures, on fait avec ce qu’il y a. La dizaine de structures spécialisées dans les enlèvements d’ordures à Abidjan, relient la décharge d’Akouédo aux dépôts sauvages. Les autorités se sont bien assurées de payer leurs arriérés. Et grâce au Programme présidentiel d’urgence (Ppu), la ville parvient à garder une relative propreté. L’Agence nationale de salubrité urbaine (Anasur) avec derrière elles une horde d’Ong, se charge de la sensibilisation. Elle assure. Mais le grand rêve des Abidjanais de voir un jour ces révolutionnaires centres d’enfouissement a été mis à la corbeille. Reste à savoir quand il sera restauré.
RT
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