FORUM D'ADJAME: LA PROSTITUTION A CIEL OUVERT!


ADJAME, "FORUM DES MARCHES": LA PROSTITUTION A CIEL OUVERT



Le Forum des marchés d'Adjamé est devenu un nid de prostituées. De jour comme de nuit, des jeunes filles y vendent leur corps pour survivre. Nous les avons rencontrées. Reportage.


Sous un soleil peu ardent par ces temps de pluies, il faut se débattre pour avancer. Les vendeurs ambulants disputent la chaussée aux automobilistes. Leurs cris, les bruits des véhicules et la musique jouée dans certains magasins, créent une ambiance particulière. Le «Forum» des marchés, avec ses bâtiments jaunes et ses toitures en dents de scie, est imposant. De l'extérieur, il offre une belle vue. La publicité des produits alimentaires sur la face de l'immeuble séduit. Au rez-de-chaussée: des étals de condiments et des boutiques de vêtements. Entre deux bousculades, on accède aux marches poussiéreuses qui conduisent aux niveaux supérieurs. Il faut enjamber des résidus d'aliments pour continuer. Des jeunes filles assises sur ces marches insalubres guettent les visiteurs qui montent et descendent les escaliers. Au premier étage, des vendeurs installés dans les magasins bavardent. Nous faisons quelques achats. Là aussi de nombreuses jeunes filles se baladent sur les marches. De visu, ce ne sont ni des clientes, ni des vendeuses. Elles sont pleines d'entrain. Ce ne sont ni des commerçantes, ni des clientes. A l'autre bout du bâtiment, au-dessus des vendeurs de poisson, un autre groupe de jeunes filles. L'une d'elle, la vingtaine, visage potelé et excessivement maquillé, nous sourit. Elle porte un décolleté noir qui laisse apparaître son soutien-gorge gonflé. Le pagne bigarré qu'elle porte moule parfaitement ses rondeurs alléchantes. comme elle continue de nous sourire, nous l'approchons. 

2000 FCFA pour une passe

Tout en bavardant, Ami, c'est le nom qu'elle nous donne, montre tout de suite ses intentions. Elle fait signe de se mettre à l'écart. « Grand frère, ce n'est pas cher, 2.000 Fcfa sans capote», dit-elle en mâchant son chewing-gum. Par curiosité, nous jouons le jeu. Il faut trouver un endroit isolé. La jeune fille ne montre aucune gêne. Cette confiance affichée nous encourage à lui demander pourquoi elle se prostitue. Visiblement effrayée par cette question, notre compagne de circonstance essaie de s'éclipser. Un billet d'argent la rassure et elle reste. Ami avoue qu'elle se prostitue pour gagner sa vie, comme toutes les prostituées d'ailleurs. Son lieu de prédilection, ce sont les bâtiments jaunes du «Forum» des marchés d'Adjamé. Ici, elle peut se confondre aux commerçantes. De plus, il y a de la place et un abri à l'étage, où les étals ne sont pas occupés. Avec Ami, il n'y a pas d'heure pour se prostituer. Matin, midi et soir, elle est au Forum des marchés d'Adjamé. Et ce ne sont pas les clients qui manquent. Elle affirme s'en tirer souvent avec 20 000 Fcfa par jour. 


Elles dorment sur des dalles
Voyant les questions se multiplier, notre interlocutrice se sauve pour se fondre dans la masse. Elle a eu le temps de nous montrer d'autres filles qui, comme elle, se prostituent au Forum. C'est le groupe de filles que nous avions vu au départ. Pour les rejoindre, il faut se diriger vers le point de vente des volailles. Elles sont attroupées-là. Certaines mangent sur des tables, d'autres dorment sur des dalles, des barres de fers, où même sur des tables abandonnées. Deux d'entre elles portent des enfants. La première, 20 ans, dit s'appeler Mariam. Son enfant, une fillette de 8 mois, s'appelle Clémentine. A côté d'elle, Aïcha, un peu chétive, a à peine 18 ans. Bedonnante, sans être enceinte, elle tient dans sa main un enfant d'un an. Couchée sur la même table, une autre fille dort. Elle s'appelle Sidibé, selon ses camarades. Mais, tout le monde l'appelle «la vieille». Elle dort la tête posée sur un sachet bleu qui contient des vêtements. Les filles sont méfiantes. Autour d'elles, des cordonniers, des plumeurs de poulets et d'autres jeunes aux allures de voyous rôdent. Ils ont l'air de les surveiller. Nous nous sentons épiés. On les appelle ''bâcôrôman'' (personne sans domicile). Ici, on peut agresser quelqu'un, le voler et disparaître sans être inquiété. 

On les appelle, Bacôrôman

Les jeunes filles devinent notre intention. Et Sidibé se réveille soudain. Une de ses camarades la taquine. Elle lui demande de faire attention, au risque de déchirer sa valise. La valise en question, c'est le sachet bleu qui contient des vêtements. «La vieille» n'a pas de complexe à expliquer qu'elle se balade ainsi avec ses affaires. Nous lui en demandons les raisons. Comme toutes les filles de ce lieu, elle n'a pas de domicile fixe. «On nous appelle Bacôrôman», indique-t-elle. En malinké, cela désigne quelqu'un qui dort là où la nuit le trouve. Selon Sidibé, elles viennent achever leurs nuits sur les tables libres du marché. Que font-elles alors comme activité si elles doivent dormir toute la journée ? Une question qui paraît les embarrasser. Mariam, qui nourrit son bébé à l'attiéké,  garde la tête baissée. Aïcha en profite pour filer à l'anglaise. Seule « la vieille», plus bavarde, continue : «On vend des chocolats, deux à 25 Fcfa et aussi des lotus». Où sont donc ces objets qu'elles disent vendre ? Aucune réponse. En ce moment, une autre fille qui a l'air plus âgée s'approche. Elle est joyeuse. Elle porte aussi un enfant. « Nous sommes dans la même situation », informe Sidibé en la désignant. La fille qui vient de s'ajouter au groupe est grosse, avec un tee-shirt sale et déchiré. Elle se présente sous le nom d'Abiba. La fille qui a pris la conversation en cours, dément: «Aucune d'entre nous ne vend. Que celle qui fait une activité lève le doigt». Les autres rient pour se décomplexer. Abiba, qui n'a pas sa langue dans la poche va plus loin. «Toi, dis-leur ce que tu fais la nuit», lance-t-elle à une fille qui vient de s'ajouter au petit cercle qui s'anime. Elle, c'est Aimée Wangni. Habillée et maquillée de façon extravagante avec des mèches touffues, Aimée se met aussi à rire. Les filles plaisantent, se taquinent. L'ambiance est plutôt cordiale. Sur notre insistance, Abiba raconte qu'elles se prostituent parce qu'elles n'ont pas de métier. « Mais, moi j'ai arrêté parce que j'ai un copain», se dédouane-t-elle. 


Maltraitées

Ayant dévoilé le mystère, Abiba ne laisse pas d'autre choix aux autres filles qui se confessent avec prudence. « Je suis venue d'Odienné pour vivre chez ma tante à Abidjan. Elle me maltraitait, j'ai donc fui la maison», explique la "Vieille". Grâce à une camarade qui est dans ce circuit depuis 3 ans, elle s'est retrouvée en ce lieu. La camarade en question se nomme Salimata. «C'est notre vieille mère», affirme la "Vieille". Elle a connu Salimata à Odienné. Selon elle, dès que celle-ci à su qu'elle était maltraitée par sa tante, elle lui a proposé de venir avec elle pour se prostituer au Forum. Ses parents savent-ils où elle est ? «J'appelle souvent ma mère. Mais, je ne lui ai jamais dit ce que je fais. J'irai la voir quand je serai riche», rêve-t-elle. Pour l'instant, pour s'enrichir, elle n'a qu'une seule voie : vendre son corps à vil prix. Les tarifs varient entre 1.500 et 2.000 Fcfa. De jour comme de nuit, elles se prostituent, tout comme Ami. Abiba, elle, a quitté Séguéla pour rejoindre sa grand-mère à Abidjan. Celle-ci la maltraitait, accuse-t-elle à son tour. «C'est pour cette raison que j'ai quitté la maison pour venir ici», ajoute-t-elle. Même son de cloche chez Mariam, Aïcha et Aimée qui viennent de Ouragahio. Si elles n'ont pas été maltraitées par une tante, c'est une grand-mère ou un oncle qui les haïssait. 

Vieux magasins abandonnés à l'étage
Ici, la prostitution se déroule d'une manière différente. Les filles atteignent la centaine. Le jour, elles essayent de se camoufler comme elles le peuvent. Ce qui explique qu'au Forum , on a l'impression que ce sont des commerçantes ambulantes. Le plus souvent, quand elles ne dorment pas, elles circulent entre les marches des bâtiments, ou bavardent. «Je ne fais rien toute la journée, je dors», jure Abiba. Pourtant, elle arrive à se nourrir et à s'habiller, dit-elle. Celles qui ne dorment pas le jour, sont disponibles pour les hommes. Il suffit de connaître le circuit. «Au Forum, quand vous parlez de bacôrôman, on vous les montre du doigt. A vous de jouer. Si vous voulez aller avec une, vous l'approchez discrètement, elle vous suivra n'importe où, même dans les vieux magasins abandonnés à l'étage», avance Aboulaye C., un vendeur de chaussures qui passe à côté. 


Des enfants

Ces filles ne passent pas la nuit au Forum. «Nous dormons au marché Gouro», affirme Mariam. Au marché Gouro, les "bacôrôman", par centaine, se retrouvent près d'un grand magasin de vente de pagnes, appelé «maison blanche». Un hangar s'y trouve. Le « hangar de Haïdara". Et c'est là qu'elles passent leurs nuits, presqu'à la belle étoile, selon Mariam. Avec son enfant de 8 mois, elle continue d'exercer le plus vieux métier du monde. Dès 19 heures, elles quittent le forum pour le « hangar de Haïdara». «A minuit, les portes gardées par des vigiles sont fermées au cadenas pour être rouvertes à 4 h», ajoute Abiba. Heure à laquelle tout le monde doit quitter le camp pour laisser la place aux commerçants. «Si minuit te trouve dehors, tu dors dehors», précise la "Vieille". Mais, entre 19 h et minuit, beaucoup de choses se passent. Elles se livrent au premier venu. Les clients savent où les trouver. Très souvent, disent-elles, ce sont des personnes respectables qui les abordent. Avec ou sans préservatifs. 

Les nuits sont longues

Les nuits sont longues. Ce qui explique que beaucoup d'entre elles sont obligées de dormir au "Forum" la journée. Cette activité, selon Sidibé, n'est pas sans conséquences. «Nous nous faisons agresser tous les jours par les voyous. C'est pour cela qu'aucune d'entre nous n'a un objet de valeur. Nous sommes aussi victimes de viol», explique Aimée W. Pour se protéger, beaucoup de filles lient amitié avec des voyous. Ceux-ci profitent d'elles. Mais, en contrepartie, ils les protègent contre les agressions et les viols. La prostitution en elle-même à ces conséquences immédiates. «La plupart d'entre nous ont des enfants sans père», raconte la "Vieille". Jusque-là, elle a miraculeusement échappé à cette situation. Mais Mariam, Aïcha, Abiba et les autres ont des gosses à nourrir. Certaines en ont jusqu'à 4. Des enfants sans aucun avenir. D'autres "bacôrôman" envoient leurs enfants chez leurs parents, en inventant n'importe quoi comme excuses  pour les faire accepter là-bas. Mais, de nombreuses filles sont livrées à elles-mêmes. Quelques unes perdent leurs enfants dans des circonstances insoutenables. C'est le cas notamment de Dosso Fatou. La semaine dernière, cette fille a perdu son enfant en plein jour, au Forum. «L'enfant était malade, sans soin», raconte une des filles. Une information confirmée par Diomandé Mamadou, le responsable de la sécurité du Forum. «Cette fille avait reçu des médicaments de la part d'une ONG qui s'occupe des prostituées. Au lieu d'envoyer l'enfant à l'hôpital, elle est allée acheter des canaris pour faire de l'indigénat», explique-t-il. L'enfant qui était mal soigné a succombé dans ses bras, en plein jour. «Quand on l'a interrogée sur ses problèmes, elle a avancé qu'elle avait été chassée par sa tante. Mais, l'une de ses sœurs qui est arrivée ici un jour a démenti cette information. En faite, Dosso vendait pour sa tante. Elle détournait les recettes de la vente. Le jour où on lui a demandé de montrer où elle les cachait, Dosso a déserté les lieux pour toujours», explique Diomandé qui suit ces filles depuis 3 ans. 

C'étaient des pickpockets
La plupart des explications qu'elles avancent pour justifier leurs actes sont fausses, selon lui. «J'ai assisté à l'arrivée de ces filles au Forum. Au début, c'étaient des pickpockets. Elles faisaient semblant de vous aider à transporter vos bagages, puis elles se sauvaient avec. Ensuite, elles ont commencé à se prostituer depuis 3 ans. Il y en a même de 13 ans», explique-t-il. Selon Diomandé, leur nombre sans cesse croissant au "Forum" inquiète. C'est sans espoir pour ce responsable de la sécurité. «Elles prennent des stupéfiants pour exercer leur activité. Plus précisément du "rivo" (ndlr, une drogue dure). C'est difficile de s'en sortir», ajoute-t-il. Le nombre de "bacôrômans" croît d'année en année. Elles sont de plus en plus incontrôlables. Quelques ONG, telle que «Cavoéiquiva» et «Save the Children» tentent de les sortir de ce gouffre. Sans succès. C'est donc un cri d'alerte lancé aux autorités. 
Reportage réalisé en février 2009. 
Raphaël TANOH
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