portrait: MONSIEUR ET MADAME, DJOSSEUR DE NAMA




On connaît des hommes gardiens de véhicules dans les parkings, communément appelés « djosseurs de nama ». On a vu, quelques rares fois, des femmes essayer de le faire. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un couple marié en train de se livrer à ce métier peu commode.

« Venez, y a place !...C’est quitté-garanti !...Madame, garez ici… » Une jolie femme vêtue d’un corsage tendancieux avec une longue jupe en pagne, essaye de faire stationner un véhicule sur un petit parking de l’avenue  Terrasson de Fougère, au Plateau, en face de la direction générale du Trésor public. Quatre personnes sur cinq la prendraient facilement pour une employée du coin qui veut juste aider un nouveau chauffeur à garer.  Mais la cinquième personne ferait attention à ses grands gestes caractéristiques du djosseur de nama et à son vocabulaire typique au métier. Un type maigre qui porte une chemise bleue défraichie avec un pantalon mal entretenu,  vient lui donner un coup de main. Avec lui, on ne risque pas de se tromper. « Ya pas drap, la tantie, faut serrer !... », lance-t-il avec une voix de saoulard. L’usager finit par garer dans le parking entre des véhicules. Sous un soleil de plomb, ce mercredi, la femme brave des véhicules sur la chaussée et se dépêche vers une  autre voiture qui cherche à garer. « Monsieur, ici…», dit-elle en faisant des gestes de la main. Des « djosseurs de nama » qui tiennent leur parking à dix mètres, au bord de l’avenue Terrasson de Fougère, accourent également. Une petite dispute éclate, car, chacun veut guider le « client » vers son parking. Finalement, le véhicule va stationner dans un autre parking appartenant à un homme d’affaires et géré par un vigile. Essoufflée, la femme vient à l’ombre, près d’une vigie qui se trouve devant leur parking. Elle boitille légèrement. Le « djosseur de nama » à la chemise bleue vient à côté d’elle. Il allume une cigarette, peinard, et tire de longues bouffées de fumée.



Un couple étonnant

 C’est le moment de faire connaissance. La femme se nomme Doriane Djamira Guiraud. Elle a 33 ans. Le monsieur s’appelle Hamed Traoré dit « Abobolais », il a déjà soufflé 40 bougies. Ce qu’il faut savoir sur « Abobolais », c’est qu’il a bossé avec le plus célèbre des « djosseurs de nama » : Roche-Bi. Et qu’il a un faible pour l’alcool et les clopes. Ce vétéran et Doriane ne sont pas que des associés. Ils vivent ensemble depuis plus de deux ans. Mariés ? Le couple répond par l’affirmatif. Même si nous pensons que c’est juste du concubinage. Cependant, rien qu’à les observer, leur union ressemble à un amalgame. Madame est soignée, très respectueuse avec un français limpide, alors que monsieur est, lui, mal vêtu, l’air insouciant et plutôt crâne brûlé. Ce qui peut amener beaucoup de personnes à s’interroger sur la façon dont ils se sont rencontrés. Doriane à toutes les séquences en tête. « Je faisais du commerce à Ouagadougou, mais ça n’allait pas du tout.  Alors, en 2009, je suis venue à Abidjan chez mes parents. Je ne voulais pas habiter avec eux, je suis donc allée chez un ami. C’est là-bas que j’ai connu Hamed, parce qu’il venait à la maison voir mon ami». C’est   le coup de foudre. En quelques semaines, elle prend une grossesse. Dans l’incapacité de s’occuper du futur gosse, « Abobolais » a une idée : pourquoi ne pas venir avec lui au Plateau, là où il tient un petit parking de quatre places. Peut-être que si des usagers voient sa grossesse, ils peuvent avoir pitié d’elle et lui donner quelques pièces. Le résultat dépasse de loin leur espérance. « Au début, je me contentais de venir m’asseoir au parking et je l’observais travailler avec ma grossesse. Il arrivait souvent qu’il s’absente. Puis, un jour j’ai essayé de faire garer un véhicule», se souvient Doriane. L’usager en question, voyant une femme enceinte se livrer à cette besogne, a pitié et lui donne un billet de banque. C’était   son premier « gué » (gain, dans leur jargon). « Après cela, j’ai continué. Certains me donnaient jusqu’à 10.000 Fcfa. Ils me demandaient de faire le carnet de ma fille avec ou d’aller faire mon échographie… » La voilà devenue « djosseuse de nama » malgré elle. Mais les autres « djosseurs de nama » qui tiennent leur parking à côté, ne  voient pas cela d’un bon œil. La raison en est simple : avant l’arrivée de Doriane, ils  apportaient souvent des clients à « Abobolais », qui, en retour partageait le « gué » avec eux. La nouvelle arrivante est donc venue « gâter » leur « mangement » (gagne pain).  « Il y a eu de la bagarre entre certains et moi à cause de cela », se souvient Hamed Traoré. Mais, un jour, ils ont fini par accepter la présence de Doriane.  Toutefois, ce n’est pas tout le monde qui accepte de la voir faire ce travail.  Des travailleurs qui viennent garer leurs véhicules, la traitent de tous les noms, même si le phénomène a diminué par rapport à ses débuts. Ah, ses débuts! Elle se souvient encore de ces dames au volant, horrifiées de la voir faire ce métier avilissant. Quelques unes qui ne tenaient pas le coup, lui lançaient au visage: « tu devrais avoir honte, ce n’est pas un métier de femme ; vas faire autre chose…» Quant à ses parents, ils lui ont carrément tourné le dos. Pourtant, selon ses dires, ils ne font rien pour lui proposer autre chose. Alors, elle reste « djosseuse de nama ». « J’étais timide quand je débutais, mais, aujourd’hui, je suis une passionnée», fait-elle savoir. Pour ce qui est d’Hamed Traoré, il y a longtemps que ses parents ne lui adressent plus la parole. Ils pensent, selon lui, que c’est un métier de voyous.


« Je suis une passionnée »

Pendant qu’ils racontent leur histoire, un monsieur sort du siège d’une banque à côté et s’approche de son véhicule qu’il a garé dans le parking de quatre places que monsieur et madame Traoré gèrent. Doriane se dépêche vers lui en boitillant. Elle l’aide à sortir du lieu de stationnement. Le type lui donne un billet de 1.000 Fcfa. Elle revient clopin-clopant. Elle expliquera plus tard que cette démarche est due à une poliomyélite qu’elle a eue lorsqu’elle était enfant. « Vous voyez, celui-là a été gentil. Il  m’a donné 1.000 Fcfa », dit-elle, heureuse quand elle revient à l’ombre. Depuis ce matin, c’est son premier « gué ».  « Ça ne sort pas, aujourd’hui», explique-t-elle. Traduction : les gens qui ont garé leurs véhicules dans leur parking, ne les reprennent pas vite. Or, c’est à la reprise du véhicule  qu’ils peuvent espérer avoir de l’argent. Le parking étant restreint, il faut que ceux qui garent, repartent vite pour que d’autres personnes puissent venir stationner. « En plus, ce n’est pas tout le monde qui paye. Et nous ne pouvons pas obliger quelqu’un à le faire», explique Traoré Hamed. Avec ces temps de vache maigre, ils s’en sortent chacun avec  2.000 Fcfa par jour. Pendant les fins de mois, les gains augmentent jusqu’à 5.000 Fcfa, la journée. Un salaire quotidien qui leur permet à peine de payer le loyer de la baraque qu’ils louent dans un quartier précaire près du zoo. Et de s’occuper de leurs deux enfants. Deux filles.  La première a quatre ans, la seconde, deux ans. « Le métier de « djosseur de nama » ne rapporte plus comme dans les années 1990 », se souvient Hamed. Ironie du sort, Doriane lui dame le pion, lui le vétéran. Pour se consoler, il pense que c’est parce que les gens ont beaucoup plus pitié des femmes. Mais sa concubine a une autre explication : « les femmes réussissent mieux dans l’aventure ». Une aventure qui n’a pas toujours le type de dénouement heureux que celui de Roch-Bi, devenu artiste chanteur. « Aujourd’hui, avec les enfants, nous avons tous les problèmes », en témoigne Doriane. Déjà préoccupés à survivre, il leur est difficile de s’occuper de la santé de leurs enfants. « L’aînée est malade », note la femme. Elle ignore de quoi est-ce que la fillette souffre parce qu’elle n’a pas les moyens de l’envoyer à l’hôpital. Elle sait seulement que l’enfant n’a plus l’appétit et maigrit de jour en jour. « Il lui faudra ensuite aller à l’école. Nous avons déjà écrit au directeur général du Trésor, Koné Adama, pour qu’il nous aide. Mais les lettres ne sont jamais arrivées. Certaines personnes les interceptent», signale Doriane. Elle demande l’aide de la Première dame. Pendant qu’Hamed court vers un « nama » (voiture) pour le faire garer, sa femme s’occupe de faire sortir un « client » du parking. Comme Mrs et Mr Smith (le film de Doug Liman), monsieur et madame « djosseurs de nama » s’aiment mais ont leur petite querelle de…bosseurs : à chacun son « gué ». 
Raphael Tanoh
Leg : Monsieur et madame Traoré, en train de faire garer un véhicule.

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