VIOLONS: QUE VALENT LES AVEUX SOUS LA TORTURE?
Procès verbaux suspicieux, prévenus
maltraités…Au moment où la Côte d’Ivoire amorce peu à peu la phase de l’Etat de
droit, les procédures policières
restent encore rouillées.
« Vous
avez déjà fait de la
prison ? », demande la magistrate.
« Non, Mme la juge », répond l’accusé. Alors, elle lui
signifie que c’est le contraire qui est mentionné dans le procès verbal.
Explication du prévenu : «ce jour-là, on m’a tellement tabassé à la police
que je leur ai dit ça…» Nous sommes le vendredi 6 août 2011. Dans la
chaleur d’un après-midi épuisant, le tribunal des flagrants délits du Plateau
tente de démêler cette affaire de vol d’ustensiles de cuisine classée dans le
dossier N°16 du jour. L’accusé, Traoré Mohamed, ressemble à un personnage
hilarant tiré d’une pièce de théâtre satirique. Tellement il parle de son
malheur avec humour. Sa tête est scotchée de sparadraps. Il écopera d’un mois d’emprisonnement
ferme. Mais il a eu le temps de dire à
la juge que les policiers l’avaient battu à tel point qu’il leur a dit des choses fabriquées de toutes pièces. Sa
remarque passera inaperçue. Comme celle de bien d’autres prévenus qui seront
conduits dans cette salle avec des blessures occasionnées pendant leurs
interrogatoires. Les plus courageux ont essayé de le signaler au tribunal.
Certains, avec plus de détails : la douleur était si insoutenable qu’ils
ont reconnu les faits sans être coupables. On se souvient de Ouattara Seydou,
jugé le 25 juin 2012 pour vente de drogue. Les flics l’ont obligé, selon lui, à
dire que c’est lui le dealer. Il sera cependant relaxé. Dans la même veine, le
tribunal a laissé partir, le 18 janvier 2012, 14 personnes conduites à la barre
pour consommation de cannabis. Parmi elles, des prévenus mal en point. Ils n’auront leur salut que
grâce à un procès verbal (pv) très confus.
Des prévenus tabassés à la police
Ces
faits sont légions en flagrants délits. Des prévenus battus, des aveux arrachés
sous le coup de la force…Mais que valent ces allégations? Et pourquoi le
tribunal reste-t-il impuissant devant ce phénomène qui va crescendo? Des
spécialistes veulent bien se pencher sur la question. « Si d’aventure, il
est constaté que les déclarations qui ont été faites par le prévenu dans le pv,
ont été obtenues sous le coup d’une torture quelconque, le pv est déclaré nul.
Mais l’avocat ou le prévenu doivent avoir des éléments le prouvant», note Me
Abdoulaye Méité du cabinet de Me Beno Kouamé Lambert. Le problème n’est pas
pour autant résolu. Comment prouver de tels actes? Pour l’instant, la technique trouvée semble
limitée: « pour éviter les manquements, on permet aux avocats d’assister
leurs prévenus à la police et à la gendarmerie au cours de l’enquête
préliminaire », ajoute l’avocat. Mais combien de prévenus se font assister
par un avocat pendant l’interrogatoire à la police ? Me Méité le sait, le taux est faible.
« C’est parce qu’on sait que la torture existe que la valeur qu’on donne
au procès verbal sert de simple renseignements », tente-t-il d’expliquer.
Le problème, c’est qu’en flagrants délits, il n’y a pas d’instruction. C’est
une comparution immédiate, selon l’homme de droit, les affaires étant réputées
claires. Alors, le juge et le procureur fondent en grande partie leur jugement
sur le pv. Sachant qu’on peut arrêter un innocent et lui attribuer des faits
qui ne sont pas les seins.
Une législation limitée
Il
y a donc lieu de s’inquiéter quand on sait que ce contenu peut être obtenu par
la torture. Selon Doumbia Yacouba, président du Mouvement ivoirien des droits
de l’homme (Midh), plusieurs cas d’aveux arrachés sous la torture leur ont été
signalés à Grand Béréby. Souvent, ce sont des militaires qui en sont à la base.
Oued Elie Aly, président de l’association Monique
Barnet au service des prisonniers (Ambsp) connait le phénomène. Son ong s’occupe de l’assistance judiciaire et
psycho-sociale et de la réinsertion des détenus. « La police criminelle a
une base en zone 4, affirme-t-il. Une fois que vous êtes conduit là-bas, que
vous soyez coupable ou pas, on vous frappe jusqu’à ce que vous reconnaissiez
les faits ». Selon lui, les détenus
qu’il suit à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) lui font des
tristes témoignages sur ces cas de tortures. « Quand ils viennent à la
Maca, ils ont des cicatrices sur le dos», ajoute le responsable d’Ong.
Pourtant, les textes sont clairs. « La torture sous toutes les formes est
bannie et interdite. Les agents de police sont obligés, dans le cadre de leur
exercice, de ne pas user de violence, à plus forte raison, pendant les
interrogatoires », indique un avocat du barreau, sous l’anonymat. Que
risquent ces agents de police ou les gendarmes qui se livrent à de tels
actes ? Mystère et boule de gomme. A la police, on semble plutôt ignorer
la question. Du moins, au dire d’une source bien implantée que nous avons jointe : « nous
n’avons pas connaissance de tels actes. Alors, nous ne pouvons pas nous
prononcer là-dessus.» Quoi que les policiers ne sont pas étrangers à ces faits.
La plupart de ceux qui ont voulu se prononcer sur le sujet ont une philosophie
bien simpliste : même si vous prenez un voleur sur les faits, il vous dira
que ce n’est pas lui. Il faut souvent le secouer pour qu’il avoue.
Raphaël
Tanoh
Leg :
Plusieurs présumés innocents reconnaissent les faits sous la torture.
Encadré
1
Il
faut former les policiers
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