Interview détective privé
L’histoire d’une interview.
Pour ceux qui peuvent s’en douter, vous avez plus de chance de gagner au loto que de rencontrer un détective privé dans la rue. Malan venait voir ce jour là, tout comme nous, des pare-chocs de bateau qui avaient échoués sur la plage vers Asecna. Il s’est présenté à nous et n’a pas hésité à dévoiler son titre de détective privé étant donné qu’il savait le notre et que ce sont deux professions qui se ressemblent. Tout de suite, nous avons voulu lui faire une interview, vu l’opportunité de la rencontre. Mais, il s’est décliné malgré notre insistance et a proposé d’y réfléchir. Cela faisait bientôt trois semaines que nous attendions impatiemment son coup de fil. Au bureau, le téléphone sonne et c’est lui à la ligne. Il est d’accord. Le détective avait tenu à voir un responsable de l’armée pour être sûr qu’en tant qu’ancien militaire, il pouvait se rependre dans la presse. Le lundi 26, nous prenons rendez-vous à Port-Bouët dans la matinée. Il est bousculé et propose l’après-midi. A 15h, nous allons à la rencontre de Malan devant le 5ème arrondissement de Port-Bouët. Il est ponctuel. A peine descendons-nous de voiture que nous le voyons sortir de nulle part, pressé. Il porte un tee-shirt rouge, fourré dans un Jean bleu ciel. C’est un homme costaud au visage sévère qu’on aurait peur d’approcher. Mais, quand il commence à vous parler, c’est un monsieur sympathique et souriant. Nous prenons rendez-vous dans un maquis de Port-Bouët, au bord de la route pour l’interview.
Interview Malan Agnini, alias Colombo (détective privé)
« J’ai enquêté sur plus de cent cas d’adultères »
Vous avez des doutes sur votre femme ou votre mari, peut être qu’elle (il) vous trompe; vous avez constaté trop de vols dans votre société et vous ignorez qui est le filou ; votre associé a fuit avec l’argent de l’entreprise…ne cherchez plus, Colombo est là à votre service.
Alors, il parait que votre petit nom c’est colombo…
Oui. C’est comme ça qu’on m’appelle. C’est mon nom de détective privé, mais à l’état civil, c’est Malan Agnini.
Depuis quand êtes-vous détective privé?
J’ai commencé mon métier de détective privé en 1994-1995, après avoir quitté l’armée le 31 octobre 1993.
Vous êtes donc ancien militaire…
Oui. Je suis entré dans l’armée le 10 juin 1989. J’ai été affecté au Gatel (Groupement aérien des transports et de liaison) de 1982 à 1983. Cette unité est devenue aujourd’hui base aérien. J’ai ensuite été à la Garde présidentielle de 1983 à 1987. La présidence recrutait des anciens militaires, parce que certains partaient à la retraite. Il y avait en ce moment, en plus de la Garde présidentielle, la Milice. Nous étions sous le commandement du colonel Kouassi Gustave, notre chef de corps qui est aujourd’hui décédé.
Que s’est-il passé pour que vous-vous retrouviez détective privé ?
Un problème avec mon commandant d’unité à la Garde républicaine.
Qu’avez-vous fait?
Je préfère ne pas en parler.
C’est après l’armée que l’idée vous est venue de faire ce métier? Comment s’est fait ce choix si singulier parmi tant d’autres ?
J’ai d’abord essayé de refaire ma vie. Au départ, j’ai voulu rentrer dans la légion française, sans y parvenir. On me demandait de payer assez d’argent. Ma deuxième ambition c’était de devenir détective privé. Je regardais assez les films de détective privé quand j’étais jeune. Vous savez, dans la jeunesse il y a beaucoup de chose qu’on veut imiter.
Depuis votre jeunesse, vous aviez eu cette envie?
Bien sûre. Donc, puisque je ne pouvais pas entrer dans la légion française, le peu d’argent que j’avais, je l’ai pris pour suivre des cours de détective privé par correspondance, jusqu’à un certains moment. Je devais aller ensuite en Belgique pour faire la phase pratique et avoir mon diplôme. Malheureusement, je n’avais pas d’argent, je n’y suis pas allé.
Qu’apprend-on dans les écoles de détective privé ?
Beaucoup de chose. Par exemple, comment faire la filature (une technique de renseignement, réalisée par la surveillance des déplacements d'un individu), comment mener une enquête.
Le faite de n’être pas pu aller en Belgique ne vous a pas découragé ?
Non. Après mes cours, j’étais là. Un jour, j’ai vu dans un journal qu’un détective privé était à la recherche d’un compagnon pour l’aider dans son travail. J’ai pris contact avec lui. C’est lui qui m’a forgé.
Que faisiez-vous comme tâche?
Essentiellement les filatures et les enquêtes pour des particuliers et des entreprises.
Comment cela ce passe, une filature ?
Vous savez, plusieurs hommes ou femmes soupçonnent leur conjoint où leur conjointe de les tromper, de commettre l’adultère. Quelques uns de ceux là qui ont les moyens et qui connaissent notre existence viennent nous voir. Ils nous demandent de faire une filature pour être sûr de leurs soupçons ou de savoir avec qui et où le conjoint ou la conjointe les trompe. C’est monnaie courante.
Comment faites-vous quand monsieur ou madame vient vous voir pour suivre l’autre, soupçonné d’adultère ?
L’intéressé me montre leur domicile. La personne me montre ensuite la femme où le monsieur à suivre, très souvent la photo suffit. A partir de ça, je commence. Je suis la personne avec des appareils sophistiqués, partout où elle rentre et je prends des photos.
Entre les hommes et les femmes qui receviez vous très souvent comme client?
Les hommes.
Des politiciens, des hommes d’affaires…
Non. Des personnes ordinaires qui ont de l’argent.
Avez-vous déjà pris des gens en flagrants délits d’adultère lors de vos enquêtes?
Bien entendu. Assez.
Combien de filature de ce genre avez-vous fait ?
Une centaine. Où l’homme ou la femme soupçonne l’autre d’adultère.
Ça vous prend assez de temps pour faire une filature ?
Au plus une semaine.
Qu’en est-il de l’enquête ?
Elle prend entre un et 6 mois. Le temps est beaucoup plus long parce que si vous enquêtez sur un vol par exemple, il faut prendre le temps pour ne pas se tromper de voleur.
Vous pouvez citer des enquêtes que vous avez déjà eu à faire?
Africycle, par exemple. Une société de pneumatique. Mais, il y a quelques années, je ne sais pas si cette entreprise existe toujours. C’était avant le premier coup d’Etat. Je travaillais déjà pour mon propre compte. Les gens volaient des pneus dans la société. Un responsable de là-bas m’a invité à infiltrer l’entreprise pour attraper le voleur.
Infiltrer une entreprise, on se croirait dans un film ?
Il faut dire que quand on doit mener une enquête dans une entreprise, le premier responsable de la société est informé. Et on vous fait travailler dans la société. Personne ne savait que j’étais dans la société pour ça. Je suis venu me présenter comme quelqu’un qui cherchait du travail. Le boss m’a présenté dans un poste où j’arrangeais les cartons.
Donc, il n’y a qu’un supérieur de l’entreprise qui peut vous inviter à infiltrer sa société. Puisqu’il faut que vous soyez embauché.
C’est ça. En tout cas tous ceux qui peuvent vous faire embaucher.
Avez-vous arrêté le voleur d’Africycle ?
Il s’est dévoilé bien avant et a avoué que c’est lui qui volait les pneus.
Mais, vous avez quand même déjà arrêté plein de voleur.
Le détective ne fait qu’enquêter sur une personne, une fois que c’est bouclé, il fait le compte rendu à celui qui l’a engagé. S’il faut l’arrêter on, appelle la police.
Vous avez un pistolet et une carte de détective ?
Le pistolet, non. Il faut une autorisation. Vous savez, tout le monde peut avoir une arme, il suffit d’avoir une autorisation. Moi, je n’ai pas pu avoir en avoir parce qu’il me fallait présenter un diplôme. Mais j’ai une carte de détective.
Un détective a-t-il le droit de tirer sur un voleur ?
Non.
A part l’infiltration des entreprises vous faites d’autre type d’enquête ?
Bien sûr. Sur les vols d’argent les fugues, etc.
Un exemple.
C’était à Treichville. En janvier 1995. Je travaillais encore avec mon patron. Je suis arrivé un matin au travail, un opérateur économique est venu nous voir. Il a expliqué qu’il avait été grugé par quelqu’un sur une grande somme. Plus de 100 millions de Fcfa. Une plainte était déposée à la brigade de recherche. Mais, finalement c’est nous qui avons réussi à mettre la main sur lui en premier. Il habitait en réalité à la rue 39, à l’ancienne résidence d’Alpha Blondy. Il y venait tardivement et c’était difficile de le voir. J’avais eu le portrait robot, plus des informations que le monsieur nous avait données. Nous l’avons pisté jusqu’à ce jour. Lorsque nous étions sûrs que c’était lui, nous avons appelé la brigade de recherche. Mon patron a monté la garde en bas, je suis monté avec les flics. L’homme ne s’était douté de rien.
Quel a été votre plus grand coup ?
Je l’ai fais au Mali. En 997. Un monsieur est venu me voir. Il était à la recherche de son fils qui s’était enfui au Mali avec son argent. J’ai fais mes passeports et j’y suis allé. Là-bas, j’ai pris contacte avec la gendarmerie malienne pour expliquer les faits. J’avais un guide avec qui le monsieur m’a mis en contacte. Après 45 jours, on a pu mettre la main sur le jeune. La police Malienne l’a arrêté à la suite d’une rixe dans une boite de nuit.
C’était grâce à vous ?
On ne peut pas dire ça à 100%. Nous on le suivait depuis.
Vous êtes modeste. Quand vous faite ce genre d’enquête sur quoi vous-vous basez pour retrouver un homme que vous ne connaissez pas et qui est dans un pays inconnu ? C’est comme chercher une aiguille dans une boite de foin.
Il faut se dire que lorsque qu’un enfant détourne l’argent de ses parents, là où on peut le retrouver c’est dans les bars. On est donc parti sur ce principe au Mali et ça a marché. Mais avant, celui qui nous engage a le temps de donner assez d’information sur la personne sur qui on enquête.
Ce n’est pas assez dangereux ? Ceux sur qui vous enquêtez peuvent vous démasquer et vous faire du mal.
C’est vrai. Mais, vous savez, la Côte d’Ivoire, ce n’est pas dangereux comme certains pays d’Europe ou d’Amérique. Ici, même si vous êtes découvert, vous ne risquez pas grande chose. Et puis, j’aime beaucoup jouer, je joue assez la comédie, et c’est un point fort. En même temps j’en profite pour enquêter.
Combien d’enquête vous avez faits ?
Une trentaine.
Ça se paye, l’enquête?
Non. Entre 600.000 Fcfa et 800.000 Fcfa. L’enquête que j’ai menée au mali a été mon plus grand coup : 1.200.000 Fcfa.
Et la filature ?
La filature est au plus à 300.000 Fcfa.
C’est quand même énorme. C’est étonnant que vous trouviez ça insuffisant ?
Vous savez, il y a les dépenses.
Lesquelles ?
Si vous faite une filature sur une personne par exemple et qu’elle va dans un hôtel, vous devez donner de l’argent au gérant d’hôtel pour qu’il vous livre le numéro de la chambre. Si c’est un bar, vous devez manger ou boire quelque chose. Si c’est un endroit luxueux, les dépenses peuvent être énormes. Il y a aussi le taxi qu’il faut louer pour les filatures, pour une semaine. C’est 32.000 Fcfa la recette. Vous pouvez estimer ce que ça fait, la semaine. Il arrive parfois que la personne que vous suivez soupçonne le taxi. Vous êtes obligé de prendre un véhicule particulier. Et la location c’est entre 30.000 Fcfa et 40.000 Fcfa, par jour. Sans compter le carburant. C’est couteux. Quand vous retirez cela de la paye, il ne reste pas grand-chose.
Les contrats sont réguliers…
C’est périodique. Il y a des moments où le détective ne chôme pas. Il y a par contre d’autre période, où il n’a rien sous la main.
On ne peut pas dire que le métier nourrit son homme ?
Si, si ça se paye bien.
Quels sont vos difficultés ?
C’est surtout dans la filature. Lorsqu’une personne vous demande de suivre son conjoint ou sa conjointe qu’elle soupçonne d’adultère, vous le faites, que ce soit vrai au faux. S’il s’avère que la personne commet l’adultère, vous prenez les photos dans l’hôtel où dans l’appartement de l’amant ou de l’amante. Et vous mettez ces photos à la disposition de celui ou celle qui vous a engagé avec votre numéro de téléphone, votre cachet. Par mégarde, la personne qui vous a engagé peut laisser les photos à la disposition de monsieur ou de madame. Dans ce cas nous recevons des coups de fils de la personne sur qui nous avons fait la filature.
Vous en avez eu des cas ?
Bien entendu. Une fois, j’ai fait une filature pour un homme qui soupçonnait sa femme d’infidélité. Je lui ai donné les photos qu’il a laissées dans le tiroir. Sa femme les a aperçues. Elle m’a joint au téléphone prétextant qu’elle voulait me rencontrer, elle n’a pas dit pourquoi. J’étais loin d’imaginer que c’était l’une des femmes sur qui j’avais fait une filature. Elle a indiqué une buvette au Plateau où nous devrions nous retrouver. Mais, dans le métier on apprend à être vigilant, parce que l’une des personnes sur qui vous avez enquêté peut chercher à vous nuire. Donc, je suis arrivé sur les lieux quelques minutes avant l’heure du rendez-vous. Je me suis positionné à l’entrée. Elle est entrée dans la buvette peu après. Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite tiqué. J’ai attendu 5 mn pour voir si elle ne s’était pas fait accompagner par des loubards. Elle était assise seule à une table et a commandée une sucrerie. Je me suis ensuite approché de sa table pour me présenter. Elle a versé les photos devant moi et j’ai compris.
Elle était furieuse…
Non. Je n’avais fais que mon boulot et elle le savait. Nous avons discuté et elle est repartie. Elle voulait juste me rencontrer.
Vous faites des filatures pour démasquer certains infidèles, êtes-vous marié ?
Je suis marié et père de deux enfants. Je sais, dans d’autre pays ma famille peut être en danger, mais comme je l’ai dit la Côte d’Ivoire n’est pas un pays dangereux.
Quelle est votre collaboration avec la police ?
De très bonnes relations. Il faut dire que je n’ai jamais eu de problème avec la police.
Lors de vos missions, vous les consultez d’abord où vous agissez toujours seuls ?
Je ne les consulte pas. Les filatures, la police n’y a rien à avoir. C’est souvent les enquêtes. Les policiers aiment les détectives, parce qu’ils trouvent que nous leur allégeons la tache.
Quel est la différence entre vous et les renseignements généraux ?
Pas trop de différence. Ce sont des informations que nous apportons. Des informations qui peuvent nuire à la vie d’une personne.
Connaissez-vous d’autres détectives en Côte d’Ivoire ?
Non.
Pourquoi ?
Vous savez, les détectives, ce n’est pas comme les corps habillés où on peut les reconnaître au premier coup d’œil. Si vous ne voyez pas une annonce de détective privé, il est difficile d’en rencontrer.
Vous pensez qu’il y en a assez en Côte d’Ivoire ?
Si. Je vois leurs numéros dans des pancartes.
Et vous, vous aviez arrêté le métier pendant un moment. On suppose que vous reprenez du service.
Ah, ça, oui.
Une interview de Raphaël Tanoh
Pour ceux qui peuvent s’en douter, vous avez plus de chance de gagner au loto que de rencontrer un détective privé dans la rue. Malan venait voir ce jour là, tout comme nous, des pare-chocs de bateau qui avaient échoués sur la plage vers Asecna. Il s’est présenté à nous et n’a pas hésité à dévoiler son titre de détective privé étant donné qu’il savait le notre et que ce sont deux professions qui se ressemblent. Tout de suite, nous avons voulu lui faire une interview, vu l’opportunité de la rencontre. Mais, il s’est décliné malgré notre insistance et a proposé d’y réfléchir. Cela faisait bientôt trois semaines que nous attendions impatiemment son coup de fil. Au bureau, le téléphone sonne et c’est lui à la ligne. Il est d’accord. Le détective avait tenu à voir un responsable de l’armée pour être sûr qu’en tant qu’ancien militaire, il pouvait se rependre dans la presse. Le lundi 26, nous prenons rendez-vous à Port-Bouët dans la matinée. Il est bousculé et propose l’après-midi. A 15h, nous allons à la rencontre de Malan devant le 5ème arrondissement de Port-Bouët. Il est ponctuel. A peine descendons-nous de voiture que nous le voyons sortir de nulle part, pressé. Il porte un tee-shirt rouge, fourré dans un Jean bleu ciel. C’est un homme costaud au visage sévère qu’on aurait peur d’approcher. Mais, quand il commence à vous parler, c’est un monsieur sympathique et souriant. Nous prenons rendez-vous dans un maquis de Port-Bouët, au bord de la route pour l’interview.
Interview Malan Agnini, alias Colombo (détective privé)
« J’ai enquêté sur plus de cent cas d’adultères »
Vous avez des doutes sur votre femme ou votre mari, peut être qu’elle (il) vous trompe; vous avez constaté trop de vols dans votre société et vous ignorez qui est le filou ; votre associé a fuit avec l’argent de l’entreprise…ne cherchez plus, Colombo est là à votre service.
Alors, il parait que votre petit nom c’est colombo…
Oui. C’est comme ça qu’on m’appelle. C’est mon nom de détective privé, mais à l’état civil, c’est Malan Agnini.
Depuis quand êtes-vous détective privé?
J’ai commencé mon métier de détective privé en 1994-1995, après avoir quitté l’armée le 31 octobre 1993.
Vous êtes donc ancien militaire…
Oui. Je suis entré dans l’armée le 10 juin 1989. J’ai été affecté au Gatel (Groupement aérien des transports et de liaison) de 1982 à 1983. Cette unité est devenue aujourd’hui base aérien. J’ai ensuite été à la Garde présidentielle de 1983 à 1987. La présidence recrutait des anciens militaires, parce que certains partaient à la retraite. Il y avait en ce moment, en plus de la Garde présidentielle, la Milice. Nous étions sous le commandement du colonel Kouassi Gustave, notre chef de corps qui est aujourd’hui décédé.
Que s’est-il passé pour que vous-vous retrouviez détective privé ?
Un problème avec mon commandant d’unité à la Garde républicaine.
Qu’avez-vous fait?
Je préfère ne pas en parler.
C’est après l’armée que l’idée vous est venue de faire ce métier? Comment s’est fait ce choix si singulier parmi tant d’autres ?
J’ai d’abord essayé de refaire ma vie. Au départ, j’ai voulu rentrer dans la légion française, sans y parvenir. On me demandait de payer assez d’argent. Ma deuxième ambition c’était de devenir détective privé. Je regardais assez les films de détective privé quand j’étais jeune. Vous savez, dans la jeunesse il y a beaucoup de chose qu’on veut imiter.
Depuis votre jeunesse, vous aviez eu cette envie?
Bien sûre. Donc, puisque je ne pouvais pas entrer dans la légion française, le peu d’argent que j’avais, je l’ai pris pour suivre des cours de détective privé par correspondance, jusqu’à un certains moment. Je devais aller ensuite en Belgique pour faire la phase pratique et avoir mon diplôme. Malheureusement, je n’avais pas d’argent, je n’y suis pas allé.
Qu’apprend-on dans les écoles de détective privé ?
Beaucoup de chose. Par exemple, comment faire la filature (une technique de renseignement, réalisée par la surveillance des déplacements d'un individu), comment mener une enquête.
Le faite de n’être pas pu aller en Belgique ne vous a pas découragé ?
Non. Après mes cours, j’étais là. Un jour, j’ai vu dans un journal qu’un détective privé était à la recherche d’un compagnon pour l’aider dans son travail. J’ai pris contact avec lui. C’est lui qui m’a forgé.
Que faisiez-vous comme tâche?
Essentiellement les filatures et les enquêtes pour des particuliers et des entreprises.
Comment cela ce passe, une filature ?
Vous savez, plusieurs hommes ou femmes soupçonnent leur conjoint où leur conjointe de les tromper, de commettre l’adultère. Quelques uns de ceux là qui ont les moyens et qui connaissent notre existence viennent nous voir. Ils nous demandent de faire une filature pour être sûr de leurs soupçons ou de savoir avec qui et où le conjoint ou la conjointe les trompe. C’est monnaie courante.
Comment faites-vous quand monsieur ou madame vient vous voir pour suivre l’autre, soupçonné d’adultère ?
L’intéressé me montre leur domicile. La personne me montre ensuite la femme où le monsieur à suivre, très souvent la photo suffit. A partir de ça, je commence. Je suis la personne avec des appareils sophistiqués, partout où elle rentre et je prends des photos.
Entre les hommes et les femmes qui receviez vous très souvent comme client?
Les hommes.
Des politiciens, des hommes d’affaires…
Non. Des personnes ordinaires qui ont de l’argent.
Avez-vous déjà pris des gens en flagrants délits d’adultère lors de vos enquêtes?
Bien entendu. Assez.
Combien de filature de ce genre avez-vous fait ?
Une centaine. Où l’homme ou la femme soupçonne l’autre d’adultère.
Ça vous prend assez de temps pour faire une filature ?
Au plus une semaine.
Qu’en est-il de l’enquête ?
Elle prend entre un et 6 mois. Le temps est beaucoup plus long parce que si vous enquêtez sur un vol par exemple, il faut prendre le temps pour ne pas se tromper de voleur.
Vous pouvez citer des enquêtes que vous avez déjà eu à faire?
Africycle, par exemple. Une société de pneumatique. Mais, il y a quelques années, je ne sais pas si cette entreprise existe toujours. C’était avant le premier coup d’Etat. Je travaillais déjà pour mon propre compte. Les gens volaient des pneus dans la société. Un responsable de là-bas m’a invité à infiltrer l’entreprise pour attraper le voleur.
Infiltrer une entreprise, on se croirait dans un film ?
Il faut dire que quand on doit mener une enquête dans une entreprise, le premier responsable de la société est informé. Et on vous fait travailler dans la société. Personne ne savait que j’étais dans la société pour ça. Je suis venu me présenter comme quelqu’un qui cherchait du travail. Le boss m’a présenté dans un poste où j’arrangeais les cartons.
Donc, il n’y a qu’un supérieur de l’entreprise qui peut vous inviter à infiltrer sa société. Puisqu’il faut que vous soyez embauché.
C’est ça. En tout cas tous ceux qui peuvent vous faire embaucher.
Avez-vous arrêté le voleur d’Africycle ?
Il s’est dévoilé bien avant et a avoué que c’est lui qui volait les pneus.
Mais, vous avez quand même déjà arrêté plein de voleur.
Le détective ne fait qu’enquêter sur une personne, une fois que c’est bouclé, il fait le compte rendu à celui qui l’a engagé. S’il faut l’arrêter on, appelle la police.
Vous avez un pistolet et une carte de détective ?
Le pistolet, non. Il faut une autorisation. Vous savez, tout le monde peut avoir une arme, il suffit d’avoir une autorisation. Moi, je n’ai pas pu avoir en avoir parce qu’il me fallait présenter un diplôme. Mais j’ai une carte de détective.
Un détective a-t-il le droit de tirer sur un voleur ?
Non.
A part l’infiltration des entreprises vous faites d’autre type d’enquête ?
Bien sûr. Sur les vols d’argent les fugues, etc.
Un exemple.
C’était à Treichville. En janvier 1995. Je travaillais encore avec mon patron. Je suis arrivé un matin au travail, un opérateur économique est venu nous voir. Il a expliqué qu’il avait été grugé par quelqu’un sur une grande somme. Plus de 100 millions de Fcfa. Une plainte était déposée à la brigade de recherche. Mais, finalement c’est nous qui avons réussi à mettre la main sur lui en premier. Il habitait en réalité à la rue 39, à l’ancienne résidence d’Alpha Blondy. Il y venait tardivement et c’était difficile de le voir. J’avais eu le portrait robot, plus des informations que le monsieur nous avait données. Nous l’avons pisté jusqu’à ce jour. Lorsque nous étions sûrs que c’était lui, nous avons appelé la brigade de recherche. Mon patron a monté la garde en bas, je suis monté avec les flics. L’homme ne s’était douté de rien.
Quel a été votre plus grand coup ?
Je l’ai fais au Mali. En 997. Un monsieur est venu me voir. Il était à la recherche de son fils qui s’était enfui au Mali avec son argent. J’ai fais mes passeports et j’y suis allé. Là-bas, j’ai pris contacte avec la gendarmerie malienne pour expliquer les faits. J’avais un guide avec qui le monsieur m’a mis en contacte. Après 45 jours, on a pu mettre la main sur le jeune. La police Malienne l’a arrêté à la suite d’une rixe dans une boite de nuit.
C’était grâce à vous ?
On ne peut pas dire ça à 100%. Nous on le suivait depuis.
Vous êtes modeste. Quand vous faite ce genre d’enquête sur quoi vous-vous basez pour retrouver un homme que vous ne connaissez pas et qui est dans un pays inconnu ? C’est comme chercher une aiguille dans une boite de foin.
Il faut se dire que lorsque qu’un enfant détourne l’argent de ses parents, là où on peut le retrouver c’est dans les bars. On est donc parti sur ce principe au Mali et ça a marché. Mais avant, celui qui nous engage a le temps de donner assez d’information sur la personne sur qui on enquête.
Ce n’est pas assez dangereux ? Ceux sur qui vous enquêtez peuvent vous démasquer et vous faire du mal.
C’est vrai. Mais, vous savez, la Côte d’Ivoire, ce n’est pas dangereux comme certains pays d’Europe ou d’Amérique. Ici, même si vous êtes découvert, vous ne risquez pas grande chose. Et puis, j’aime beaucoup jouer, je joue assez la comédie, et c’est un point fort. En même temps j’en profite pour enquêter.
Combien d’enquête vous avez faits ?
Une trentaine.
Ça se paye, l’enquête?
Non. Entre 600.000 Fcfa et 800.000 Fcfa. L’enquête que j’ai menée au mali a été mon plus grand coup : 1.200.000 Fcfa.
Et la filature ?
La filature est au plus à 300.000 Fcfa.
C’est quand même énorme. C’est étonnant que vous trouviez ça insuffisant ?
Vous savez, il y a les dépenses.
Lesquelles ?
Si vous faite une filature sur une personne par exemple et qu’elle va dans un hôtel, vous devez donner de l’argent au gérant d’hôtel pour qu’il vous livre le numéro de la chambre. Si c’est un bar, vous devez manger ou boire quelque chose. Si c’est un endroit luxueux, les dépenses peuvent être énormes. Il y a aussi le taxi qu’il faut louer pour les filatures, pour une semaine. C’est 32.000 Fcfa la recette. Vous pouvez estimer ce que ça fait, la semaine. Il arrive parfois que la personne que vous suivez soupçonne le taxi. Vous êtes obligé de prendre un véhicule particulier. Et la location c’est entre 30.000 Fcfa et 40.000 Fcfa, par jour. Sans compter le carburant. C’est couteux. Quand vous retirez cela de la paye, il ne reste pas grand-chose.
Les contrats sont réguliers…
C’est périodique. Il y a des moments où le détective ne chôme pas. Il y a par contre d’autre période, où il n’a rien sous la main.
On ne peut pas dire que le métier nourrit son homme ?
Si, si ça se paye bien.
Quels sont vos difficultés ?
C’est surtout dans la filature. Lorsqu’une personne vous demande de suivre son conjoint ou sa conjointe qu’elle soupçonne d’adultère, vous le faites, que ce soit vrai au faux. S’il s’avère que la personne commet l’adultère, vous prenez les photos dans l’hôtel où dans l’appartement de l’amant ou de l’amante. Et vous mettez ces photos à la disposition de celui ou celle qui vous a engagé avec votre numéro de téléphone, votre cachet. Par mégarde, la personne qui vous a engagé peut laisser les photos à la disposition de monsieur ou de madame. Dans ce cas nous recevons des coups de fils de la personne sur qui nous avons fait la filature.
Vous en avez eu des cas ?
Bien entendu. Une fois, j’ai fait une filature pour un homme qui soupçonnait sa femme d’infidélité. Je lui ai donné les photos qu’il a laissées dans le tiroir. Sa femme les a aperçues. Elle m’a joint au téléphone prétextant qu’elle voulait me rencontrer, elle n’a pas dit pourquoi. J’étais loin d’imaginer que c’était l’une des femmes sur qui j’avais fait une filature. Elle a indiqué une buvette au Plateau où nous devrions nous retrouver. Mais, dans le métier on apprend à être vigilant, parce que l’une des personnes sur qui vous avez enquêté peut chercher à vous nuire. Donc, je suis arrivé sur les lieux quelques minutes avant l’heure du rendez-vous. Je me suis positionné à l’entrée. Elle est entrée dans la buvette peu après. Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite tiqué. J’ai attendu 5 mn pour voir si elle ne s’était pas fait accompagner par des loubards. Elle était assise seule à une table et a commandée une sucrerie. Je me suis ensuite approché de sa table pour me présenter. Elle a versé les photos devant moi et j’ai compris.
Elle était furieuse…
Non. Je n’avais fais que mon boulot et elle le savait. Nous avons discuté et elle est repartie. Elle voulait juste me rencontrer.
Vous faites des filatures pour démasquer certains infidèles, êtes-vous marié ?
Je suis marié et père de deux enfants. Je sais, dans d’autre pays ma famille peut être en danger, mais comme je l’ai dit la Côte d’Ivoire n’est pas un pays dangereux.
Quelle est votre collaboration avec la police ?
De très bonnes relations. Il faut dire que je n’ai jamais eu de problème avec la police.
Lors de vos missions, vous les consultez d’abord où vous agissez toujours seuls ?
Je ne les consulte pas. Les filatures, la police n’y a rien à avoir. C’est souvent les enquêtes. Les policiers aiment les détectives, parce qu’ils trouvent que nous leur allégeons la tache.
Quel est la différence entre vous et les renseignements généraux ?
Pas trop de différence. Ce sont des informations que nous apportons. Des informations qui peuvent nuire à la vie d’une personne.
Connaissez-vous d’autres détectives en Côte d’Ivoire ?
Non.
Pourquoi ?
Vous savez, les détectives, ce n’est pas comme les corps habillés où on peut les reconnaître au premier coup d’œil. Si vous ne voyez pas une annonce de détective privé, il est difficile d’en rencontrer.
Vous pensez qu’il y en a assez en Côte d’Ivoire ?
Si. Je vois leurs numéros dans des pancartes.
Et vous, vous aviez arrêté le métier pendant un moment. On suppose que vous reprenez du service.
Ah, ça, oui.
Une interview de Raphaël Tanoh
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