Contrôleurs de la Sotra: CES MAL-AIMES




La Société de transport abidjanais (Sotra) gère par jour plus d’un million de clients. En majorité des étudiants et élèves. Pour lutter contre les fraudeurs de bus, cette structure a créé une douzaine d’unités de contrôle comportant chacune cinq contrôleurs. Mais chaque jour de travail est une épreuve pour ces agents. Reportage.


En voyant le bus 85 arriver, l’équipe de contrôle de la Sotra qui attend à l’arrêt, devant la Sodemi (Cocody), a conscience qu’elle aura du fil à retordre. C’est un bus assez sollicité par les étudiants de l’université de Cocody. Il est 8h, les autobus sont bondés à cette heure de la journée. L’articulé (long bus) freine, son corps penché sous le poids des passagers (plusieurs centaines de passagers) tangue, puis, s’immobilise à l’arrêt. Des cris s’élèvent aussitôt de l’intérieur, à la vue de la fourgonnette de contrôle de la Sotra garée sur le trottoir. « Eh ! Nous avons déjà été contrôlés», scandent des jeunes dans le véhicule de transport commun. Au sol, l’équipe de contrôle se prépare. Dirigée par le chef de groupe, Tia Sédé, elle est composée des contrôleurs Koffi Yapo, Kouamé Yao Léopold, Tano Amon et Essoh Etienne. Deux agents de police complètent l’équipe à 7 personnes. Mais ce mercredi est un jour spécial: le directeur de l’exploitation commerciale de la Sotra, Patrice Aka en personne, est présent pour superviser l'opération. Il est secondé par Biti Nestor, le chef de service contrôle Sotra. Ces deux personnalités ne sont pas des hommes de terrain. Leur présence ce jour, entre dans le cadre d’une visite- surprise. L’unité de contrôle se limite normalement à cinq contrôleurs et à deux agents de police.

Des passagers opposés au contrôle

Le chauffeur du bus attend que les contrôleurs se positionnent deux à deux à l’entrée de la portière du milieu et de celle à l’arrière du bus. La porte qui se trouve de son côté est automatiquement condamnée. L’un des policiers passe de l’autre côté de l’autobus. Juste, au cas où un fraudeur tenterait de s’échapper par la fenêtre. Dès l’ouverture des portes, des passagers se bousculent à la sortie. Les contrôleurs font un rempart de leur corps . Avant de descendre, il faut d’abord montrer le ticket ou la carte de bus accompagnée de la pièce d’identité du passager. La carte ne comportant pas de photo, il faut qu’elle soit accompagnée de la pièce d’identité du passager pour justifier qu’il n’a pas pris le titre de transport de quelqu’un d’autre. Bref, c’est la routine. Cependant, dans la pratique, les choses ne sont pas aussi simples. «Vous, le ticket…Vous là-bas, la carte de bus…Votre pièce d’identité…» Alors qu’à chaque porte, un contrôleur est chargé de vérifier les documents de ceux qui descendent du bus à cet arrêt, les deux autres entrent dans le véhicule bondé de monde pour vérifier les titres de transport. Ils n’y sont pas les bienvenus. Des passagers ne font aucun effort pour leur laisser le passage. « Puisqu’on vous dit que nous avons déjà été contrôlés… Eh ! Mais doucement, il n’y a pas de fraudeur dans le bus…» Les agents de la Sotra ne font pas attention aux propos désobligeants lancés à leur encontre. Ils continuent de faire leur travail, en jouant des coudes pour avancer dans la masse.

Autorité !
Des altercations fusent à l’entrée du bus. Un des contrôleurs vient d’appréhender un jeune, qui n’a ni carte, ni ticket de bus. Mais il n’a pas le droit de l’arrêter en tant que contrôleur, seule la police Sotra jouit de cette compétence. «Autorité ! », lance-t-il. C’est le code pour faire appel à la police Sotra. Un policier vient saisir le jeune fraudeur. C’est toute une bataille pour le conduire à la fourgonnette, de couleur verte et blanche garée à dix mètres du bus. Le fraudeur, farouchement opposé à son «expulsion», bouscule l’agent de police pour tenter de lui échapper. Un contrôleur vient lui donner un coup de main. Ensemble, ils soulèvent le jeune, la vingtaine, et le conduisent à l’arrière de la fourgonnette qui sert de cachot. Elle est munie de grille à petites mailles pour empêcher toutes tentatives d’évasion. Pendant qu’on installe difficilement le fraudeur dans son nouveau bahut, le contrôle se poursuit dans le 85. Bientôt d’autres altercations s’élèvent à l’intérieur de l’articulé. «Autorité !»: un autre fraudeur vient d’être pris. Le délai de validité de sa carte de bus est passé et il n’a pas de titre de transport. Celui-là est un dur à cuire. Pour le conduire à la fourgonnette, il faut presque le double de l’effort fourni pour y emmener le premier fraudeur. Il traîne de tout son long au sol, joue des coudes pour se libérer. Le policier prend des coups dans la foulée. L’autre agent de police vient l’aider. Ils soulèvent le jeune. Ce dernier se débat comme un beau diable. A l’entrée de la fourgonnette, il s’agrippe aux barres de la porte. Pas facile de détacher ses mains. Et quand les agents y arrivent enfin, l'infortuné se sert  de ses jambes pour s’accrocher à la porte. Pas question qu’il entre dans ce trou à grilles! Mais c’est sous-estimer la détermination des contrôleurs à faire leur boulot, contre vents et marées, surtout en présence de leur patron. On le met dans la cellule manu militari.

La révolte des étudiants

Le directeur de l’exploitation commerciale regarde avec réserve ses éléments bosser. Soudain, M. Biti, le chef de service contrôle, se sent attirer par tout ce spectacle. Lui qui n'a pas fait de contrôle depuis longtemps. Il ne tient plus devant cette cohue, les harangues, l'adrénaline. L
e chef de service se jette dans la mêlée, pour donner un coup de main aux contrôleurs. Jusque-là, les passagers qui attendent de monter dans le bus après le contrôle, pensent avoir tout vu. Mais un fait va marquer l'opération de ce jour. L’un des contrôleurs qui se trouve à l’intérieur du bus essaye d’aller au fond du véhicule pour vérifier le titre de transport des passagers. Mal lui en prit. «On vous dit qu’il n’y a pas de fraudeur ici !», insiste un étudiant. Ses camarades le soutiennent. Le jeune homme va plus loin. Il barre le passage à l’agent de la Sotra. Ce dernier demande au rebelle son titre de transport. Il n’en a pas. Et l'indélicat ose se justifier : le bus a déjà été contrôlé, par conséquent, le contrôleur n’a rien à faire ici. Une dispute s’en suit. Pendant ce temps, un autre étudiant est arrêté à la sortie du bus. Mais, il a de l’argent pour payer la contravention qui est de 3.000 Fcfa. «Pourquoi tu payes, hein ? Tu trahis la lutte !», lui crient ses camarades. L’autre étudiant rebelle qui n’a pas de titre de transport, ne se laisse pas faire. «Autorité !» Il faut deux policiers plus les contrôleurs eux-mêmes pour le sortir du bus.

Insurrection
Ce n’est pas tout. Ses camarades s’en mêlent. Ils encerclent l’équipe de contrôle. Un étudiant prend la tête de l’insurrection: «Les vieux môgô (les grands frères), il ne bouge pas !» Les contrôleurs ne veulent pas se laisser intimider. Mais ils ont en face d’eux des dizaines d’étudiants très remontés. S’engage alors une bousculade, des injures fusent… Patrice Aka, qui a jusque-là gardé son calme, se sent obligé d’intervenir. Il a cependant du mal à calmer les ardeurs des uns et des autres. D’un côté, ses hommes ne tiennent pas à libérer le fraudeur et de l’autre, les étudiants exigent que leur camarade soit relâché dare-dare. On se dit que les choses ne peuvent pas être pires. Mais tandis que la tension monte, un autre bus arrive à l’arrêt. En voyant la fourgonnette de la Sotra et les échauffourées, des membres de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) qui se trouvent à l’intérieur, mettent pied à terre. Parmi eux, il y a Kouassi Konan, responsable sport et culture de la Fesci à l’université de Cocody. Dès qu’il est informé de ce qui se passe, lui et ses camarades tentent de négocier. En vain. L’équipe de contrôle a été rudoyée, cela, en présence du directeur de l’exploitation commerciale de la Sotra.

Pendant que les membres de la Fesci font des pieds et des mains pour qu’on libère leur ami, la fourgonnette de la Sotra est abandonnée par l’équipe de contrôle, occupée à maîtriser les "réfractaires". Un jeune étudiant qui l'a remarqué , s’en approche discrètement. Il ouvre la porte de la cellule où sont enfermés les fraudeurs et libère un de ses camarades, au grand dam de Patrice Aka.

Un fraudeur s’évade

Le fraudeur qui vient d’être libéré, court comme un dératé pour ne donner aucune chance aux contrôleurs de le rattraper. Son bienfaiteur, qui se prend pour Michael Scofield (l’acteur principal dans la série ‘‘prison break’’), ne fuit pas après son forfait. Il semble fier de lui. L’un des membres de la Fesci le poursuit, l’attrape et lui donne des coups de pieds. Mais le mal est déjà fait. 
Biti Nestor et quelques contrôleurs montent la garde devant la fourgonnette. M. Biti ne cache pas son mécontentement aux membres de la Fesci après cet incident. Pendant ce temps, un des fraudeurs dans la fourgonnette sort son pénis par le trou de l’une des grilles et fait pipi dehors. L’urine manque d’arroser le chef de service contrôle. Tout le monde regarde la scène avec stupéfaction.

C’est finalement près de deux heures que Tia Sédé et ses hommes mettent pour maîtriser la situation et conduire l’«étudiant semeur de trouble» dans la fourgonnette.  Après cette rude épreuve, l’équipe de contrôle passe quelque temps à un arrêt sur le pont du lycée technique. «Autorité !». Un jeune est appréhendé pour avoir utilisé la carte de bus de l’un de ses camarades. Les contrôleurs confisquent le document et le laissent partir. Cela, après lui avoir délivré un papillon. Il lui faudra payer la contravention qui est de 3.000 Fcfa avant de retirer la carte de bus. Le jeune fraudeur a été coopératif. Dans certains cas, les contrôleurs laissent le fraudeur s’en aller quand la faute n’est pas grave, et surtout lorsque celui-ci est respectueux. Ce sont, pour la plupart, des pères de famille.

Reportage réalisé en septembre 2010. 


Raphaël Tanoh




L’hostilité de la population à l’égard des contrôleurs de la Sotra débouche quelquefois, sur des agressions. Les chiffres le prouvent. La scène qui s’est produite à l’arrêt de bus de la Sodemi à Cocody n’est qu’une infime illustration de ce que les contrôleurs vivent au quotidien sur la route. Patrice Aka caricature assez bien la situation: «Un contrôleur de la Sotra appréhende un “gros-bras” dans le bus. Le fraudeur lui dit : écoute, le ticket se trouve dans ma main. Si je l’ouvre que tu ne le trouves pas, tu peux m’arrêter, mais si j’ai mon ticket, je te frappe. Le contrôleur réfléchit et préfère le laisser tranquille. Il demande à un petit juste à côté : Eh ! Petit, où est ton titre de transport ? Le petit lui dit : il est dans la main du gros-bras…» Belle blaque! Mais la situation des contrôleurs sur le terrain fait plutôt frémir. Les 128 contrôleurs que compte la Sotra sont exposés à toutes sortes d’agressions dans l’exercice de leur métier. Tia Sédé en témoigne. Cela fait 22 ans qu’il exerce. Il a eu plusieurs fractures aux doigts lors de ses opérations de contrôle dans le bus. Des bousculades, des bagarres. Il n’est pas le seul dans cette situation. Selon Biti Nestor, le chef du service statistique, la Sotra a enregistré 8 cas d’agressions de contrôleurs en 2010 dont 3 cas de fractures, deux policiers blessés. L’année dernière, les hommes de Philippe Attey ont dénombré 23 cas d’agressions. Ces situations surviennent très souvent sur des lignes de bus fortement fréquentées par les étudiants ou encore, dans des communes à forte fréquentation telles que Yopougon, Abobo. Quelquefois, une véritable rébellion peut s’installer dans le bus à la vue des agents de la Sotra. Des passagers refusent catégoriquement de se faire contrôler. «Dans ces cas, on donne l’autorisation au chauffeur de conduire le bus à la brigade anti-émeute (Bae). Là-bas, tout le monde est contrôlé, ensuite le bus reprend sa trajectoire», explique Koffi Yao, qui a aussi subi des fractures aux doigts. Selon des contôleurs, les échauffourées de ce matin à Cocody ne sont rien comparées à certaines situations qu’ils ont déjà vécues.

 Il y a surtout eu une autre journée folle à Yopougon-sable. Ils avaient arrêté plusieurs fraudeurs dans un bus. Mais des passagers avaient réussi à s’échapper par les fenêtres du bus. Les fuyards sont allés prévenir les passagers d’un autre bus qui venait à cet arrêt. Ceux-ci, furieux de voir que plusieurs de leurs camarades avaient été pris, sont descendus à un arrêt avant le point de contrôle et, se sont armés de pierres et de bois pour agresser les agents de la Sotra en plein contrôle. «Nous avons pris la fuite !», se souvient Tia Sédé. Quand ce ne sont pas les échauffourées avec les étudiants, c’est la population d’un quartier qui se soulève contre eux parce qu’ils ont arrêté une connaissance pour fraude sur le ticket du bus, qui ne coûte que 200 Fcfa. Ces situations empêchent les unités mobiles d’atteindre très souvent leur objectif qui est de faire sept points de contrôle par jour. Plus encore, elles mettent la vie des agents en danger. La plupart d’entre eux sont mariés et sont pères de famille. Chaque jour sur le terrain est un véritable parcours du combattant. Il faut se préparer à toutes éventualités. Les choses se passent comme s’ils menaient une chasse aux sorcières. Kouamé Yao Léopold, indique qu’ils ne font que leur métier. C’est en luttant contre la fraude que la Sotra parviendra à entretenir ses bus et à en acheter d’autres. Si on empêche les agents contrôleurs de faire leur boulot, c’est l’entreprise qui va en pâtir. Et ce sont ces mêmes personnes qui s’opposent aux contrôles qui se plaindront du manque de véhicules de la Sotra.

Raphaël Tanoh





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