Diplômés et sans-emploi rançonnés: 60.000 FCFA POUR UN STAGE
Depuis un certain temps, des entreprises
font payer le stage aux jeunes diplômés.
Une pratique qui va crescendo à cause du nombre sans cesse croissant de sans
emploi en Côte d’Ivoire. Enquête
En
plus des rayons ardents du soleil, il faut supporter le bouillonnement des activités
aux abords de la route. Nous sommes à Koumassi, non loin du grand carrefour.
Sur le trottoir, derrière des box de commerce, le siège de L.Techno. C’est une
petite boîte de vente de matériels informatiques. En tout cas, c’est ce disent les
informations que nous avons reçues par e-mail. Nous avons aussi joint par
téléphone un responsable de la structure. C’est lui qui nous reçoit dans une
petite pièce fouettée par l’air glacial d’un vieux climatiseur. « Nouvelle
du matin ?». Après présentation, il comprend que nous nous étions parlé au téléphone.
Quelques jours plus tôt, nous avions vu son annonce dans un quotidien de la
place. Et des jeunes diplômés qui étaient
allés vers lui avaient attiré notre attention sur ses pratiques peu orthodoxes.
C’est donc en connaissance de cause que nous arrivons devant lui. Monsieur
L.P., appelons-le ainsi, pense avoir affaire à un de ces jeunes étudiants
fraîchement diplômés et à la recherche de stage. Après quelques échanges cordiaux,
il fixe sans faux fuyants les conditions pour avoir un stage à L.Techno. Il
faut, évidemment, fournir les dossiers, ensuite,
il faut y adjoindre la somme de 25.000
Fcfa. Nous faisons semblant d’être surpris. Pourquoi cette somme ? Habitué,
sans doute, à ce type de question, il répond très à l’aise. « C’est
le coût des annonces que nous faisons dans les journaux que nous essayons de
rattraper ». Vu notre insistance, il rappelle que les entreprises qui
offrent du stage sont maintenant rares.
L.
Techno n’est pas la seule structure à se livrer à ce type de pratique. Soro
Mamadou, le secrétaire général de la Centrale syndical humanisme a déjà recensé
des cas au sein de son organisation. Une pratique qu’il a trouvée aberrant.
Mais quand il s’est agit de nous mettre en contact avec les structures en
question, le Sg a noté que les responsables avaient changé d’avis. Moussa
Diakité, un étudiant domicilié au Plateau Dokui a été confronté à ce type
de cas alors qu’il cherchait un stage pour valider son brevet de technicien
supérieur (Bts) qu’il a décroché l’an dernier : « un ami m’a dirigé
vers une structure de vente d’articles divers, située à Cocody-Angré. Quand je
suis allé déposer mes dossiers, l’un des responsables m’a demandé de payer
30.000 Fcfa. Je ne savais où trouver cet argent. Alors, j’ai abandonné ».
Ce jeune étudiant n’a pas encore eu le stage. Chose curieuse, l’envie lui prend
souvent d’aller voir cette boîte et payer la somme demandée afin de valider son
diplôme. « C’est dur d’avoir un stage, aujourd’hui. Et ces structures qui
le savent en profitent pour nous prendre
de l’argent », indique-t-il. L’affaire est devenue si fructueuse que
certains supermarchés dans la zone sont entrés dans la danse. Ils ne prennent plus de stagiaires sans sous.
Les sommes varient entre 20.000 F et 25.000 Fcfa. Les cabinets de placement profitent bien de
la situation. Ces petites structures qui opèrent souvent dans l’informel, pullulent
au Dokui. Nous avons réussi à prendre contact avec l’une d’elle. Son nom, « Cabinet
Emplois-jeunes ». Ils tiennent un semblant de siège au Mahou, dans
l’immeuble Djinkaro. Ce matin, c’est un agent serviable qui nous accueille. Il nous fait monter dans une petite pièce simplement
aménagée au quatrième étage. Derrière une table, un autre homme nous reçoit. Nous
lui expliquons que nous sommes à la recherche de stage académique pour valider
notre diplôme de Bts. Il nous rassure avec sourire que nous avons frappé à la
bonne porte. Mais le service est payant. Il faut en plus des dossiers la somme
de 60.000 Fcfa. Ils sont en contact, dit-il, avec des entreprises qui ont leur part dans l’affaire. Lesquelles ?
Il n’en dit pas plus. « Déposez les dossiers plus l’argent, nous vous
ferrons appel lorsque nous trouverons le stage », note-t-il. L’affaire est
sûre à l’entendre. Au plus, trois mois, le stage est trouvé. Nous lui promettons
de revenir avec les dossiers et surtout l’argent. La pratique soulève la
polémique. Les jeunes diplômés qui doivent coûte que coûte valider leur stage,
sont les plus touchés. « J’ai eu
mon Bts, il y a deux ans, et je n’ai pas encore eu de stage. Si cela continue
comme, je serai obligé de payer un stage»,
indique Djakaridja Ouattara, un ancien étudiant de l’Institut supérieur Adama
Sanogo.
Raphaël
Tanoh
Légende :
Les stages payants, une autre douleur pour les jeunes diplômés.
Encadré
1
Vide juridique
La
pratique est de loin aberrante. Mais en est-elle pour autant sanctionnable ?
Brou Jean, président d’honneur de l’Association pour la formation et le
développement des ressources humaines est précis sur la question. « Il n’y a pas de textes en la matière
qui interdisent une entreprise de faire payer le stage à ses stagiaires ».
Mais, selon lui, cela pose un problème d’éthique et de morale : « l’entreprise
a une vocation qui n’est pas la formation. Donc, elle ne doit pas faire payer
le stage au jeunes stagiaires.» Des
mesures peuvent-elles être prises pour interdire ce type de pratique ? La
réponse de M. Brou est claire : « Des entreprises peuvent décider d’offrir
des stages moyennant de l’argent. Si on prend des mesures pour les sanctionner,
cela devient un autre problème. Imaginez que pour cela, ces structures refusent
d’offrir le stage »
R.T
Encadré
2
L’Autorité indignée
Le
conseiller technique du directeur de l’Agence d’étude et de promotion de
l’emploi (Agepe) est remonté contre ces pratiques d’un autre âge. M. Antoine
Godé. Selon lui, l’Agepe est régie par les textes sur l’emploi, dont les conventions
de l’Organisation internationale du travail (Oit). Il cite la convention 088 sur le service public de l’emploi qui
interdit à tous les services publics de l’emploi de faire payer les prestations
aux stagiaires. Cela fait partie des services
publics, dit-il. Il existe, poursuit-il, une autre convention sur les cabinets
de placement. Ceux-ci doivent obligatoirement obtenir l’agrément de l‘Etat
avant de se lancer dans ce type d’activité. Et c’est l’Agepe, au nom de du
ministère de l’emploi de la solidarité et des affaires sociales, qui délivre
ces agréments. Le constat est que beaucoup de cabinets ne se conforment pas aux
règles. Une fois l’agrément obtenu, il est normal qu’un cabinet fasse des
profits en aidant les jeunes à avoir de l’emploi ou un stage. Mais il reconnaît
que les textes sont muets concernant
certains aspects des liens entre les stagiaires et l’employeur. Ce qui favorise certains abus. Il pose lui
relève question d’éthique. « Il
n’est pas normal qu’on fasse payer de l’argent à un stagiaire sachant bien
qu’il ne travaille pas », note-t-il. La question est si pertinente,
dit-il, que l’Agepe a tenu des réunions avec les centrales syndicales pour en
discuter.
R.T
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